Mylène L’Orguilloux, modéliste : « Le zéro déchet dans la mode stimule la création »

Mylène L’Orguilloux, modéliste : « Le zéro déchet dans la mode stimule la création »

A partir de tissus chinés, Mylène L’Orguilloux conçoit des vêtements stylés sans la moindre chute de tissu. Un pari osé et avant-gardiste, à l’heure de la fast fashion. La jeune modéliste, basée à Bordeaux, nous raconte la genèse de sa marque de mode zéro déchet MILAN AV-JC.

Ce n’est plus un secret pour personne, la mode rime très souvent avec empreinte carbone. « Il y a quelque chose qui cloche », résume Mylène L’Orguilloux, et un gros casse-tête à résoudre. Plutôt que de céder au fatalisme, la modéliste de 26 ans a fait de sa conscience aiguisée une force. Depuis plus de deux ans, dans son atelier de Bordeaux, elle tourne et retourne ses patrons inlassablement, jusqu’à ce qu’ils s’emboîtent parfaitement les uns dans les autres, au millimètre près. Il en ressort des vêtements aux formes épurées et géométriques, griffés MILAN AV-JC.

Sa matière première provient de tissus chinés sur les étals du marché de Saint-Michel, à Bordeaux, des fins de rouleaux industriels, et même du centre de tri le Relais, avec qui elle entame un partenariat. Mylène L’Orguilloux fait partie du cercle très fermé des créateurs zéro déchet, même si elle n’aime pas beaucoup ce qualificatif. « Créatrice, c’est trop affilié à ‘je dessine et ce sont les autres qui exécutent' », se défend celle qui préfère dire qu’elle joue avec les formes et les matières. Après une collection témoin, la jeune femme se lancera en avril dans la vente de vêtements. Rencontre.

Quelle est ta formation ?

Mylène L’Orguilloux : Je suis modéliste de formation. J’ai enchaîné BEP, Bac pro et BTS, et juste après, j’ai été embauchée chez Lectra, une grosse boîte dans l’industrie textile, qui crée des logiciels et des machines de découpe pour les marques de vêtement.

Comment as-tu commencé à t’intéresser au zéro déchet dans le textile ?

J’avais mon job chez Lectra, où je suis restée trois ans. Je me rendais compte que même si j’avais des puissants logiciels entre les mains, il y avait toujours du déchet. On atteint rarement une optimisation au-delà de 80-85%. Ce qui veut dire qu’on a de 15 à 20% de déchet. En parallèle, je me posais pas mal de questions par rapport à l’industrie textile en général. C’était le début de tout ce mouvement qui est né à la suite du Rana Plaza, en 2013. J’adorais ce que je faisais mais j’avais la sensation de cautionner quelque chose de mal. J’ai boycotté personnellement les grandes marques pendant un an. Je me suis mise à créer mes propres vêtements et c’est là que j’ai pris conscience de ce qu’étaient physiquement les chutes de tissu. Je ne pouvais rien en faire, je les entassais dans un coin de ma chambre. En faisant des recherches sur internet, j’ai découvert le travail de Joe O’Neill, qui a réalisé une parka, un manteau et une veste de tailleur zéro déchet dans le cadre de son travail de fin d’études. Je me suis penchée sur la question, j’ai cherché de nouveaux logiciels que je pourrais utiliser pour créer des vêtements zéro déchet.

>> A lire aussi : « Les Récupérables, la marque qui transforme les chutes de tissu en pièces mode » <

Mylène L’Orguilloux, modéliste : « Le zéro déchet dans la mode stimule la création »

Depuis ce jour, tu te consacres à tes recherches ?

Depuis novembre 2016, je ne me consacre plus qu’à ça. Je pars par exemple de vêtements mainstream et j’essaie de les reproduire en zéro déchet, en respectant toutes les contraintes de confection. Et pour démontrer que c’est possible, je partage mes patrons en open source sur mon site. En septembre dernier, j’ai sorti une collection témoin, de 40 pièces, que je présente aux écoles et aux entreprises pour leur montrer qu’on peut faire différemment. Avec les entreprises, ça ne prend pas, le sujet est trop avant-gardiste. Ce n’est pas grave, on verra. En attendant, j’ai envie de créer, de développer de nouvelles formes de vêtements. Essayer de vivre de ce que j’aime faire.

Tu vas devenir créatrice ?

