Les Apaches, les bandes qui terrorisent Paris en 1900, vues par les journaux de l'époque
Rixes au couteau, bagarres entre jeunes, guerre de territoires, délinquance juvénile... La presse évoquait déjà le phénomène des bandes il y a plus d’un siècle, avec les Apaches. Voici comment ces gamins “nés sur le pavé” ont "terrorisé le Paris” de la Belle Époque, donnant du grain à moudre aux journaux les plus racoleurs.
En 1900, des groupes d’adolescents sèment le trouble dans les rues de Paris. Ils ont entre 14 et 20 ans, sont parfois orphelins, échappent à l’école et vivent au jour le jour. Ils viennent de l’Est parisien, de la périphérie, près des anciennes fortifications de la ville.
Auguste Le Breton, écrivain et ancien petit voyou, France Culture 1994Ils se donnent des surnoms en fonction de leur quartier : “les moucherons”, “les saute-aux-pattes de la Glacière”, “les chevaliers du sac”, “les loups de la butte”.
Mais la presse leur trouve bien vite un nom générique plus effrayant : LesApaches.
Henri Fouquier, le Matin, 16 décembre 1900
Jean-Marc Berlière, historien et auteur de l'ouvrage Histoire des polices en France : de l'Ancien régime à nos jours (coécrit avec René Lévy), aux Éditions Nouveau Monde, en 2011 : “On est dans les années 1895-1910, Buffalo Bill a fait sa tournée en France, il y a un début de ce qu’on pourrait appeler les bandes dessinées. Il y a un véritable mythe pour la conquête de l’Ouest américain et les Apaches deviennent une figure symbolique de la peur, de l’anxiété dans Paris.”
Albert Simonin, écrivain qui a fréquenté les apaches décrit sur l'ORTF en 1974 leur existence précaire : "Ils menaient une vie si sinistre, toujours traqués. Je n’en ai jamais connu un qui vivait dans un meublé convenable. Ils vivaient dans des garnis payables à la semaine, sans eau, enfin l’eau sur le carré, pas de gaz dans les périodes de disette quand ils n’allaient pas au restaurant."
Un certain hédonisme libertaire
Ils aiment pourtant l’alcool, le tabac, le jeu, les bals musette et considèrent que “celui qui travaille est un imbécile”. Certains sont proxénètes et mettent sur le trottoir des filles parfois plus âgées qu’eux.
Jean-Marc Berlière : “Il y a un passage d’affirmation de sa virilité, il y a des conflits territoriaux incessants. On défend son territoire, on défend ses femmes, ses “marmites”, c’est leur moyen de subsistance. Et l’autre moyen de subsistance, c’est ce qu'ils appellent “dégringoler un pante”, c’est-à-dire aller attaquer des bourgeois, avec une certain nombre de ruses, les assommer. Une de leurs armes favorites, c’est le coup de boule et à ce moment-là, on prend la montre, le portefeuille.”
C’est une histoire de proxénétisme qui attire l'attention sur les Apaches en 1902 quand deux chefs rivaux se livrent une guerresans merci pour le coeur de “Casque d’or”.
Pour s’identifier au groupe, ils parlent un argot enrichi chaque jour de mots nouveaux, comme “la renifle” qui désigne les policiers tant exécrés.
Fernand Trignol, voyou repenti, décrit le quotidien typique d'un apache sur la RTF en 1950 : "Dénicheur est un mec de Belleville, il était de la rue Compans exactement. Il s’appelait Hippolyte Poli. Il régnait sur Paris, réglait des conflits, faisait le marlou dans des fiacres avec sa bande. Le matin aux Ternes, le soir à Grenelle, à minuit aux Halles. Il était la terreur de Paris.”
Les gamins des rues arborent des tatouages, et un accoutrement reconnaissable : rouflaquettes, espadrilles ou chaussures luisantes, pantalons très larges, foulard rouge, casquette à pont et veston cintré.
La coqueluche des grands quotidiens
Des quotidiens qui tirent à plus d’un million d’exemplaires se régalent de ces histoires. Certains éditorialistes déplorent le laxisme de la justice et réclament la guillotine. Ils imaginent que les conditions de détention de ces délinquants sont trop clémentes.Jean-Marc Berlière : “Et ça multiplie les articles dans la presse, des articles très anxiogènes : Que fait le gouvernement ? Que fait l’Etat ? Que font nos élus pour défendre nos populations. Cela persuade les gens qu’ils vivent dans une époque où il y a moins de sécurité que jamais. On a l’impression d’un retour au Moyen Âge. Et l’insécurité devient un sujet politique.”
Les journalistes n’hésitent pas à exagérer et à inventer des agressions pour vendre plus, alors que paradoxalement, les années 1900 connaissent une baisse de la délinquance juvénile sur le long terme.
La plupart de ces “récalcitrants” sont mobilisés sur le front en 1914. Beaucoup n’en reviennent pas. D’autres sont envoyés au bagne en Guyane.
Diabolisés par la presse, enjolivés par la chanson et romancés par le cinéma, les Apaches incarnent la peur d’une société qui n’a plus prise sur sa jeunesse. Une peur qui reviendra avec d’autres visages au XXe siècle avec les Blousons noirs, les Punks ou les “banlieusards”.