C’est quoi un « beau » sexe?

Lèvres trop grosses, pénis jugés disgracieux : les sexes ont des complexes et des critères de beauté. D’où un recours de plus en plus fréquent à la chirurgie intime. Mais au fait, c’est quoi un “beau” sexe ?

Prenons les paris : dans cinq ans, internet foisonnera de diaporamas de stars avant/après leur opération du sexe. Exit les photos de nez bien droits et de 90E plantureux, place aux images de vulves refaites. Les opérations existent et se popularisent. Elles s’appellent “nymphoplastie”, “labiaplastie” ou encore “labioplastie” et consistent à réduire les petites ou les grandes lèvres du sexe féminin contre 2 000 euros environ. Les chirurgiens sont formels : la demande est croissante. Si l’on ne possède pas de statistiques en France, le nombre de nymphoplasties pratiquées au Royaume- Uni a augmenté de 50 % ces cinq dernières années. Depuis 2005, les messages consacrés au complexe des “petites lèvres qui dépassent” pullulent sur les forums sexo. “Elle est grosse et renflée, je ne l’aime pas, balance Orkiday au sujet de sa vulve sur Aufeminin.com. Quand je vois les autres avec un sexe bien plat, des strings bien échancrés et une petite chatte toute mignonne, je les envie vraiment.” Sur Doctissimo, Coralie, 15 ans, s’épanche : « Je suis hyper complexée par ma vulve, j’ai l’impression qu’elle n’est pas normale. En fait, mes petites lèvres dépassent des grandes lèvres et en clair quand je me mets debout devant la glace on voit un petit peu les petites lèvres et je trouve ça horrible.” Une seule question : “Suis-je normale ?” Lili Puce, 16 ans, lâche sur Santé-médecine.net : “Toute ma vulve dépasse, elle est trop grande par rapport aux grandes lèvres, ou les grandes lèvres sont peut-être trop petites ?” Leur répondent des femmes déjà passées sur le billard, comme Luce qui décrit l’après-opération sur Aufeminin.com : “Ça reste impressionnant les premiers jours car c’est hyper gonflé et violet mais il ne faut pas paniquer, il faut attendre minimum dix jours avant de savoir ce que ça donne. Tu auras des fils qui sont résorbables ou que le chirurgien t’enlèvera.” Elle conseille au passage : “Apporte des photos de sexes que tu aimerais avoir.”

La nymphoplastie n’est pas la seule intervention esthétique concernant le sexe féminin. Au rayon chirurgie intime, les chirurgiens-plasticiens proposent également un rajeunissement de la vulve avec injection dans les grandes lèvres d’acide hyaluronique (aux propriétés hydratantes et volumatrices) ou de graisse prélevée sur une autre partie du corps. Objectif: repulper les “lèvres qui deviennent flasques, qui diminuent avec le temps”, explique le Dr Bénadiba. Basé à Paris, ce chirurgien-plasticien, spécialisé dans la chirurgie intime, réalise deux à trois labiaplasties par semaine depuis maintenant dix ans. Ses patientes ont en majorité entre 25 et 35 ans. “Mais je reçois aussi des mineures et des femmes de plus de 60 ans”, précise-t-il. Aucune ne s’est pointée avec une photo de vulve “idéale” mais toutes ont débarqué avec d’énormes complexes. “La plupart de ces femmes sont gênées physiquement, par exemple pour faire du sport, avoir des rapports sexuels ou même dans des vêtements.”

La mode est à la vulve fringante, jeune et dynamique

Eléonore a franchi le cap il y a quelques mois après avoir été complexée pendant une dizaine d’années. “Je ne regrette rien, le résultat est très satisfaisant et naturel. Je me sens plus libre dans mes mouvements.” De même pour Julie, 32 ans : “En sous-vêtements ou en maillot, je sentais une gêne. C’était aussi douloureux parfois pendant les rapports avec mon mari.” D’autres consultent par pur souci esthétique. Car la mode est à la vulve fringante, jeune et dynamique. Si la chirurgie intime est née aux Etats-Unis et au Brésil à la fin des années 90, c’est la mode de l’épilation intégrale qui l’a propulsée sur le devant de la scène : sans poils, la vulve se révèle, avec ses forces et ses faiblesses. Le porno s’est ensuite chargé de véhiculer une image imberbe, lisse et harmonieuse du sexe féminin. “Je reçois de très jeunes filles qui se sont comparées avec d’autres ou avec des actrices de films X à la recherche de normalité”, confirme le Dr Bénadiba.

Pourtant, du côté du porno, on nie en bloc tout recours à ce type d’opération. “Les actrices ne font jamais ça. Pas à ma connaissance en tout cas”, assure l’actrice Anissa Kate. Céline Tran, ancienne porn-star connue sous le nom de Katsuni, dit ne rien connaître sur le sujet mais glisse : “C’est peut-être encore tabou.” La responsable du service presse et communication de Dorcel, Adeline Anfray, nous répond : “La chirurgie des sexes n’est pas pratiquée chez nous. Il n’y a pas de critères de beauté des sexes. Les filles ont toutes des sexes différents, avec des lèvres qui dépassent ou non, des chairs claires ou plus foncées… Ce n’est pas là-dessus que nous recrutons.” Le traitement réservé aux acteurs porno est bien différent. “La taille du sexe masculin est déterminante, c’est simplement plus visuel. Mais sa forme non. Nous travaillons avec des hommes qui ont des sexes tordus ou dont l’érection dévie”, explique Adeline Anfray. Toujours est-il que les membres imposants (et épilés) des acteurs de films X filent des complexes aux hommes, qui ont eux aussi de plus en plus recours à des opérations de chirurgie esthétique. Le Dr Azoulay, qui pratique la chirurgie intime à Paris depuis cinq ans, assure assister à une véritable explosion des opérations du pénis, pour des grossissements ou allongements de la verge.

C’est quoi un « beau » sexe?

La première opération consiste à injecter de la graisse ou de l’acide hyaluronique dans le pénis. Problème : les effets s’estompent en règle générale au bout de huit mois. La seconde nécessite de sectionner les ligaments suspenseurs situés à la base du sexe, ce qui permet de gagner entre 10 mm et 2 cm tout au plus, et uniquement au repos. Si le grossissement de la verge va venir pallier un manque de frottement lors de la pénétration, l’allongement ne vise, lui, qu’à soulager celui qui présente un “syndrome du vestiaire”. “Souvent, les hommes expliquent qu’ils trouvent leur pénis petit car au vestiaire de la salle de sport ils en voient des plus gros que le leur. On va alors traiter le pénis comme un nez qui a une petite déformation. Psychologiquement fragilisé, on est prêt à tout”, analyse Ronald Virag, chirurgien-urologue auteur du Sexe de l’homme (Albin Michel, 1997). Sur le forum du site Doctissimo, un certain Blackstrobe, 24 ans, décrit son complexe :

Immédiatement, un internaute lui conseille de se renseigner sur les injections d’acide hyaluronique. Pourtant, pour Ronald Virag, seul un “syndrome du petit pénis aggravé”, soit une verge inférieure à 7 cm de long en érection, justifie véritablement une intervention. Pour les minipénis, des solutions plus radicales et plus complexes existent : reconstructions péniennes, tuteurs à l’intérieur de la verge, élargissement au moyen de greffes de biomatériaux étrangers. Pour les micropénis (inférieurs à 5,5 cm en érection), la chirurgie reconstructrice propose même des néophallus, également utilisés dans le cas d’un changement de sexe. “Quant au syndrome du vestiaire, le meilleur moyen de le guérir est d’expliquer aux patients que la chirurgie ne va rien supprimer, que ce n’est pas acquis. Le pénis n’est pas un organe normal. Quand on l’opère, on prend le risque de modifier sa façon de bander”, met en garde Ronald Virag. Pour le Dr Azoulay, ce type d’opération apporte au contraire “un bien-être psychologique” au patient :

C’est aussi l’argument psychologique qui est invoqué pour justifier la labiaplastie. Pourtant, les conséquences ne sont pas à prendre à la légère : “Il faut aussi faire très attention à ce type de chirurgie car c’est un organe hyper sensible, on peut induire des troubles de la sensibilité, de la perception”, assure Ronald Virag qui, au passage, apporte un sérieux bémol aux injections d’acide hyaluronique dans la zone du point G destinées à provoquer davantage d’orgasmes en augmentant la sensibilité de la zone, mais dont les effets ne sont pas scientifiquement prouvés. Mélanie, 27 ans, infirmière, les a pourtant bien sentis, les effets. Il y a sept mois, prenant exemple sur une amie, elle a procédé à une injection chez le Dr Azoulay : “Le changement est radical !”, s’exclame-t-elle au téléphone. Les effets s’estompant déjà, elle a décidé d’en faire une deuxième l’année prochaine.

Les féministes VS le designer vagina

Tout le monde n’est pas aussi enthousiaste. Créée en 2000 pour lutter contre “la médicalisation de la sexualité”, l’organisation américaine New View Campaign livre une guerre sans pitié à ce que l’on appelle outre-Atlantique et outre-Manche le “designer vagina”, le sexe féminin esthétiquement modifié. Pour Leonore Tiefer, docteur en psychiatrie à l’université de New York et membre active de New View Campaign, la labiaplastie cause des “cicatrices inutiles” et un “sentiment d’insécurité psychologique et sexuelle”.

Dans une vidéo parodique disponible sur YouTube et réalisée par New View Campaign, un chirurgien crapuleux explique à son jeune assistant comment créer des complexes chez les femmes et trouver des solutions onéreuses pour les en débarrasser.

Le court métrage dénonce l’influence néfaste des images porno, des magazines féminins, des célébrités et le faux discours féministe prônant la liberté de la femme à l’œuvre derrière la chirurgie esthétique des sexes. “La beauté a toujours été une préoccupation humaine mais elle est désormais devenue un marché très florissant”, explique Sophie Cheval, auteur de Belle autrement ! – En finir avec la tyrannie de l’apparence (Armand Colin, 2013). Elle l’affirme : ledit marché ne perdure que parce qu’il entretient des complexes chez l’homme et la femme, au travers notamment des magazines féminins et masculins. Deuxième problème pointé par la psychologue : en portant toute notre attention sur l’esthétique du sexe, on en oublie sa fonction première qui est de procurer du plaisir.

Lancé cette année, le site Large Labia Project collecte et expose des photos de vulves de toutes sortes. Des grosses, des longues, des menues, des tordues, des rouges, des roses, des mates, des poilues, des piercées… Sa créatrice australienne, Emma P., raconte avoir eu l’idée de ce projet en apprenant, dans un documentaire diffusé à la télé, que l’essor de la labiaplastie en Australie était en partie dû au fait que les magazines porno gomment le sexe de leurs modèles à l’aide de logiciels de retouche. “Je voulais montrer la diversité de nos vulves et ainsi lutter contre les idéaux de beauté que l’on impose aux gens jusqu’à leur faire croire que quelque chose cloche chez eux, nous explique-t- elle. Mon site est un endroit qui n’est pas dangereux, qui n’est pas érotique et où les femmes peuvent voir d’autres vulves. Ce n’est pas du porno, ça se rapproche plus d’une étude clinique.” Emma ne se contente pas de poster des photos de vulves, elle prend le temps à chaque fois de discuter avec ses interlocutrices et poste souvent leurs témoignages sur son site.

A travers son projet, la jeune femme interroge les normes esthétiques imposées par la société et pose une troublante question : qu’est-ce qu’un “beau” sexe ?

« Si le pénis est doux, qu’il sent bon, ça participe aussi à en faire une belle bite »

Sophie, 30 ans, se souvient qu’ado, la vision d’une de ses copines nue l’avait amenée à se demander si son propre sexe était “normal”. Puis, alors qu’elle avait 20 ans, son copain lui avait dit que son clitoris était “bizarre”. “Ça m’a rendue parano pendant des années jusqu’à ce que je me rende compte que les mecs suivants ne s’en plaignaient pas. J’ai compris qu’il n’y avait pas de normes. Maintenant, je m’en fous un peu.” En matière d’esthétique du sexe, chacun a ses critères de beauté, souvent bien précis. Lisa, 30 ans, explique préférer les sexes de femme avec un peu de poils. “Mais pas de ticket métro, ça fait actrice porno.” Quant aux pénis, elle n’aime pas les “bites champignon avec un gland très gros” mais apprécie “les veines saillantes”. “J’avais un plan cul qui s’épilait entièrement et c’était pas désagréable mais ça faisait bizarre”, lâche-t-elle. Lorsqu’on l’interroge sur ce qu’est une belle vulve, Raphaël, 28 ans, opte pour les adjectifs “démonstrative, présente, externe”. Le pénis, lui, “doit être bien proportionné par rapport au corps du mec, assure-t-il. Les bites tordues en érection c’est bof, j’aime bien qu’elles soient raides et droites. Une bite au repos bien proportionnée, ça peut être magnifique. Enfin, souvent, c’est décevant.” Il confie se sentir dégoûté par un sexe “de couleur violette” et préférer “les mats”. “Si le pénis est doux, qu’il sent bon, ça participe aussi à en faire une belle bite”, ajoute-t-il.

Thomas, 27 ans, kiffe les sexes féminins qui “laissent deviner leurs petites lèvres”. “C’est chaud et cosy. Mais en même temps, ils ne doivent pas trop en dire pour garder le côté territoire à explorer.” A l’inverse, le pénis est pour lui “la partie du corps masculin la moins gracieuse”.

Anaïs, 27 ans, a une préférence pour les sexes circoncis. Quant à Louise, 26 ans, si elle assure ne pas avoir de critères spécifiques concernant la beauté du sexe féminin (“il reflète notre personnalité”), elle en aligne pas mal lorsqu’il s’agit du pénis : “Il doit être droit, assez long et large (pas trop quand même, il faut pouvoir le mettre dans la bouche !) Et avoir une jolie couleur.”

La popularisation des pratiques oraux-génitales (fellation, cunnilingus) a sans doute entraîné une augmentation des opérations chirurgicales. Il y a un siècle, ces relations étaient réservées au cadre de la maison close. N’étant pas destinées à la reproduction, elles n’avaient pas de raison d’être au sein du couple marié. De plus, mettre sa bouche en contact avec un sexe n’était pas jugé hygiénique. “Aujourd’hui, presque tous les moins de 35 ans ont des rapports oraux- génitaux. De là découle aussi la pratique du sexe épilé et de la chirurgie labiale”, estime Philippe Brenot, psychiatre et sexologue. Au contact du visage de l’autre, le sexe s’expose dans toutes ses imperfections et sa fragile beauté. Si les années 90 ont vu exploser la chirurgie plastique des seins, les années 2000 celle des fesses, les années 2010 devraient être celles du grand boom de la chirurgie des sexes.

—> The Great Wall of Vagina de Jamie McCartney.

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