Label jaune, la griffe "upcouture" des Petits Riens
Tandis que le cliquetis de la machine à coudre bat le tempo, les ciseaux glissent sur le tissu avec précision et célérité suivant les traits dessinés sur un patron de papier, laissant apparaître les contours d’une pièce d’un vêtement en devenir.
Installée dans un modeste atelier à l'étage du labyrinthique magasin central des Petits Riens à Ixelles, la petite équipe du "Label jaune" est à l'ouvrage dans une atmosphère à la fois détendue et studieuse. Sophie, la modéliste, prépare soigneusement les pièces qui constitueront sa future création, alors que d'autres couturières transforment d'anciennes cravates bariolées pour en faire des bandeaux pour les cheveux.
L'idée du "Label jaune" a vu le jour en 2017 dans la cave d'une boutique de l'association implantée à Stockel, nous explique Barbara Malik, la coordinatrice du projet. "Dans la mesure du possible, nous revendons prioritairement toutes les pièces collectées qui sont encore en bon état, mais on est parti du constat que nous avions un gisement important de tissus invendus dans notre centre de tri. On s'est dit qu'il devait être possible de puiser dans celui-ci pour faire de nouvelles créations. Cela permet de proposer une diversité de produits à notre clientèle, de prolonger la vie de ces vêtements et d'essayer d'en tirer de la valeur ajoutée plutôt que de les envoyer chez des recycleurs."
Une clientèle qui est diverse, souligne au passage notre interlocutrice. Si une partie des personnes qui fréquentent les boutiques des Petits Riens le font pour des raisons de coûts et de nécessité, d’autres y viennent parce qu’elles ont choisi de se tourner vers un mode de consommation plus durable où la réutilisation d’objets, de meubles ou de vêtements usagés prend tout son sens
Les premiers pas, consistant à réaliser des housses de coussins, furent prudents. Mais le bon accueil reçu par la démarche a encouragé ses promotrices à répondre à un appel à projets dans le cadre du programme bruxellois Be Circular, qui leur a permis d'obtenir un soutien de 80 000 € pour développer leur gamme et donner davantage d'ampleur à cette initiative d'upcycling. Un budget qui leur a permis de s'installer dans le bâtiment de la rue Américaine et d'investir notamment dans quelques outils de qualité.
Une bonne nouvelle malheureusement ternie par l'éclatement de la pandémie de Covid-19, début 2020, qui est venu contrecarrer la concrétisation de multiples aspirations portées par l'équipe. "Trois confinements d'affilée, fermeture de l'atelier et du réseau de boutiques… Ce n'était pas vraiment le contexte idéal", résume Barbara Malik.
Mais grâce à la prolongation des subsides, le projet a tenu bon. "À ce stade, nous faisons face à un nouveau défi car nous ne sommes plus subsidiés. Mais l'association croit au Label jaune et elle a décidé de continuer à le supporter. À nous de devenir des 'rock stars'de l'upcycling. On se donne trois ans pour voir où on en sera en prenant 2022 comme année de référence", sourit-elle.
Pour y arriver, l’équipe réfléchit à des pistes de financement externes, comme des donations privées, par exemple.
Du “fait main” de qualité doublé d’un projet d’insertion socioprofessionnelle
If you have holes, cracks, and dents in your wooden furniture and household items, then you may need to use wood pu… https://t.co/j4ZEiFyntm
— Ten Reviewed Wed Mar 28 01:00:08 +0000 2018
Car la rentabilité de ce type de démarche n'est pas simple à atteindre, reconnaît Barbara Malik, dans la mesure où "il s'agit d'un travail de création qui demande du temps, beaucoup de manipulations et de travail d'assemblage. C'est vraiment du fait main avec un souci de qualité".
En outre, comme toujours chez les Petits Riens, la dimension sociale est intimement liée à l'activité commerciale. "La volonté est aussi de greffer sur l'atelier un projet d'insertion et de formation aux nouveaux métiers d'artisanat. Le projet reposera toujours sur une partie de bénévolat, mais l'idée est aussi de permettre à certaines personnes de se former pendant un an pour ensuite pouvoir se tourner vers le marché de l'emploi traditionnel. L'objectif est de leur donner les clefs de leur autonomie."
