Arts et scènes – Le mystère des dernières heures de Van Gogh enfin élucidé
Arts et scènes – Le mystère des dernières heures de Van Gogh enfin élucidé
Un chercheur vient d’identifier le motif de l’ultime œuvre du peintre, «Racines». Une découverte qui permet de préciser les circonstances de la mort de l’artiste.
Le mardi 28 juillet, à l’occasion du 130e anniversaire du décès de Vincent Van Gogh, l’Institut Van Gogh a dévoilé une découverte majeure autour de la fin de vie de l’artiste. L’annonce officielle a eu lieu à 11heures in situ, c’est-à-dire à l’Auberge Ravoux d’Auvers-sur-Oise, dans le Val-d’Oise. Étaient notamment présents son arrière-petit-neveu, Vincent-Willem Van Gogh, la directrice du Musée d’Amsterdam, la présidente de la Fondation Van Gogh d’Arles, l’ambassadeur des Pays-Bas à Paris, la maire d’Auvers et la présidente du conseil départemental.
«Je sais enfin où et comment Vincent Van Gogh a passé sa dernière journée. Un mystère tenace est levé. J’ai passé des heures à vérifier», nous confiait le 15 juillet Wouter Van der Veen, secrétaire général et directeur scientifique de l’Institut Van Gogh, spécialiste de renommée mondiale qui, durant dix ans, a fait partie de l’équipe de chercheurs ayant examiné la correspondance dans le cadre de son édition complète et critique parue fin 2009.
Attablé à l’Auberge Ravoux, il poursuit: «Fin mars, j’étais cloîtré chez moi, confiné. Pour m’occuper, je rangeais mes fichiers sur mon ordinateur. Quelques mois plus tôt, j’avais numérisé deux douzaines de cartes postales d’Auvers datant des années 1900 et 1910. Distraitement, je me suis arrêté sur l’une d’entre elles, titrée «Rue Daubigny», qui représentait un cycliste arrêté sur une route, dont un talus était couvert de racines, de troncs et d’arbres. Tout d’un coup, un déclic s’est produit. J’ai fait apparaître à l’écran ce que l’on considère depuis 2012 comme le dernier tableau de Van Gogh. Ce flanc de coteau qui surplombe le jardin de l’actuel Musée Daubigny: c’était le motif de «Racines», peint vingt ans plus tôt!»
Dans le circuit habituel du peintre
Les jours qui suivent cette intuition sont consacrés au déblayage du site et à une campagne de photos sur place. Angle corrigé numériquement, l’enchevêtrement végétal correspond par six points à la composition. Les fûts et souches d’orme glabre ou d’acacias présentent les mêmes coudes, les mêmes boursouflures, la même structure complexe expressive. Cela même si certaines plantes ont été coupées entre 1890, quand la voie s’appelait simplement Grande Rue, et 1900-1910. Quant à la roche qui affleure en touches de couleur jaune pâle dans la partie inférieure du tableau, elle réfère au calcaire blond que l’on a longtemps excavé ici.
L’hypothèse a été soumise aux conservateurs du Musée Van Gogh d’Amsterdam, autorité en la matière, lesquels l’ont fait étudier par un dendrologue avant de la valider cinq semaines plus tard. Sur place, débarrassée de son lierre, la racine tortueuse qui a servi de modèle pour la forme en bleu au centre gauche du tableau se révèle avoir jadis été bien connue dans le coin. «On la surnommait l’éléphant à cause de sa forme vaguement ressemblante à l’animal», témoigne un voisin propriétaire du terrain, heureux de la découverte.
Tout contre le taillis serpente un sentier. Il offre encore actuellement un raccourci pour accéder aux premiers champs du plateau d’Auvers. Il s’inscrit parfaitement dans le circuit habituel du peintre. Celui qui partait de l’Auberge Ravoux à 150 mètres de là et y revenait, en passant par la mairie, l’église, la maison du docteur Gachet et la campagne. Que ce soit les 300’000 visiteurs annuels qui, avant le confinement, empruntaient cette boucle en manière de pèlerinage ou les nombreux spécialistes l’ayant étudiée, tout le monde était passé à côté de cet amas de verdure sans remarquer que la route en courbe offrait ici suffisamment de recul pour planter un chevalet.
