Wearable tech : prêts pour la mode du futur ?

Wearable tech : prêts pour la mode du futur ?

Google, Samsung et Apple innovent aujourd’hui dans le prêt-à-porter, où les avancées technologiques s’invitent dans notre garde-robe. Une mode hyperconnectée, comme une interface entre le corps et le virtuel.Wearable tech : prêts pour la mode du futur ? Wearable tech : prêts pour la mode du futur ?

Caressez l’extrémité de votre manche vers l’extérieur, et vous voilà en communication avec votre maman, ou plongé·e dans votre podcast préféré. Une chatouille dans la direction inverse, et vos écouteurs vous susurrent soudainement le chemin le plus rapide vers votre destination, tout en vous indiquant en route vos restaurants favoris. Tapotez la même zone et prenez ainsi une photo à distance depuis votre portable. Votre veste entière vibre ou clignote ? Pas de panique, elle cherche seulement à vous alerter d’un oubli.

Cette chorégraphie utilitaire est signée Jacquard by Google, soit le projet de mode intelligente auquel œuvre le géant d’internet depuis des années, et qui vient de dévoiler un tout nouveau modèle de veste en denim connectée en partenariat avec Levi’s. Fier de ses collaborations à haute technicité avec des marques d’importance – Adidas, Saint Laurent, Samsonite –, Google revendique cette technologie interactive qui consiste à insérer dans un vêtement ou un accessoire des tissages ou des puces reliés à ses écouteurs et à son téléphone par Bluetooth.

À lire aussi : [Portfolio] Regina Demina passe en mode femme cyborg

Avec ces semelles de basket calculant nos efforts physiques ou ces sacs à dos nous alertant d’une averse ou d’un rendez-vous à ne pas manquer, le but annoncé par Jacquard by Google tient dans un slogan utilisé lors de la campagne promotionnelle avec Levi’s : “Connected not distracted” (“connecté pas distrait”). Est formulée ainsi une promesse de réduction du temps passé derrière son écran à vagabonder sur les réseaux sociaux pour favoriser une nouvelle efficacité fondée sur l’optimisation de l’intime et du sensoriel, à travers une machine rendue invisible mais plus indispensable que jamais.

Fantasmes et gadgets

Wearable tech : prêts pour la mode du futur ?

Cette avancée n’est pas propre à Google, elle représente un secteur du marché au croisement de la mode et de la haute technologie appelé smart fashion ou wearable tech. Depuis l’Apple Watch en 2015, précurseuse d’une tendance alors relativement confidentielle, on trouve aujourd’hui une ribambelle de produits expérimentaux et de plus en plus raffinés qui rendent possible un vestiaire à la fonctionnalité décuplée.

Des polos (les Polo Tech) de Ralph Lauren – qui permettent de calculer le rythme cardiaque et la distance parcourue à pied en une journée – à Samsung qui propose un costume intelligent capable de distribuer votre carte de visite électronique d’un smartphone à un autre, de déverrouiller votre téléphone à distance et d’allumer votre haut-parleur. Plus gadget encore, Pizza Hut a présenté une basket qui permet de commander des pizzas.

Dans une autre veine, la marque de sport Under Armour a imaginé la ligne de vêtements de nuit UA RECOVER qui absorbe la chaleur du corps et la restitue sous forme de lumière infrarouge, promettant de calmer les courbatures consécutives à un effort physique. Sans compter les maillots de bain Neviano qui captent la température ambiante et la quantité de rayons lumineux et nous rappellent de remettre de la crème solaire.

À lire aussi : Quand la Fashion Week passe en mode virtuel

Loufoques ou utopiques, ces avancées résultent de fantasmes et d’expérimentations titillant la frontière entre les humains et la science, depuis les vêtements rebrodés de fibres électriques au XIXe siècle notamment. Que penser de cette symbiose entre notre corporalité et l’intelligence artificielle ? La promesse d’une humanité augmentée ou, au contraire, d’une société de surveillance plus présente que jamais dans notre quotidien ?

Une existence hyperconnectée propre à notre époque, mais qui n’est pas sans soulever de nombreuses questions, notamment quant à l’usage de nos données par les grandes corporations capitalistes.

Seconde peau

Pour la créatrice de haute couture high-tech Clara Daguin, ce rapprochement entre le vestiaire et la machine permettrait de rêver “une seconde peau sur laquelle on peut projeter un avenir où la technologie se rapproche de plus en plus du corps et fusionne avec lui”. Née en France et élevée dans la Silicon Valley, la styliste propose des vêtements sculpturaux qui oscillent entre savoir-faire et science-fiction, ne cessant de questionner la relation entre le naturel et l’artificiel.

“Ma philosophie est de faire évoluer le travail de la main avec la technologie et de rendre la technologie plus humaine et poétique dans notre interaction avec elle.” Clara Daguin, styliste

Lors de la semaine de la haute couture parisienne en juillet dernier, elle présentait une collection découlant d’une carte blanche proposée par Google. Avec l’aide d’ingénieur·es, elle a créé à cette occasion une série de cinq robes intégrant la fibre intelligente élaborée par la firme pour un effet lumineux et interactif – comprenant des LED, des circuits, des fréquences radio –, donnant ainsi à voir des créations brillantes, dont une pièce centrale scintillant au contact de la paume des mains des visiteurs et visiteuses.

Clara Daguin s’inscrit dans une génération de mode expérimentale au sein de la smart fashion, vague de créateur·trices d’avant-garde mêlant savoir-faire artisanal hautement manuel et perspective high-tech, deux dimensions qui relient passé et futur : “L’électronique évolue exponentiellement et, à l’inverse, la broderie existe depuis des millénaires. Ma philosophie est de faire évoluer le travail de la main avec la technologie et de rendre la technologie plus humaine et poétique dans notre interaction avec elle.”

Avant elle, la mode contemporaine expérimentale n’avait cessé de se réinventer à l’aune de l’innovation technologique. Au tournant du millénaire, le styliste britannique d’origine chypriote Hussein Chalayan, précurseur d’une mode connectée, collaborait avec l’artiste contemporaine Jenny Holzer autour de robes devenant des écrans sur lesquels étaient projetés un film ou des textes, telle une mise en abyme de la société du spectacle à l’heure du tout-numérique.

Plus récemment, en 2016, le designer new-yorkais Zac Posen imaginait une tenue de bal brillant dans le noir grâce à des broderies en fibre optique ; et la maison de mode américaine Marchesa s’associait à IBM pour la conception d’une robe du soir qui reflétait, par un changement de couleurs, les réactions de son public lors d’un gala – à travers les tweets partagés lors de l’événement et les réactions enregistrées au même instant sur les réseaux sociaux.

Sans oublier la Néerlandaise Iris van Herpen, créatrice défricheuse spécialisée dans l’impression 3D de collections entières, qui, en 2013, avait équipé ses modèles de fonctions surprenantes : l’un de ceux-ci conduisait par exemple de l’électricité et générait de véritables éclairs.

Elles participent à une étude sur la Cloud Generation – l’émergence d’une génération hyperconnectée au sein des millennials –, portant sur une jeunesse qui, dans son quotidien, fusionne ses prises de parole réelles et ses avatars virtuels.

Cette hybridation entre vêtement et machine n’est pas sans rappeler les écrits autour de l’être cyborg de la théoricienne du genre Donna Haraway, qui appelait ses lecteur·trices à gommer les distinctions hiérarchiques entre l’espèce humaine, la technologie, mais aussi la nature et le règne animal – un nouvel horizon ?

Mots clés: