Comment Alain Ducasse veut reconquérir la tour Eiffel
Le chef Alain Ducasse dans le Jules Verne (LIONEL BONAVENTURE/AFP)
Maître queux de la politique
Le Jules-Verne, situé sur la deuxième plate-forme, à 125 mètres de hauteur, bénéficie déjà d’une aura légendaire grâce à son emplacement, mais l’adresse est relativement récente. Elle a été créée en 1983. Jusque-là, seule une brasserie, installée à 58 mètres du sol, après démolition des salons rococo datant de l’Exposition universelle de 1889, régalait les touristes. Lorsque Ducasse entre en scène, en 2007, les restaurants de la tour sont, grâce à une concession accordée par la mairie de Paris, sous la houlette du chef Alain Reix, adossé à l’entreprise de restauration collective Elior. Alain Ducasse, lui, est, depuis déjà plusieurs années, associé à une société qui opère dans le même secteur, la multinationale française Sodexo, propriété de la famille Bellon. Il en est même devenu le consultant. Attelages entre stars de la haute gastronomie et groupes fournisseurs de poissons panés dans les cantines. Face à Sodexo, géant mondial, Elior, au chiffre d’affaires quatre fois moins important, ne fait pas le poids. La municipalité ne renouvelle pas son contrat. La Sodexo remporte la concession pour une durée de dix ans. Et son poulain, Alain Ducasse prend possession du Jules-Verne dès le 1er janvier 2007. Son équipe ne se prive pas de raconter que les prédécesseurs ont laissé les lieux dans un état déplorable, « infestés de cafards et de souris ». Le chef Alain Reix est rapidement licencié « pour faute grave ». Il attaque aux prud’hommes et gagne son procès. Qu’importe : Ducasse et la Sodexo l’effacent comme un mauvais souvenir. Le décor du restaurant panoramique est entièrement « repensé ». Quatre mois de travaux. « Le plus bel endroit de Paris », selon son site web, rouvre ses portes le soir de Noël, le 24 décembre 2007. Murs et chaises marron et crème, assiettes blanches au graphisme épuré. Cent dix places assises, distribuées dans trois salles. Une surface totale de 330 m2, accessible par un seul ascenseur privé, situé au bas du pilier sud, où il est compliqué de cuisiner. Les flammes sont interdites, le gaz prohibé. Raisons de sécurité. Il en faut plus pour décourager Ducasse qui fait installer, sous le Champs-de-Mars, ce qu’il appelle un « laboratoire », assorti d’une cave recelant des centaines de références. Une armada de petites mains s’y activent sous la férule du chef Pascal Féraud, un « Ducasse boy » pur jus qui, dès 2009, décroche une étoile au Michelin, avec les grands classiques appris auprès de son mentor : des légumes croquants (cultivés dans le potager du château de Versailles), du chevreuil, des écrevisses, de la saint-jacques dorée, de l’agneau du Limousin, de la volaille de Bresse. « La cuisine française réinterprétée avec modernité, et l’excellence des produits issus de nos régions », dit partout Ducasse, tel un ambassadeur. De fait, le Jules-Verne devient, année après année, l’une des étapes incontournables des touristes au fort pouvoir d’achat ou des riches et nouveaux mariés en voyage de noces. Il est sur les tablettes des tour-opérateurs qui le vendent avec la destination Paris. Son taux de remplissage frôle les 100 % chaque soir. Après une décennie d’exploitation, son chiffre d’affaires atteint 20 millions d’euros par an, chaque place assise rapportant, sur la même période, 200 000 euros. Le meilleur ratio de « bénéfice client » de tous les restaurants Ducasse. À cela, il faut ajouter les revenus générés par la brasserie et les divers buffets de restauration rapides de la tour Eiffel qui doublent ceux du Jules-Verne. On comprend aisément pourquoi le Landais aime tant la « dame de fer ». Qui, d’ailleurs, pourrait l’en déloger ?