« Mais qu’est-ce que j’achète, si j’achète un NFT ? » : à Miami, l’art virtuel passe au réel
Mercredi 1er décembre. C’est la journée VIP à la foire Art Basel Miami, de retour après son éclipse de 2020 pour cause de pandémie. Il n’est pas encore midi, mais les collectionneurs sont déjà lâchés comme des papillons moirés dans la station balnéaire américaine. Une photographe de street style tente de capturer ceux qui se pressent au Bass Museum pour assister à « L’art à l’ère des NFT », une conversation animée par le collectionneur et marchand d’art Adam Lindemann.
A l’intérieur, tic-tic des talons, robes soyeuses, costumes bien coupés. Plus inattendu : un tee-shirt « crypto babe », des tatouages, des casquettes, des jeans troués. Le musée a invité une légende, Peter Saul, l’un des derniers contemporains du pop art, mais ce n’est pas pour lui que la salle est comble. On vient voir la vedette surprise de 2021 : Mike Winkelmann, alias Beeple.
Une première œuvre vendue 69,3 millions de dollars
Encore inconnu du monde de l’art l’année dernière, ce graphiste américain de 40 ans est aujourd’hui le troisième artiste vivant le plus cher après Jeff Koons et David Hockney. Le 11 mars, dans un marché empêché par l’annulation des foires et l’immobilité des collectionneurs, son œuvre Everydays : the First 5000 Days, assemblant 5 000 images numériques de sa création, a été adjugée en ligne pour 69,3 millions de dollars à deux milliardaires indiens de Singapour.
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Ce qu’ils ont acheté à ce prix-là n’est pas tant le fichier de cette œuvre reproductible à l’infini qu’un certificat de propriété numérique dont l’authenticité est vérifiée par la technologie blockchain : le fameux NFT, ou « jeton non fongible », en français. Les blockchains, on le sait, sont des bases de données qui conservent la trace infalsifiable des péripéties des biens immatériels. Les humains, on le découvre, sont capables de s’attacher à des objets virtuels si on leur en garantit la propriété.
Dans le domaine artistique, cela permet à des genres difficilement monétisables – l’art numérique, mais aussi une partie de l’art conceptuel ou de la performance – d’étendre leur marché. Comme l’a résumé le jeune employé de Christie’s qui s’est occupé de cette vente historique, « il y a un avant- et un après-Beeple comme il y a un avant- et un après-Jésus-Christ ».
Des œuvres de l’intéressé défilent en mode diaporama pendant la discussion. On y voit Abraham Lincoln donner une fessée à un Donald Trump déculotté, Tom Hanks aux prises avec un coronavirus géant, Ronald Reagan affublé de seins. Coiffé comme Riquet à la houppe, Winkelmann raconte qu’il a commencé à créer des images numériques pendant ses études d’informatique, une pratique quotidienne qu’il n’a jamais abandonnée malgré les jobs à plein temps pour « payer les factures ». Avec les années, son fan-club a grandi sur Instagram – jusqu’à atteindre 2,3 millions d’abonnés, cinq fois plus que Jeff Koons.
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