Comment trouve-t-on son style quand on est malvoyant ?

Comment trouve-t-on son style quand on est malvoyant ?

Etiquetage en braille, puces à reconnaissance vocale, YouTubeuses spécialisées : à l’occasion de la Journée nationale des personnes handicapées le 3 décembre, retour sur un marché du style pour personnes non-voyantes.Comment trouve-t-on son style quand on est malvoyant ? Comment trouve-t-on son style quand on est malvoyant ?

Pas évident de définir son look quand on ne voit pas, ou mal. Comment trouver la bonne coupe, associer des coloris ou choisir un motif si on est privé de ses capacités visuelles ? Pourtant, l’allure est souvent un facteur d’inclusion. Selon la Fédération des Aveugles de France 1,7 millions de personnes sont atteintes de troubles de la vision dans l’Hexagone, dont 207 000 aveugles et 932 000 malvoyants. Cette communauté trop souvent ignorée de la presse grand public était mise en lumière ce lundi 3 décembre à l’occasion de la journée internationale des personnes handicapées. Et si les débats sont centrés autour de progrès médicaux, l’aspect mode et lifestyle est non négligeable – et en plein essor.

C’est d’ailleurs la mission que s’est fixée qu’Hayette Louail, qui a elle-même perdu la vue à l’âge de 5 ans. Elle a créé l’association Un Regard pour Toi en 2014. La structure s’adresse à tous les publics malvoyants, y compris ceux qui ont un handicap associé.

« Notre but est de les aider à devenir autonomes dans tout ce qui touche à l’apparence en générale : la mode, les accessoires (notamment les lunettes, souvent indispensables, ndlr), les bijoux, le maquillage« . Pour cela, plusieurs dispositifs ont été mis en place. D’abord, le recrutement de « personal shoppers » bénévoles triés sur le volet (sur les 900 candidats à cette fonction depuis le lancement du projet, moins de la moitié ont été sélectionnés à l’issue des entretiens). Ces derniers ont en moyenne 35 ans. Ils accompagnent des adhérents de 18 à 87 ans dans des virées shopping de quatre heures, pour trouver des tenues de tous les jours, pour un entretien d’embauche, une soirée ou même un mariage.

L’importance du touché

Comment trouve-t-on son style quand on est malvoyant ?

L’association s’assure en amont de la compatibilité du binôme et veille à ce que l’aidant s’en tienne à son rôle de conseil : « On ne fait pas du relooking, et on n’impose pas nos goûts« .Le budget et le parcours sont définis à l’avance. Avec l’aide d’un développeur, Un Regard pour Toi a également instauré un système breveté de puces connectées cousues aux vêtements et lavables en machine. Elles sont programmées pour contenir des informations telles que les couleurs, les marques, les instructions de lavage. Il suffit ensuite de les lire avec un smartphone équipé d’un assistant vocal. Cela simplifie l’organisation du dressing, le choix des tenues et leur entretien.

À travers le monde, quelques rares marques ont initié un étiquetage en braille. À New York, les frères Bradford et Bryan Manning, tous les deux atteints de la maladie de Stargardt (une déformation génétique de la rétine) ont créé Two Blind Brothers en mai 2016. Bradford résume ainsi leur projet : « Nous faisons des vêtements de très bonne qualité, confortables, et nous reversons les bénéfices à la recherche sur la cécité« . Les pièces, souvent en coton ou en bambou, sont confectionnées par un atelier employant une majorité de malvoyants. Les frères insistent sur l’importance du touché dans la sélection des matières. Ils sont partenaires de la Foundation Fighting Blindness, une fondation américaine créée en 1971 dédiée à la recherche autour de la cécité,et soutenus par des personnalités comme Ellen DeGeneres, Richard Branson ou Ashton Kutcher.

De célébrités à superstars du web

Et cette prise de parole ne s’arrête pas qu’aux célébrités mondiales. Aujourd’hui, une génération 3.0 se sert des réseaux sociaux pour mettre la question sur le devant de la scène. Depuis le Canada, la youtubeuse superstar Molly Burke, malvoyante, dispense des conseils beauté à sa large communauté (1 583 849 abonnés à date) de voyants ou non. Elle a même signé des contrats avec des géants comme Dove. Lucy Edwards, une jolie rouquine britannique ne voit plus depuis qu’elle a 17 ans. L’année suivante, elle lançait aussi sa chaine YouTube. En 4 ans, elle a réuni 28.000 abonnés à ses « tuto » sur l’emploi de bases de teint, ombres à paupières, eye-liners, lipsticks et pinceaux en tout genre. « C’est une façon de reprendre contrôle de son corps, de sa vie, de faire pleinement rayonner sa personnalité » dit-elle.

De son côté, l’association Un Regard pour Toi produit et diffuse des podcasts de conseils vestimentaires dans une série intitulée « Regard d’expert ». On y trouve des épisodes comme « Comment savoir si un vêtement me va ? » ou « Quelles sont les matières qui ne se repassent pas ? ». Et Hayette Louail, elle, a encore mille projets dans ses tiroirs. Elle cherche actuellement des financements pour ouvrir un espace hybride avec une boutique solidaire, un corner pour l’étiquetage avec les puces connectées, un spot d’aide aux commandes sur les sites de vente en ligne (très rarement accessibles aux logiciels d’assistance vocale) et un bar à jus. Néanmoins, cette industrie n’en est qu’à ses balbutiements. Comme l’explique Stéphanie Thomas, styliste spécialisé dans le handicap, l’industrie pour personnes non-valides serait invisible, « le marché pour accessoires pour chiens est plus large! » ironise-t-elle lors d‘un Ted Talk.

Pourtant, l’arrivée de films comme L’oeil du Tigre, qui suit le parcours de Laurence Dubois, une championne d’arts martiaux non-voyante, ou encore Le Grand Bain, au sujet d’une professeure de sport à mobilité réduite, est prometteuse. Tous comme ces tutoriaux, ils se battent contre toute représentation misérabiliste – et pour donner, enfin, la parole aux concernés.

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