Toiles de Picasso, tonnes de shit et tapins: un truand raconte 50 ans dans la mafia
« Milou », truand corso-marseillais de 73 ans, raconte son enfance, ses crimes, ses plus beaux coups, ses joies et ses malheurs dans un livre paru fin octobre, avec l’aide de Thierry Colombié, écrivain, spécialiste du crime organisé. Interview.
La vie de Milou ferait un très bon Scorsese. Mais sans la séquence de la rédemption que le réalisateur impose à tous ses personnages de mafieux. Orphelin à deux ans, fiché au grand banditisme à vingt, le Corso-Marseillais a vécu cinquante ans dans le « milieu ». Il s’impose d’abord entre paris clandestins et braquages, avant de devenir un maillon essentiel de la French Connection, puis la tête pensante de la Sicilian French Connection… Ce qui lui vaudra sa première lourde condamnation. Sorti des Baumettes dans les années 90, il se réinvente en trafiquant de marchandises volées sur les docks, puis reprend le trafic de drogue – le shit – sans jamais oublier de multiplier les sources de revenus… Entretien avec le survivant d’un temps qu’on croit révolu.
Pourquoi avoir écrit ce livre ? Vous ne prenez pas de risques avec vos “amis”, ou avec la justice, en racontant autant de crimes ?
Juridiquement, non, parce qu’il y a prescription. Avec mes amis ? Après soixante ans de grand banditisme, les trois-quarts sont morts, de toute façon j’assume… J’ai tellement entendu de contre-vérités, de clichés, des choses qui ne reflètent pas ce qu’on a vécu à Marseille et ailleurs, aux quatre coins du monde… Quand je vois les mythomanes qui défilent sur le plateau de Ruquier ou ailleurs, des mecs que j’ai vu vendre des doses de drogue au coin de la rue ou en prison, qui se prennent pour des parrains, qui racontent les scènes que les autres ont vécu, ça me fait monter la tension… Heureusement, je sais garder mes nerfs, je l’ai appris très tôt, une aubaine. J’ai aujourd’hui 73 ans, le rideau va bientôt tomber, c’était le moment ou jamais de raconter quelques vérités, pas toutes bien évidemment.
C’est une manière de compenser le silence et la discrétion, obligatoires pendant toute votre carrière ?
Il doit y avoir un peu de ça. Moi je me suis tu pendant 60 ans. De l’âge de onze ans jusqu’à aujourd’hui, je n’ai jamais rien raconté à personne, sauf à Thierry Colombié (auteur du livre, ndlr) que je connais depuis 13 ans. Même dans mon milieu, avec les gens de seconde ou de troisième catégorie, je ne racontais rien. Mais dans ce livre, je ne me suis pas lâché, je n’ai raconté que le quart du quart de ce que j’ai vécu. Mais pour un cave, un individu normal, c’est largement suffisant pour comprendre la vie d’un truand.
Des “amis” ont lu le livre ?
Oui, ils m’ont dit comme vous, “mais pourquoi tu racontes tout ça ?! Tu n’aurais pas dû…”. On a discuté, je les ai convaincus. L’un d’entre eux en a même acheté 30 exemplaires, pour toute sa famille, ses proches en Corse, et ailleurs. Le milieu que j’ai connu s’est dilué. Les jeunes, c’est normal, ont poussé les vieux contre les murs. C’est la règle et pas que chez les truands.Aujourd’hui, avec l’explosion de tous les trafics, surtout la drogue, le soleil se lève pour tout le monde, même pour des mecs qui n’ont pas grandi, comme moi, dans le milieu. Cela ne va pas dire que le milieu a perdu la main, bien au contraire, c’est d’ailleurs ce que je raconte dans le livre. Nous n’étions pas gentils, nous n’étions pas des Bisounours, mais on obéissait à certaines lois, à des règles, on fonctionnait comme une secte. On a grandi dans cette mentalité corse, sicilienne, calabraise, marseillaise. Dans ce melting pot qui était notre crédo. Les règles sont toujours là, la confiance étant la base, le socle de toute négociation, sinon il n’y aurait pas tout ce business, colossal, énorme. Mais la roue tourne au point que certains n’hésitent pas à prendre la mitraillette pour tuer leur voisin, voler la nourrice qui planque trois kilos de shit… Ce sont des loups, des Apaches, des mecs qui ne feront jamais partie du grand banditisme, trop voyants, trop brillants. Trop d’erreurs.
Vous avez été un touche-à-tout du crime: braquage, proxénétisme, meurtre, courses hippiques, trafic de shit, de coke, d’héro, de fausse monnaie, de marchandises tombées du camion… Quel domaine avez-vous préféré ?
Ah il y un juge qui m’a dit : “Monsieur en matière de banditisme, vous avez tout fait, sauf le viol”. C’est vrai que j’ai à mon actif toute la palette des crimes et des délits… Je me suis retrouvé embrigadé, on en revient toujours à la famille, la base de la mafia, et j’ai tout fait. Mais ce que j’ai aimé le plus, ce sont les voyages, pour le trafic d’héroïne… Bon maintenant je sais que l’héroïne est un fléau, quelque chose d’horrible et d’infâme. A l’époque on ne savait pas le mal qu’on faisait, on ne comprenait pas qu’on était en train de propulser le malheur. On se disait qu’on ne forçait personne à consommer, on ne culpabilisait pas du tout. Plus tard, des peines très lourdes sont tombées, à coups de vingt ans, et on a accepté, on s’est dit que c’était mérité… En réalité, je l’avoue, j’ai toujours pris du plaisir à faire dans le banditisme, tous les domaines. Le braquage, par exemple, ça me plaisait : rentrer, braquer 25 ou 30 personnes, prendre l’argent et se le partager une heure après… Le cœur bat, l’adrénaline, c’est excitant. Ensuite, les systèmes de sécurité se sont améliorés, et on a dû passer à autre chose.
Par rapportà d’autres truands au CV aussi garni que le vôtre, vous avez fait relativement peu de prison (14 ans quand même). Comment l’expliquez-vous ?
Ah je sais, et j’en suis un peu fier. C’est la psychologie. Tout le monde est corruptible, tout le monde, surtout celui qui le chante plus fort que les autres ! Je les ai vus les évêques à Rome, les politiques à Grenoble, les flics à Marseille… Mais j’ai cette chance, quand je parle avec quelqu’un, de savoir s’il est fiable. Par un mot ou un geste, en lui tendant un piège ou en le faisant boire pour mesurer son taux de sincérité… Chez nous lorsqu’on fait confiance à quelqu’un, il tient notre vie entre ses mains, c’est donc très important de savoir à qui on peut faire confiance. Dans le milieu, on me faisait même parfois venir pour tester un mec, savoir s’il tenait la route, si on pouvait continuer avec lui… Dans 9 cas sur 10, je disais “arrêtez tout”. Bon après, j’ai quand même fait quatorze ans…
Le fait d’être toujours sur ses gardes, de se méfier de tout et de tout le monde, tout le temps, ça ne vous pesait pas ?
Chez nous la paranoïa, c’est primordial. Dans le grand banditisme, pour les gens qui décident, la paranoïa, c’est une protection. Si je voyais passer deux fois la même voiture, ce n’était pas normal : il fallait se déplacer, faire trois fois le tour du rond-point, griller deux feux rouges, prendre un sens interdit pour voir si la voiture était toujours là. Casser la filoche, comme on dit, faire tourner en bourriques les flics ou des voyous qui voulaient nous tuer… La paranoïa, c’est un mode de vie. Mais on s’y fait, ça devient une seconde nature, et ça sauve des vies ! Aujourd’hui, je ne regarde plus les chaussures. Avant, les flics avaient des souliers spéciaux parce qu’ils marchaient beaucoup… On regardait tout, et on nous apprenait à nous méfier de tout. Celui qui n’était pas parano, il n’était pas normal, on le mettait tricard, on se disait que c’était un marchand de fromages, pas un mec à mettre autour de la table ronde pour envoyer une tonne de came aux Etats-Unis…
Dans le livre, vous évoquez des meurtres pour lesquels vous n’avez jamais été inquiété par la justice…
Bon les meurtres, je ne vous en dirai pas plus. Je ne peux pas en parler. Je suis né de parents corses, et chez nous, on se méfie des enfants et des petits-enfants et des arrières petits enfants. Et pour moi, ce ne sont pas des meurtres, je n’ai pas vocation à tuer pour gagner de l’argent ou un territoire. Moi c’est “tu me manques de respect, je te tue avant que tu ne me tues”. Et puis je n’ai pas non plus été un spécialiste en la matière… Dans ma famille, j’ai eu deux oncles tués, que faire ? Pleurer sur le cercueil ? Non, il fallait les venger, un point d’honneur.
Il y a des choses que vous regrettez d’avoir faites ?
Oui, oui… Bien sûr. Le proxénétisme, notamment. A l’époque (au début des années 1960, ndlr), les femmes étaient sous une chape de plomb, l’homme c’était l’homme. Ca a complètement changé, les femmes peuvent tout faire, tant mieux pour elles, tant mieux pour nous. Je me suis retrouvé dans une vie, dans une vision où une femme c’était juste un moyen de gagner de l’argent, et je le regrette. Nous étions des machos, des gens mauvais, mais c’était aussi la vision de l’époque. Une femme devait rapporter l’équivalent de 1 000 euros par jour, donc 5 000 euros avec cinq femmes, et si l’une n’y arrivait pas, c’est qu’elle était vraiment idiote, et on la renvoyait dans son pays, ou on l’envoyait en Afrique ou au Venezuela, en lui disant “Casse toi bonne à rien”. Ca, je le regrette, je ne le referais pas.
Votre parcours montre que vous avez des qualités d’entregent, de négociations et d’organisation qui auraient pu faire de vous un homme d’affaires. N’avez-vous jamais été tenté de rentrer dans la légalité, de devenir un chef d’entreprise lambda, un “cave” comme vous dites ?
Aujourd’hui, à 73 ans avec le recul, je suis d’accord avec vous à 200%, mais je suis né pendant la guerre, de parents résistants, dans une famille de voyous. Chez moi, il y avait des gens en cavale, ceux qui me prenaient sur les genoux, pour me chanter des chansons, je les voyais une semaine plus tard la gorge tranchée en Une du journal. J’ai grandi là-dedans. Après peut-être que j’aurais pu être un homme d’affaires, mais je n’en ai jamais eu l’occasion. J’ai été grillé d’entrée en étant fiché très jeune au grand banditisme… Et là pour faire des affaires saines (légales, ndlr), il faut marcher avec des gens honnêtes, qui n’ont jamais été condamnés, des prête-noms. J’étais derrière, et eux en vitrine. Par contre, des amis, des gangsters que j’ai éduqués, plus jeunes que moi, qui ont cinquante, soixante ans aujourd’hui, sont devenus d’importants hommes d’affaires, multi-cartes. Ils fréquentent des élus, des ministres, sont amis avec les plus importants notables de la région, du pays. Certains sont même entrés en franc-maçonnerie, un réseau international qui offre d’énormes avantages… Ils n’ont jamais été condamnés, se sont servis de mes conseils. Tant mieux. Je le répète, la France, ce n’est pas le pays des Bisounours !
Dans votre livre, vous évoquez la “bande des Canards” et leurs “héritiers” qui auraient une influence considérable dans le milieu. Comment une telle association peut-elle être aussi méconnue des médias et de la justice ?
Le groupe était en fait connu, archi-connu, mais ils ont toujours réussi à passer entre les gouttes, et comme ils sont tous morts ou presque, je me suis permis d’en parler. C’est un groupe de Marseillais d’origine napolitaine, qui s’est scindé en deux entre Marseille et Paris, et qui ont écarté les Guérini. Le groupe des Canards faisait dans l’héroïne, les boites de nuit, les casinos, ça marchait bien pour eux. Certains se sont achetés des haras, des chevaux, ce qui leur a permis de mieux truquer les courses, je le sais mieux que quiconque, j’ai été l’un des plus grands bookmakers du sud. Une façon comme une autre de devenir milliardaire, non ? Ce sont des gens très intelligents : ils repéraient des mecs, en gardaient un sur cent, et lui disaient “tu ne toucheras pas d’argent avec nous, mais aujourd’hui, c’est comme si tu venais de gagner 10 millions d’euros: quand tu sortiras de chez nous, tu auras le savoir-faire”. Et tous les gens que j’ai connus qui sont sortis de “l’université des Canards” sont devenus millionnaires, surtout à Paris, et utilisent les politiques.
Les relations entre les politiques et les mafieux restent courantes ?
Bien sûr, les politiques c’est primordial pour nous, surtout la droite… La gauche ça n’intéresse personne ou si peu… Dans le grand banditisme, les politiques de gauche, à quelques exceptions près, ce sont des imbéciles, on ne peut pas leur faire confiance. Par contre, à droite ce sont des gens intelligents avec lesquels on peut discuter. Pas tous non plus, surtout les « fils de » qui n’ont pas eu à se battre comme des chacals pour devenir important… Quand on a une affaire, qu’on est inquiété, un ministre, un sbire évidemment, vient nous arracher, nous arrange le coup, mais en contrepartie, si le ministre a des problèmes, on se doit de l’aider. Un échange de services qui en vaudra mille autres, surtout quand ça se passe en famille. Et qui mieux que le très, très grand banditisme, ce que l’on appelle l’Honorable Société, pour aider les politiques, nous qui sommes au courant de tout ? S’il y a des affaires de terrorisme, des problèmes avec les jeunes de banlieue, que sais-je encore, en France, en Afrique, en Amérique centrale, qui mieux que nous pour leur filer un coup de main ? Enfin ça il faudrait en parler des journées entières pour bien vous expliquer mais il y a quelques exemples dans le livre qui sont pour le moins éclairants…
Dans le livre, vous évoquez Charles Pasqua, et la fierté du milieu lors de sa nomination en tant que ministre…
Je ne l’ai pas côtoyé, je n’ai jamais voulu. Le personnage ne me plaisait pas. Pour moi, c’était un « traître « , un voyou devenu Vidocq, mais j’ai été obligé de l’accepter puisqu’il était ami avec des amis, intimes, et pas que pour boire du Ricard. Mais sur ce point, je ne peux pas en dire plus si ce n’est que ça lui a permis de faire fortune au Canada… Par la suite, malin, il a sauté sur l’opportunité d’entrer en politique, c’est là que l’on obtient l’immunité, nulle par ailleurs, et il s’est lancé au côté du Grand Charles, de Gaulle. Avec le SAC (Service d’Action Civique, ndlr), il a fait le mariage entre flics et voyous en recrutant des truands à Paris, Marseille, Lyon et surtout à Grenoble, et des flics trop contents de fréquenter un milieu, le nôtre, qui les fascinait. Je reconnais que j’ai eu la carte du SAC, mais comme Pasqua, c’était une opportunité : on savait que si l’on se faisait arrêter par des flics, il suffisait de montrer la carte bleu-blanc-rouge pour repartir aussi vite. La carte avait valeur de port d’arme. Imaginez ce que cela implique… Mais idéologiquement, ce n’était pas mon truc. On l’a vu avec l’affaire de la Tuerie d’Auriol, l’assassinat du juge Michel, celui qui m’a enchristé dans la Sicilian Connection. Là encore il y a beaucoup à dire, ce que je fais dans le livre.
Vous expliquez qu’on reconnait un “homme d’honneur” à ses relations haut placées avec des magistrats, des policiers, de politiques. Ca vous est déjà arrivé de nouer des relations amicales avec ces personnes ?
Déjà je ferais une distinction pour les magistrats, qui ne sont pas contrairement à ce que beaucoup croit, nuls ou incompétents ou carrément « pervers ou psychopathes » comme le dit Henri Guaino qui sait, lui, de quoi je parle… Je n’en ai croisé que deux ou trois dans ma carrière, mais les magistrats ne sont pas vraiment corruptibles. Des flics, oui, j’en ai toujours connu, et j’en connaitrai encore, même si je suis à la retraite. Ce n’est pas un hasard si à Marseille les business tournent aussi bien. Le grand banditisme et les flics se tiennent, et tout le monde protège tout le monde. Quant aux politiques, on en a déjà parlé…
Dans le livre, vous évoquez Johnny Hallyday ou Serge Gainsbourg que vous avez raccompagné plusieurs fois chez lui. Les relations sont fréquentes entre le milieu mafieux et celui des célébrités ?
Inévitablement. La nuit, après 3h du matin, vous rencontrez le tout Paris en boites de nuit ou ailleurs. Ce sont des gens qui aiment s’encanailler, ils ont une espèce de fascination pour les truands. Et puis on a cet avantage d’avoir toujours à disposition de la marchandise, la meilleure des coke, et comme ils en prennent tous, ou presque…En plus on ne les fait pas toujours payer: personnellement il m’est déjà arrivé d’offrir cent grammes à une célébrité. C’est fascinant pour eux, qui d’habitude se font un peu avoir par des dealers, et par leurs gardes du corps aussi, qui prennent une commission. En comparaison, nous, c’est le paradis, on est le Père Noel pour eux !
Pendant la French Connection, 500 kilos d’héroïne partaient tous les trois mois vers les Etats-Unis, tout s’arrête avec une série de condamnations et de démantèlement de labo au milieu des années 70…
Oui, de 1975 à 1979, l’héroïne, notre héroïne, la Marseillaise, la Rolls des héroïnes, il n’y en avait presque plus. A partir de 78-79, j’ai remis le couvert avec les Siciliens, mais pas sur d’aussi gros volumes, on n’envoyait que 40 ou 50 kilos, mais les prix avaient été multipliés par sept, par dix. Le kilo d’héroïne se négociait alors à 130 000 euros, voire 160 000 à New York ou Miami.
Vous deviez avoir d’énormes rentrées d’argent ? Dans le livre vous dites souvent que vous avez “jeté l’argent par la fenêtre”, comment concrètement ?
Quand on a de grosses sommes comme ça, surtout en liquide, l’argent vous brûle les mains. J’étais fiché au grand banditisme, constamment dans le viseur de la police, je ne pouvais pas investir, ou alors via un proche ou quelqu’un de la famille, mais c’est « sale », comme on dit, parce que vous pouvez l’envoyer en prison pour recel de blanchiment, l’argent provenant du trafic de drogues. Donc c’est vrai qu’à un moment, cet argent, on ne savait plus quoi en faire, on achetait des voitures, des habits, des flics, on baignait dans le luxe, on allait dans tous les casinos, on dormait dans les plus beaux hôtels. On croyait que ça allait continuer toujours.
Et quand on perd lors d’un contrôle de douane, comme ça vous est déjà arrivé, cinq tonnes de cannabis ou quarante kilos d’héroïne, on réagit comment ?
Ce n’est pas une perte, c’est une péripétie. Quand on achète du cannabis par exemple, on en paie d’abord que le quart ou la moitié, et si la marchandise est saisie, l’acheteur paiera l’autre moitié plus tard, comme s’il devait rembourser un crédit. La confiance, c’est le socle, et pas que dans notre milieu. Et puis au début des années 1980, le kilo n’était pas cher, à peine 150 euros. Pour les cinq tonnes de chichon, par exemple, on en a payé un peu moins de la moitié. Après, on a diversifié les chemins d’accès, on a envoyé 500 kilos d’un côté, une tonne de l’autre, deux tonnes planqués dans les camions de fruits provenant du Maroc, ceux qui ne sont jamais fouillés… Peu à peu, on rembourse le vendeur sans avoir un calibre sur la tempe – ça, c’est dans les films. C’est comme un prêt à la banque, on négocie et on prend le temps de payer. Une perte, ça relance l’activité : tout le monde se retrousse les manches et se dit “on va rattraper ça”. Et c’est ce qui se passe, toujours, comme un et un font deux.
Vous racontez dans le livre découvrir un jour une centaine de toiles de Picasso lors d’un cambriolage… Vous étiez euphorique à ce moment-là ?
Non on préfère avoir des kilos d’or volés dans les bijouteries. C’est une utopie, les toiles de Picasso, c’est trop compliqué: il y a une prescription très longue pour les œuvres d’art. Et c’est surtout invendable. L’affaire s’est mal finie. J’ai des amis, à Bastia, de la Brise de Mer, qui ont volé “Impression soleil levant” de Monet, ils n’ont jamais réussi à le vendre. Ils en ont même coupé un bout pour l’envoyer au ministère de la culture, en disant “si vous ne libérez pas ce prisonnier, on met le feu à la toile”. Le ministère a répondu “faites-le, on fera une copie”…
Vous êtes marié, vous avez eu des enfants, ça n’a pas été compliqué de mener cette vie criminelle, forcément risquée avec votre vie familiale ?
Si bien sûr, très compliqué. L’entourage proche, familial en a bien sûr pâti. Quand ma photo est apparue en Une du journal avec le titre “l’homme de l’ombre de la mafia”, ce fut une catastrophe pour ma famille et ceux qui pensaient que j’étais antiquaire. Et quand j’étais en prison, ce qui faisait le plus mal, ce n’était pas mon enfermement, mais le fait que ma famille en subisse les conséquences. Quand on mène cette vie, hors-norme, c’est un peu sale d’avoir une femme et des enfants, mais ça s’est passé comme ça voilà…
Quel est le coup qui vous a rendu le plus fier ?
Ce n’est pas très spectaculaire, mais je pense que c’était l’époque où je faisais des fausses pièces de dix francs. J’avais deux usines dans le nord de Italie, qui tapaient les pièces, et je touchais dans les 100 000 euros par mois, sans rien faire. J’ai inondé toute la région Paca. Je ne faisais pas couler de sang, je n’empoisonnais personne tout en ayant de gros sous en poche… En réalité, pour être honnête, on était fier de nous lorsqu’on passait sous le radar des flics, et pas qu’en France, et qu’on avait le sentiment de niquer le système… Lequel nous l’a bien rendu ! De toute façon, ce dont je suis le plus fier, c’est d’être encore vivant et en bonne santé. Basta !
Truand, écrit par Milou avec Thierry Colombié est disponible depuis le 28 octobre aux éditions Robert Laffont. 393 pages, 21 euros.