Au début du projet, je ne voulais pas me mettre dans une démarche de création, parce qu’il y a assez de marques et qu’on a du textile à gogo. J’étais plus dans une optique de sensibilisation, parce que je pense qu’il n’y a que par l’éducation qu’on peut faire changer les choses. Mais en même temps, les personnes qui sont intéressées par ce que je fais n’ont aucun moyen de l’atteindre parce que je ne vends pas. Je m’apprête donc à créer des vêtements pour les vendre car c’est peut-être une des solutions.

Ca n’existe pas, une marque qui fait du zéro déchet ?

Il y a Skunkfunk, la marque espagnole, qui a une démarche éco-responsable globale, qui a déjà utilisé du zero waste dans des collections capsules. Mais ça implique de remettre tellement de choses en question dans le process de création que les marques s’en tiennent plutôt au minimal waste, comme la marque COS, qui a fait une collection capsule pour ses dix ans. Ce sont plutôt les petits créateurs qui se lancent dans le zéro déchet. En France, on est trois, avec Sempervivum et Marie Labarelle, à Paris.

Quelles contraintes le zéro déchet impose-t-il à la confection ?

Les contraintes par rapport au matériau sont multipliées. Mais je trouve ça hyper stimulant. En fait, ça n’a rien d’innovant. Les créateurs utilisaient déjà cette méthode avant l’industrialisation. La matière était chère et précieuse, donc il fallait en utiliser la totalité. Maintenant, il y a une personne, le styliste, qui dessine ce qu’elle veut obtenir dans sa collection et tout part de là. Les grosses maisons de mode ont le luxe de faire fabriquer exactement le tissu qu’elles souhaitent. A mon niveau, ce n’est pas possible, on fait avec ce qui existe déjà sur le marché. Le zéro déchet, c’est créer avec des patronages, à partir du matériau.

Tu crées des vêtements aux lignes épurées, aux formes géométriques. Dans quelle mesure tes coupes sont-elles influencées par le zéro déchet ?

J’ai créé avant tout des vêtements qui me plaisent. J’aime les coupes sobres sans trop de chichis. Je ne suis pas fan des robes qui font girly et contraignent le corps. Ce que le zero waste entraîne, c’est de t’emmener vers d’autres directions. Lorsque j’ai créé ma collection témoin, un patron de short a fait naître un patron de robe, dans le tissu restant. Cette robe, je n’aurais jamais pensé à la faire sans ça.

Quelles sont les limites de la technologie en matière de création ?

La limite sensorielle. Beaucoup de gens aiment créer parce qu’ils aiment toucher le tissu, faire des ajustements sur le mannequin, sur le corps. Avec le logiciel, on perd cet aspect. Il faut donc bien en maîtriser les paramètres, sinon c’est difficile à manier. J’ai la chance d’avoir commencé à m’en servir très jeune. Pour ma collection, je n’ai fait aucun prototype physique, la coupe telle que je l’avais entrée dans le logiciel était la bonne. J’ai voulu montrer qu’on peut vraiment compter sur la fiabilité du virtuel, si on en maîtrise les outils.

Est-ce que la jeune génération de créatifs essaie de faire bouger les lignes ?

Je le vois clairement. On est à la fin de quelque chose et au début d’une nouvelle ère. Contrairement à la génération de nos parents, on est confrontés à de nouveaux défis, et en même temps on bénéficie d’une ouverture facile sur un tas d’informations. Si j’ai découvert le zéro déchet, c’est grâce à internet. Cette dynamique de partage, qui est la base même d’internet, a un impact sur la mode. Typiquement, les patronages, c’est censé être quelque chose de secret, de précieux. Pour avoir travaillé au quotidien avec des marques différentes, je peux dire que tout le monde travaille sur des patronages similaires. Je ne comprends pas cette mentalité de tout garder secret. On a plus à gagner en travaillant collectivement.

Tu mets toi-même un point d’honneur à partager ton expérience et ton savoir, en organisant des ateliers.

Oui, parce que je trouve que c’est très important que les gens sachent faire des choses par eux-mêmes. Faire des choses de ses propres mains est essentiel et gratifiant. Faire fabriquer des vêtements aux gens, c’est aussi ma façon de revaloriser dans leur esprit un métier qui a été extrêmement dégradé par la fast fashion. Maintenant, on ne voit plus que par le styliste et on a tendance à oublier l’armada humaine qui se cache derrière. Vingt euros pour une robe, ce n’est juste pas possible, quand on considère qu’il y a quatre ou cinq heures de travail derrière. Impliquer les gens d’une manière ou d’une autre dans un processus créatif permet de redonner de la valeur aux choses. Si dans deux mois, le motif du vêtement qu’ils ont fabriqué ne leur plait plus, je pense qu’ils réfléchiront à deux fois avant de le jeter.

Mots clés: