Stella Cadente comme un éclair

Les doigts sertis de bagues épervier en argent, les ongles vernis alternativement de violet profond et de parme, Stanislassia Klein, alias Stella Cadente, est née sous une bonne étoile. Son pseudonyme, elle le trouve en un éclair au moment de la création de sa marque, en 1991. En italien, cela veut dire« étoile filante ». Un présage heureux. Sa carrière débute chez Claude Montana, qu’elle assiste, puis elle enchaîne les collaborations jusqu’à dévoiler ses propres vêtements et accessoires sous sa griffe étincelante. Avec cette nonchalance slave si naturelle. Seule coquetterie de cette mère de quatre enfants : taire son âge. Selon le principe que nous en avons trois, celui que l’on a dans sa tête, le vrai et celui qu’on nous donne. Stella Cadente a raison. Elle a le charme des éternelles adolescentes. Le hasard lui fait rencontrer son alter ego professionnel, le photographe Florian Claudel. Ils montent ensemble le Studio Stella Cadente. Sous son blouson de cuir fétiche, elle endosse désormais le rôle de « directrice artistique globale ». Chaque jour est un happening où elle réinvente le quotidien au cœur de restaurants, hôtels, boutiques et expositions. De belles histoires, comme celles que lui racontait sa grand-mère Jeanne…

Il était une fois…

D’un père ukrainien et d’une mère suisse-allemande, Stella Cadente confie en guise de prologue : « Je suis née à Paris mais j’ai toujours eu l’impression de venir d’ailleurs. Ma famille paternelle a fui la révolution bolchévique pour débarquer ici avec meubles et souvenirs. Ils n’ont jamais quitté l’immense appartement de la Plaine Monceau où ils avaient atterri en 1917 ; nous étions une vingtaine à déambuler dans ses 400m2 remplis de bruit, de rires et d’histoires. J’ai vécu jusqu’à mes 12ans dans cette atmosphère étrange, comparable à celle d’une caravane habitée de gens du voyage. » Nourrie à la cruauté des contes slaves (les enfants perdus dans les forêts et mangés par les loups) et aux horribles personnages des légendes allemandes, comme le Struwwelpeter (traduire « Pierre l’ébouriffé », qui coupe les doigts des bambins qui rongent leurs ongles), Stella Cadente semble avoir été élevée comme le Charlie du film de Tim Burton.

Inspirationsde l’enfance

À bord de cette « caravane », Stella a la chance de grandir au côté de sa grand-mère russe. « C’était une femme imposante, autant parses formes que par son exubérance. Elle était couverte de bijoux et avait pour meilleure amie une couturière. Un régal pour la petite fille que j’étais. Elles me faisaient des vêtements et habillaient mes poupées. J’ai été élevée dans les couleurs, les matières, les épingles qui jonchaient le sol et qu’elles coinçaient à la commissure de leurs lèvres pour relever un pli ou ajuster un col. Le parfum et le toucher des tissus m’ont soufflé très vite le sens de ma destinée. Je savais toute petite comment j’allais vivre plus tard. Mon père, qui était un intellectuel très torturé (je ne comprenais jamais rien à ce qu’il racontait), m’a inscrite à SciencesPo dès que j’ai eu mon bac, à 16ans. J’ai résisté deuxans puis j’ai réussi à partir pour New York, étudier au Fashion Institute of Technology. À mon retour, j’ai rejoint les bancs du Studio Berçot. Après deux années de créativité intense, il étaitenfin temps de voler de mes propres ailes. »

Vestiaire particulier

Stella Cadente comme un éclair

Les années1990 l’invitent à travailler pour de grandes maisons. Alors qu’elle assiste Claude Montana (« Un génie », insiste-t-elle), Karl Lagerfeld s’entiche de ses colliers composés de perles chinées aux Puces de Saint-Ouen. Toujours les pieds sur terre bien que perchée dans son imaginaire aux couleurs des films de Jacques Demy, elle ouvre une minuscule boutique rue Michel Leconte, à Paris, et travaille en même temps pour Cacharel et Corinne Cobson. Le succès lui sourit. Ses créations fantasmatiques séduisent « les femmes hors normes ». Elle s’installe rue de Grenelle puis inaugure, en 1996,le premier concept store parisien. Le fondateur d’Actuel et de Radio Nova, Jean-François Bizot, à l’affût de nouveaux talents, répond présent à la fête qui y est donnée. Le nomde Stella Cadente brille sur son logo étoile et sous la lumière tamisée des défilés. Elle jongle avec les fourrures, les plumes, les broderies, les mélanges improbables de motifs dans une mode joyeuse et bohème, comme elle. Aujourd’hui, elle imagine plutôt des objets de mode. Dans son abécédaire des influences salutaires, elle met, par ordre de préférence : ClaudeMontana (qui lui a tout appris), Elsa Schiaparelli (dont elle rêverait d’assurer la direction artistique), Martine Sitbon, Madeleine Vionnet, Monsieur SaintLaurent et Madame Grès.

