« La Plus Secrète Mémoire des hommes », de Mohamed Mbougar Sarr : le feuilleton littéraire de Camille Laurens
« La Plus Secrète Mémoire des hommes », de Mohamed Mbougar Sarr, Philippe Rey/Jimsaan, 460 p., 20 €, numérique 11 €.
L’OR DU MONDE
Pour inaugurer cette rentrée littéraire, aucun roman ne convient mieux que La Plus Secrète Mémoire des hommes, de Mohamed Mbougar Sarr. A guère plus de 30 ans, cet écrivain, né en 1990 au Sénégal et déjà couronné du prix Ahmadou-Kourouma, signe là son quatrième livre, et sa maîtrise impressionne autant que son refus des concessions. S’il s’amuse de tel écrivain à la mode qui, « à force d’être dans l’air du temps, finira enrhumé », on n’est pas inquiet pour sa propre santé : il respire la littérature sans souci d’anachronisme.
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— Gang Task Force Sat Dec 19 20:37:02 +0000 2009
Ouvrir la saison avec ce roman n’est cependant pas sans risque pour la feuilletoniste. Il raconte en effet comment un jeune écrivain sénégalais contemporain, Diégane Latyr Faye, s’étant pris de passion pour un livre culte publié en 1938 et désormais quasi introuvable, Le Labyrinthe de l’inhumain, part sur les traces de son auteur, T. C. Elimane, mystérieusement disparu après qu’une violente polémique a terni sa réputation à Paris. Pour cela, il se plonge dans les recensions faites à l’époque et découvre que tous les critiques ayant parlé du roman, en bien ou en mal, sont morts peu après. Coïncidence ? Certainement pas. « Je vais te donner un conseil : n’essaie jamais de dire de quoi parle un grand livre. Ou si tu le fais, voici la seule réponse possible : rien. Un grand livre ne parle jamais que de rien, et pourtant tout y est. » Les seuls commentateurs acceptables doivent parler de la littérature « de l’intérieur, en praticiens, en hantés et en habités, en amoureux, en fous, en folles furieuses, ceux et celles pour qui elle signifie l’essentiel, même si l’essentiel se déguise parfois en anecdote ou en futilité ».
Le roman de Mohamed Mbougar Sarr n’est pas déguisé, rien n’y est futile, et même les grands moments d’humour ont la densité de la nécessité. A l’instar du livre objet de la quête, il se présente comme un vaste labyrinthe, mais un labyrinthe de l’humain – généalogique, politique, esthétique – où l’auteur, sans nous tenir par la main, ne nous perd pourtant jamais. Dans cette construction borgésienne qui a quelque chose d’une enquête policière, récits et témoignages se tissent et s’enchevêtrent, laissant le narrateur et le lecteur cerner ensemble un peu mieux, au fil de conjectures bientôt démenties et d’interprétations flottantes, le fantôme d’Elimane. Les femmes qui l’ont aimé, les amis qui l’ont connu, lui et ses proches, ses écrits eux-mêmes dressent de lui un portrait ambigu, parcellaire, composé de « biographèmes » successifs. Qui détient le fin mot de ce destin opaque, placé dès l’origine sous le signe de la mélancolie ? Est-ce la puissante romancière Siga D., « l’Araignée-reine », cousine ou peut-être sœur d’Elimane, on ne sait ? Ou bien la poète haïtienne qui a partagé sa vie par intervalles érotiques ? La clé se trouve-t-elle dans son enfance, dans la terrible histoire de ses parents ? Que cherchait-il loin de chez lui – ou qui ?
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