À l'heure actuelle, dix-sept couturières se relaient ainsi à l'atelier, à raison de quatre heures par semaine chacune, encadrée par Sophie, la modéliste, et une couturière professionnelle engagée trois jours par semaine pour réaliser les pièces les plus techniques. "La plupart de nos bénévoles ont une expérience de la couture même si ce n'est pas forcément à un niveau professionnel", complète Barbara Malik.
Une opportunité qu'a saisie la jeune Lola. "Je travaille ici comme bénévole depuis plusieurs mois après avoir fait des études de couture, nous raconte-t-elle. Cela me permet de redécouvrir certaines bases techniques que je connais mais que j'ai un peu oubliées". Avec l'espoir d'acquérir de l'expérience et d'approfondir ses compétences en attendant de trouver du travail, confie-t-elle.
À ses côtés, Naomi a pour sa part négocié avec son employeur la possibilité de disposer d’un après-midi par semaine pour venir travailler à l’atelier. Également bénévole, cette passionnée de couture vient pour sa part avant tout pour son propre plaisir et pour la satisfaction d’éviter de gaspiller du tissu.
Une gamme élargie
Affiché au mur, un tableau résume les objectifs de production de la semaine. Une gamme qui s'est notablement élargie et dont la production varie en fonction de la demande de réassortiment des boutiques, mais aussi du type de pièces à réaliser qui demandent un temps de conception plus ou moins long, explique Astrid la responsable de l'atelier. "On s'est essentiellement concentré sur l'habillement. On a des bandeaux pour les cheveux, des petites blouses, des chemises, des pulls à col roulé ou avec des coudières réalisés en associant plusieurs tissus… énumère-t-elle. Nous essayons aussi d'avoir une offre qui permet de toucher plusieurs types de personnes, plus classiques ou plus modernes. Il s'agit à chaque fois de pièce unique."
L'objectif est à terme d'arriver à fournir les 30 boutiques du réseau Petits Riens, soit vingt-cinq de plus qu'actuellement. Il y a donc du pain sur la planche. Les premières expériences ont permis de faire des tests et de voir comment présenter leurs réalisations "pour mettre en évidence la marque dans les magasins et avoir la meilleure approche commerciale possible", poursuit notre interlocutrice. "On a pris le pli de livrer nos boutiques toutes les semaines de manière très régulière car les clients ont l'habitude d'avoir une grande diversité dans nos magasins. Ils passent régulièrement y jeter un coup d'œil car ils savent qu'il y a du nouveau quasiment tous les deux ou trois jours."
Côté prix, Label jaune se situe en milieu de gamme, juge-t-elle. "Forcément un peu au-dessus des tarifs pratiqués habituellement chez Les Petits Riens, mais en dessous de ce que demandent d'autres marques pour des produits équivalents. Cela reste abordable pour notre clientèle."
“L’upcycling, c’est dur”
Le travail de création, fruit de l’imagination de Sophie, n’est pas simple car il faut définir les besoins et les types de tissu, puis voir avec le centre de tri ce qui est disponible avant de passer à la concrétisation.
"L'upcycling, c'est dur", résume la principale intéressée, tout en soulignant adorer participer à cette aventure. "Il y a beaucoup de limitations en termes de formes, de matières… On doit partir de choses existantes et en même temps, cela demande un gros travail de création. Il faut découdre, recoudre… Ça demande beaucoup plus de travail que de partir d'un tissu vierge où une fois que l'on a un patron, il faut juste dessiner les pièces puis le coudre. Ici, il y a toujours des petites embûches et des choses qui prennent énormément de temps."
Travailler avec une tournante de couturières qui n’ont pas forcément le même niveau d’expérience n’est en outre pas toujours évident. “Mais là, souligne-t-elle, ce qui est vraiment chouette, c’est que l’on a une équipe stable, motivée et impliquée. Elle connaît les produits et on peut se permettre d’aller plus loin sans devoir tout réexpliquer. Chacune a aussi un peu son domaine de compétences, c’est vraiment agréable.”