Au pays des senteurs

L’association avec un grand nom de la cosmétique pour son parfum Miss Me la fait se confronter à l’impitoyable économie industrielle… Et Stella Cadente n’a pas les moyens de l’affronter. Pourtant, ce parfum aux senteurs de son enfance, imaginé par le nez Annick Menardo (Acqua di Gio, Hypnotic Poison ou encore Lolita Lempicka), arriveen tête des ventes chez Sephora en 2005. Stella met ses boutiques en sommeil et son imagination au service de la direction luxe du groupe L’Oréal pendant dixans. Puis, Sephora la sollicite pour inventer l’identitéde sa marque Splus. L’aventure, qui vient de se terminer, a duré troisans.

Habiller les hôtels

Avec pour projets la décorationd’un hôtel au Brésil et d’un autre à Casablanca, le duo de créateurs Stella Cadente et Florian Claudel séduit par un univers enchanté aux limites des contes fantastiques.« On habille les endroits comme on habillerait une femme, disent-ils en chœur, d’objets chinés partout ou fabriqués sur-mesure. » Ils ont comme premier terrain de jeu une belle demeure du XIXesiècle, située au cœur de la cité médiévale de Provins. Les chambres se nomment Alice, Chat Botté, Moulin Rougeou encore Peau d’âne. La maison est trop belle pour ne pas l’acquérir. Stella Cadente en fait un petit paradis où clients et amis se retrouvent. Inventeurs d’un nouvel onirisme, ils ont à leur palmarès, sous l’emblème « HospitalityDesign », plusieurs établissements : le Salon Beaujon, le Bed and Style, l’appart’hôtel Honotel Richelieu,la Pâtisserie Lily Gourmet, le restaurant asiatique Chez Ly, le restaurant italien La Rucola, l’Hôtel Original à Paris où ils ont décliné les sept péchés capitaux, l’étage lingerie des Galeries Lafayette ainsi que des appartements privés. « Au début, je recréais l’ambiance de la Plaine Monceau. Heureusement, Florian masculinise et épure. » Ce à quoi l’intéressé rétorque : « Elle pense noir, je pense blanc. Ensemble, nous réussissons à faire du gris. »

Passion photo

Dotée d’un regard qui enveloppe tout ce qui l’entoure sans négliger aucun détail, Stella Cadente joue avec son appareil photo pour transformer une fois de plus la réalité. Lors dela commande d’un livred’images pour les 100ansdu MoulinRouge, elle demande au photographe de mode FlorianClaudel, croisé sur l’un de ses défilés, de se consacrer aux danseurs, l’établissement refusant de les soumettre à un objectif féminin. De cette collaboration (en 2007) naît le duo « Stella & Claudel », un heureux mariage de sensibilités et une même vision décalée et poétique du monde. Aux portraits traditionnels, ils préfèrent la lumière de la bougie pour éclairer leurs modèles grimés en animaux, le temps d’une pauseet de l’expo Instinct. En Sicile, dans cette Italie que Stella vénère, ils prennent des photos sous-marines pour dévoilerles proportions bizarres d’un vêtement immergé dans l’eau. Aux couleurs du Grand Bleu,les clichés hypnotisent dans l’exposition baptisée Aquatica.

Un certain art de vivre

« Un créateur est avide de tout. Il m’est impossible d’aimer les vêtements et de ne pas aimer les objets. Tout est lié. J’ai un appétit de vivre insatiable », tranche Stella Cadente. Décoration d’hôtelset de boutiques, gestion de sa maison d’hôtes à Provins, création d’accessoires et d’objets design, Stella Cadentecultive un art de vivre qui oscille entre romantisme et rock and roll. Les plaisirs simples l’enchantent. En Italie, dansla région d’Émilie-Romagne où elle fait fabriquer sa maille, elle ne rate jamais un marché avant de monter dans son avion. Dans son panier, des cédrats,de la polenta à la truffe blanche qui embaume… À la table de sa maison d’hôtes de Provins, elle a choisi un artisan cuisinier, ancien étoilé, pour distiller dans ses plats les parfums des gourmandises qui la font rêver.

Le goût des voyages

Toujours entre deux avions, Stella et Florian parcourent le monde, quitte à faire un saut de puce à Paris entre un vol arrivé de Shangai et un départ imminent pour Casablanca. En Chine, la créatrice retrouve l’euphorie créatrice des années1980, lorsque tout semblait permis. Au Maroc, elle se passionne pour le fabuleux patrimoine architectural de style Art déco ou néo-marocain de Casablanca. En Angleterre, c’est le raffinement et la sophistication rebelles qui la séduisent. Dans son cœur restent les souvenirs de ses vacances dans la Petite Suisse allemande maternelle, dans le canton de Grison, où son imaginaire s’est imprégné des broderies de couleur, de l’artisanat en bois, des senteurs des sous-bois, de la cannelle et du cloude girofle. « Les pays sont très inspirants par leurs couleurs, leurs parfums, leur nature. Je suis toujours émerveilléepar les fleurs et les animaux. En Afrique, j’ai même essayé d’adopter un lion. »

Affinités électives

De ses collaborations hétéroclites, elle tire une modeste fierté: se donner à fond pour les autres. Le signe de sa grande générosité. Chanel, Paul Ka, Swarovski, Rimmel, Helena Rubinstein, Skoda, Nespresso, lingerie Rosy ou Playboy, elle partage avec les marques la poésie et son âme slave.

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