« Le gazon est un non-sens écologique » : et si on rangeait enfin tondeuses, engrais et pesticides ?

« Le gazon est un non-sens écologique » : et si on rangeait enfin tondeuses, engrais et pesticides ?

Elle vient d’un coup, sans prévenir, à l’écoute du « tchic-tchic » matinal de l’arrosage automatique ou tandis qu’on noie la pelouse, tuyau en mains. Cette vague sensation de malaise teintée de culpabilité face au gazon semé, roulé, nourri d’engrais organique, tondu, scarifié, semé encore, inlassablement arrosé mais pas bien beau, finalement. Pas envie de se l’avouer mais on le pressent : une époque est révolue que symbolisait l’impeccable tapis vert.« Le gazon est un non-sens écologique » : et si on rangeait enfin tondeuses, engrais et pesticides ? « Le gazon est un non-sens écologique » : et si on rangeait enfin tondeuses, engrais et pesticides ?

Sur gazon se déroulait la vie pavillonnaire, entre les haies taillées au carré et les rosiers en plates-bandes. La tonte bruyante du samedi, le barbecue du dimanche, le foot mêlant les enfants, les regards des voisins jaugeant à la hauteur du brin d’herbe les qualités morales du jardinier, au pissenlit près. Les « trente glorieuses » fleuraient l’herbe tondue, sur le modèle propret des lotissements de banlieue américaine. La moquette de graminées prolongeait celle du salon. Maniant tondeuse et chimie, le père de famille offrait le confort rassurant d’une nature domestiquée.

Le jardin : une histoire de domination sociale

Une parcelle d’herbe sans culture, donc non nourricière : au Moyen Âge, seuls les moines, seigneurs et rois peuvent s’offrir ce luxe. Les premiers gazons poussent aux abords des châteaux et demeures seigneuriales. Devenus signes de distinction sociale, ils dessinent les complexes jardins à la française, à la fin du XVIIe siècle. Pour Louis XIV, c’est d’un vaste rectangle de gazon (alors appelé « tapis vert ») que Le Nôtre souligne la perspective du Grand Canal, dans le parc de Versailles.

L’élite anglaise du XVIIIe siècle se pique de recréer au jardin de romantiques paysages pastoraux, ensuite copiés par les aristocrates américains. La révolution industrielle amène les tondeuses manuelles puis à moteur (1919), qui connaissent un énorme succès à partir des années 1960, ainsi que les engrais et désherbants chimiques. Parti d’Europe, le gazon y revient, actant l’ascension sociale des classes moyennes suburbaines sous influence américaine. Mais au Canada naît une rébellion antigazon, qui s’étend dans toute l’Amérique du Nord des années 1970 : halte à la pression sociale, vive le Freedown lawn, le gazon de liberté, échevelé et sans intrants chimiques !

« Le gazon est un non-sens écologique » : et si on rangeait enfin tondeuses, engrais et pesticides ?

Le millénaire a changé mais la culture du gazon a de beaux restes. Chez nous, les 12 millions de jardins avec pelouse ont fait éclore un marché (semences, outillage, produits…) de près d’un milliard d’euros, « dont 82 millions pour les semences de gazon destinées aux particuliers, qui sont en plein boum », évalue Jean-Marc Lecourt, président de l’association Société française des gazons. On friserait même la « pénurie européenne », à croire la Semae, interprofession des semences et plants. Chez Gamm vert et Jardiland, jardineries du groupe InVivo, le printemps 2021, côté graines de gazon, a été plus florissant encore que celui de 2019 (dernière comparaison possible), appuie Carole Fischel, qui y dirige le secteur végétal : « Les investissements pour le jardin ont augmenté. Or le gazon reste un élément important de sa constitution. » Le premier réflexe de l’acquéreur de maison qui ne sait trop que planter sur son bout de terre tant espéré.

Moquette ou herbe à vaches

Du vert en boîte en carton. Les paysagistes en sèment à tout-va chaque printemps, bien que l’automne soit plus approprié. « Il y a encore du boulot pour faire accepter autre chose qu’un gazon uniforme, surtout aux plus de 40 ans, soupire Olivier Planchenault, qui exerce à Champigné (Maine-et-Loire). Au départ, les clients disent tous qu’ils n’attendent pas un green de golf. Mais dès qu’apparaissent des adventices au printemps, ils reviennent vers moi : “Il y a quand même des mauvaises herbes… Comment allez-vous procéder ?” Le trèfle, le pissenlit, la pâquerette, ça fait herbe à vaches, eux ont payé pour du gazon, celui qu’on fait tondre le vendredi avant l’arrivée des invités. Pour son côté tape-à-l’œil. Ils se mettent à quatre pattes pour chercher le trèfle, ils sont obnubilés par la notion du “propre”. »

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