Afin d’éviter que les racines, devenues reliques, ne soient volées, une structure provisoire a été installée, qui occulte l’accotement. Sur ces panneaux de bois ne se trouve encore aucune information, juste quelques citations de Van Gogh inscrites en «teasing». Bientôt, une protection pérenne sera construite, permettant de voir le talus avec une reproduction du tableau, à la manière de ce qui a déjà été fait à Auvers devant les sites peints par le Néerlandais.
Par cette découverte, Wouter Van der Veen confirme la thèse du suicide. Certes, elle était déjà bien étayée. Outre la célèbre mutilation de son oreille gauche, Van Gogh avait plusieurs fois attenté à ses jours durant son année à la maison de santé de Saint-Rémy-de-Provence. Quatre grandes crises y sont documentées. Plus tard, dans une lettre à Théo, son frère, en date du 10 juillet 1890, le grand dépressif confiait que sa vie était «attaquée à la racine même».
Des fantasmes invalidés
Par la mise au jour du motif de «Racines» l’historien invalide nombre de fantasmes, à commencer par ceux de l’assassinat ou de l’homicide involontaire. En 2011, un couple de chercheurs américains avait défendu dans un épais livre la thèse que Van Gogh aurait été blessé par un tir plus ou moins accidentel de deux adolescents qui jouaient avec une arme ou lui cherchaient des ennuis depuis des semaines. Ce scénario a fait florès. Il a été repris dans «La Passion Van Gogh», long métrage entièrement peint à la main sorti en 2017, et l’année suivante par Julian Schnabel pour son film «At Eternity’s Gate», avec Willem Dafoe.
Enfin, Wouter Van der Veen fragilise l’idée que le revolver exposé par le Musée Van Gogh d’Amsterdam en 2016, acquis il y a un an par un particulier pour 162’500 euros à l’Hôtel Drouot, serait «l’arme du suicide» (titre d’un livre sur le sujet écrit en 2013 par Alain Rohan). Quand un cultivateur avait découvert l’objet en 1960, avant de le remettre au précédent propriétaire de l’auberge, on pensait qu’il avait été retrouvé sur le dernier emplacement de travail de l’artiste. À la suite d’Hollywood et du biopic de Vincente Minnelli avec Kirk Douglas, on estimait alors que l’ultime tableau était «Champ de blé aux corbeaux» et non «Racines».
«Ce petit calibre, 7 mm Lefaucheux, modèle de 1865, était fort commun à l’époque», précise Wouter Van der Veen. «Il coûtait 5 francs, soit l’équivalent de deux nuitées à l’Auberge Ravoux. Un magazine l’offrait même comme cadeau de bienvenue à ses abonnés.» En somme, tout le monde ou presque en avait un…
La proximité du coteau avec l’auberge explique plus logiquement comment, après s’être mortellement logé une balle dans un poumon, Van Gogh a pu regagner seul sa chambre, la mythique nº 5, une mansarde de 7m2 éclairée d’une simple lucarne et aujourd’hui vide. Le génie s’y est éteint après deux jours d’agonie.
Le jour du suicide?
Il laissait là notamment «Racines», son ultime toile après «Champ de blé aux corbeaux», où l’on constate que ledit blé est encore debout et non moissonné comme cela est le cas sur d’autres œuvres. Ce caractère testamentaire a été entériné en 2012 par le Musée d’Amsterdam, lieu de conservation de l’œuvre. L’institution se fondant pour cela sur le témoignage d’Andries Bonger, beau-frère de Théo, selon lequel la composition date du jour du suicide. Elle aurait été commencée le matin puis poursuivie, après un déjeuner à l’auberge, jusque vers 18 heures ce 27 juillet 1890. Ainsi l’indique le sens des ombres. Notons qu’il faisait très chaud ce jour-là. La configuration en courbe de la petite route a pu être retenue par Van Gogh non seulement pour son motif original mais encore parce qu’il pouvait travailler là au frais.
«Symboliquement, «Racines», probablement l’huile la plus audacieuse toutes périodes confondues, connote la mort mais aussi la lutte pour la vie tant décrite par l’artiste. Elle parle en outre de la beauté de la nature et de la simplicité des choses», commente en passionné Dominique-Charles Janssens, président de l’Institut Van Gogh.
En raison de la pandémie, l’Auberge Ravoux, à la fois petit musée et restaurant, est fermée au grand public durant toute cette saison. En 2023, le Musée d’Amsterdam et celui d’Orsay organiseront conjointement une exposition focalisant sur les septante jours passés par l’artiste à Auvers. «Attaqué à la racine», de Wouter Van der Veen, Arthénon 127 p., 15 euros
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