Helmut Lang, mythique griffe des années 90, renaît à New York

Helmut Lang, mythique griffe des années 90, renaît à New York

Plus de dix ans après le départ de son fondateur, c’est sous la houlette du créateur Shayne Olivier, créateur de la très cool marque Hood By Air, que la maison Helmut Lang renaît à New York. Le début d’une nouvelle ère ?

La nuit dernière a été le théâtre d’une impulsion nouvelle pour la marque Helmut Lang, adulée dans les années 90 et silencieuse depuis quelques temps. La collection printemps-été 2018 a été prise en main par le créateur américain Shayne Oliver, fondateur du label Hood By Air, présentée hier soir à la fashion week de New York.

Une collection très attendue, opérant un parfait mélange entre l’ADN de la marque et la patte de Shayne Oliver. Ses créations sont truffées de références aux anciennes collections du créateur autrichien : du noir et blanc, du satin, du lamé (en version orangée, plus tape à l’œil), de la déconstruction, et la petite dose de provoc requise attendue d’un créateur aussi frondeur que le fondateur de Hood By Air, marque mi-street, mi-club connue pour son habile mélange des genres. Cette première collection pour Helmut Lang mixe couture et rue, effervescence de la nuit (combi en cuir sanglée déstructurée) et rigueur du jour (tailleurs aux coupes impeccables). Avec sa dose de pièces choc ultra désirables : on pressent déjà l’excitation suscitée par les différents sacs à main aperçus sur le défilé, avec mention spéciale au sac soutien-gorge.

Un génie réduit au silence

Il était temps que la marque Helmut Lang, mythique griffe des années 90, renaisse de ses cendres. Figure de proue du mouvement antifashion, les créations de la marque s’inscrivent dans la lignée du travail des « Six d’Anvers » (ce groupe de diplômés de l’Académie des Beaux Arts d’Anvers, dont faisaient partie Dries Van Noten et Anne Demeulemeester) ou des Japonais Rei Kawakubo et Yohji Yamamoto, arrivés à Paris une décennie plus tôt.

Mais Helmut Lang est un inclassable. Le terme « minimaliste », qu’on lui a si souvent attribué, ne lui suffit pas. Sa vision sort du lot. En plus d’être en rupture totale avec le clinquant ultra coloré caractéristique des années 80, il est en avance sur son temps. Dès 1987, il fait défiler l’homme et la femme en même temps, intègre systématiquement le t-shirt à ses collections. Sa manière de communiquer étonne par sa modernité : ses publicités sont aperçues sur les toits des taxis new-yorkais. A l’automne 1998, il s’empare d’Internet pour y diffuser son show et lance son site web dans la foulée. Très tôt dans sa carrière, il s’entoure de l’élite artistique : la plasticienne Jenny Holzer, le photographe Juergen Teller, et même l’artiste Louise Bourgeois, qui réalise pour lui une collection de colliers ras de cou en argent. Leur amitié et collaboration durera plusieurs années.

Helmut Lang, mythique griffe des années 90, renaît à New York

Latex et jeans brûlés

Ses silhouettes, bien que souvent qualifiées d’épurées, sont audacieuses et avant-gardistes. Helmut Lang affectionne les tissus techniques, aime les aspects mouillés, la texture papier et la transparence à outrance (il ose des silhouettes toutes en tulle ou organza). Tops en latex, smoking à galons fluorescents, reflets holographiques : le créateur autrichien travaille la brillance, mais la vide de sa dimension girly. Il fait du nude un coloris incontournable, dessine des collections presqu’entièrement blanches. En 1998 naissent son fameux jean brulé et sa parka signature. A partir du début des années 2000, des influences sportswear se dégagent de ses silhouettes : sweats zippés, élasthanne, fermoirs clips en plastique. Une fois encore, Helmut Lang est loin devant ses camarades.

En 2005, ce monument de la mode avait discrètement tiré sa révérence après des différents avec le groupe Prada, actionnaire majoritaire de sa marque. Helmut Lang disparaissait du paysage quelques temps plus tard (non sans laisser de trace) pour se consacrer à sa vie d’artiste, quelque part entre Long Island et New York.

Les héritiers : Loewe, Balenciaga, Off-White

Parmi ses collections des années 2000, rien n’appartient au passé. En parcourant les clichés et archives, on s’aperçoit que l’industrie tout entière s’inspire continuellement de son travail. Qu’aucun look n’est réellement démodé. Les pantalons en plastique transparent vus chez Loewe l’an passé font écho à une collection de 2005. En 1999, il assortit des robes blanches façon working girl avec des collants fuchsia – collants retrouvés chez Balenciaga la saison dernière. Enfin, difficile de ne pas saisir la référence en voyant les vestes gris lamé imaginées par Virgil Abloh chez Off-White automne/hiver 2017.

Helmut Lang avait très tôt saisi la légitimité des hommes et femmes d’âge mûr sur le podium, au-delà de toute stratégie de buzz. Il faisait notamment défiler la photographe Elfie Semotan, à l’époque âgée d’une cinquantaine d’années.

Helmut Lang par Shayne Oliver

Après de nombreux changements au sein de la maison et un rachat par le groupe japonais Link Theory, Andrew Rosen, nouveau directeur d’Helmut Lang, a choisi de s’engager hors des sentiers battus. Au lieu d’embaucher un nouveau designer, il fait appel à Isabella Burley, rédactrice en chef du magazine britannique Dazed & Confused. Pointure en ce qui concerne la jeune création et les labels prometteurs, Isabella Burley s’est rapidement tournée vers le créateur américain Shayne Oliver, premier nom de la Helmut Lang Residency, projet invitant différents créateurs de mode à réinterpréter l’univers de la marque.

Créateur du label Hood By Air lancé en 2006, Shayne Oliver dessine des vêtements en phase avec les bouleversements de notre temps. Il aime décloisonner et marier des influences à priori antinomiques : logos à outrance et inspirations gothiques, santiags surréalistes et pantalon fluide argenté. Disruptif et moqueur, il envoie ses mannequins smartphones à la main sur le podium. Désemparé devant cette inversion des rôles, le public baisse un temps ses caméras. Shayne Oliver se détache des idées reçues sur le genre (il a fréquenté la Harvey Milk School, réputée pour avoir créé le premier cursus scolaire spécialement consacré aux étudiants homosexuels, bisexuels et transgenres). Chez lui, les hommes portent des jupes fendues et assument l’hyper-transparence.

Entre audace et justesse : deux créatifs modernes

En y regardant bien, le rapprochement avec Helmut Lang est assez logique. Si Shayne Oliver est plus extravagant que son aîné, les deux créateurs ont en commun cette profonde compréhension de leur époque, cette audace décomplexée. De nombreuses créations signées Hood By Air font écho à celles du créateur autrichien. La palette de couleur, cette manière de travailler le costume pour en faire une pièce pointue, les pantalons zippés, les textiles translucides.

Interviewée par W magazine, Isabella Burley raconte l’enthousiasme de Shayne Oliver à l’annonce de cette collaboration : « Quand je lui ai téléphoné à propos de ce projet, il m’a dit ‘Helmut Lang is mother. He is mother to me’ ! » Une réaction parfaitement en accord avec le mélange de genres qui le caractérise.

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