Le Canadien qui fouille dans les poubelles du monde entier
Devant une couche jetable sale pour bébé, je parie que vous dites : « Ouach ! »
Tom Szaky, lui, dit : « Wow ! »
Peut-être qu’il se bouche le nez comme nous le faisons tous, mais face à une Pampers pleine – tout comme devant un mégot de cigarette, des verres de lunettes jetées à la poubelle ou des tissus aux noms de fibres énigmatiques voués aux dépotoirs –, il voit l’occasion de trouver une solution.
Né en Hongrie, arrivé à Toronto à l’âge de 5 ans, aujourd’hui installé au New Jersey – il a étudié à Princeton –, Tom Szaky fait vraiment partie des entrepreneurs qui s’imposent dans le monde en embrassant goulûment les défis de l’économie circulaire.
Vous connaissez peut-être l’un de ses bébés, Loop, entreprise déjà présente aux États-Unis, en France et au Royaume-Uni, qui vient d’arriver au Canada et qui permet aux marques vendues en supermarché d’utiliser des contenants consignés. C’est testé à Toronto actuellement, en partenariat avec Loblaw et d’autres marques connues, comme Heinz ou Häagen-Dazs. « Ça fait à peine plus d’une semaine et on a dépassé nos objectifs d’un mois », dit M. Szaky en entrevue téléphonique.
En gros : on commande en ligne, c’est livré par Loop, le client consomme les contenus – soupe, ketchup, jus, etc. –, et le contenant est repris ensuite par un système de livraison qui ira porter le tout au nettoyage. Puis les contenants retourneront aux marques, qui les rempliront de nouveau, les revendront. Vous voyez le topo.
Et ce sera à Montréal au début de 2022, m’a confié le géant de la valorisation des poubelles.
Car il n’y a pas que Loop dans la vie de l’entrepreneur de 39 ans.
Il y a aussi TerraCycle, sa première entreprise, vouée à la transformation des déchets.
Son premier produit, au tout début, en 2001, a été les déchets de cuisine, dont il a fait du vermicompostage, vendu dans des bouteilles de plastique recyclées.
Mais aujourd’hui, il est rendu bien plus loin dans la récupération et la transformation de déchets longtemps estimés irrécupérables, comme les couches jetables sales – dont ses équipes font notamment des plastiques – et les mégots de cigarette, dont elles extraient aussi des plastiques du filtre, tout en envoyant au compost le reste du tabac.
TerraCycle travaille aussi à ramasser et à transformer les bouteilles de plastique un peu partout dans le monde. Car l’entreprise est partout, de Tokyo à Trenton, en Ontario, présente dans une vingtaine de pays.
Avec des laboratoires un peu partout, mais principalement au New Jersey – dans un dépotoir –, TerraCycle fait constamment de la recherche. Son modèle d’affaires : attendre qu’un acteur majeur lui demande son aide. L’entreprise ne cherche pas à vendre ses solutions écolos. Elle trouve des solutions pour ceux qui en veulent. À grande échelle. Ses partenaires s’appellent Walgreens, Home Hardware, Procter & Gamble… La liste est longue.
Un prochain projet parmi plusieurs : valoriser les déchets comme média d’information. Le contenu des couches en dit long sur la santé des bébés, tout comme l’huile usée sur l’état des moteurs, explique Tom Szaky. Autant profiter de tout ce qui peut être révélé.
Autre voie explorée : le système Loop de réutilisation matérielle en boucle, mais appliqué aux couches en tissu et aux vêtements pour enfants.
How to Recover from Empty Nest Syndrome: https://t.co/WFVOIYvWkJ https://t.co/jHbGpC58NN
— Lifeway Fri Jun 10 14:49:43 +0000 2016
Ça s’en vient rapidement aux États-Unis et au Royaume-Uni. Dans les deux cas, en partenariat avec de très grandes entreprises.
Donc, on oublie le petit service communautaire de nettoyage de couches en tissu. On pense grandes marques vendues dans de grandes surfaces.
Avec systèmes de nettoyage, transport et réutilisation dans le cas des couches. Et simplement un système de dépôt en argent, telle une consigne, dans le cas des vêtements pour bébés. Dépôt qu’on récupère, bien sûr, en rapportant les vêtements devenus trop petits.
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TerraCycle n’est pas une nouvelle venue dans le monde de la récupération et du recyclage de déchets. Elle a été fondée en 2001 alors que le jeune Szaky était étudiant à Princeton. C’est lors d’un voyage avec des copains d’université à Montréal, à cette époque, qu’il a vu pour la première fois des vers transformer des déchets organiques en compost et qu’il a eu l’idée d’en faire le premier produit de son entreprise de récupération des déchets.
Aujourd’hui, environ le tiers du travail de l’entreprise touche les déchets industriels, et le reste, nos déchets de consommation de tous les jours.
Le prochain défi actuellement se passe, vous l’aurez deviné, du côté des masques, des gants et de tous les équipements jetables utilisés dans le cadre de la lutte contre la COVID-19. « Il y a là tout un nouveau flux de déchets », note M. Szaky.
TerraCycle s’en occupe.
Mais le réel défi, 20 ans après la découverte du vermicompostage, n’est plus du tout concentré vers la quête de nouveaux flux de déchets, de nouvel or dans les poubelles. La nouvelle frontière, c’est la logistique à grande échelle, la quête de solutions qui marchent en grand et, surtout, en très, très grand.
Loop, par exemple, fonctionne à grande échelle maintenant au Royaume-Uni avec le géant Tesco, en France avec Carrefour, et aux États-Unis avec notamment Walgreens et Burger King ! Des acteurs majeurs.
Actuellement, explique M. Szaky, il y a un éveil remarquable des individus face à la nécessité de produire moins de déchets ainsi que de récupérer et de réutiliser les objets. L’adhésion des consommateurs est donc moins difficile à aller chercher qu’avant. L’accueil de Loop à Toronto en est un exemple, tout comme la prolifération d’épiceries offrant des produits sans emballage.
Mais le monde de la récupération et de la réutilisation se complexifie aussi, et les défis financiers ne sont pas anodins.
Le prix du pétrole est bas, il y a donc moins de raisons de vouloir récupérer autrement ses dérivés. Aussi, la matière première n’est plus ce qu’elle était il y a 20 ans. Il y a moins de déchets qu’avant, ils sont plus légers, les emballages sont souvent fabriqués avec des matériaux plus complexes, plus difficiles à travailler, à décomposer. (D’ailleurs, M. Szaky trouve que les emballages devraient se simplifier, pas devenir de plus en plus multicouches et multimatériaux.)
Les pays qui achetaient les déchets des autres sont devenus plus exigeants. On l’a vu, au Québec, quand la Chine a commencé à refuser nos déchets.
Quand je lui demande si l’entreprise entend aussi prendre de nouveaux chemins pour intégrer son travail dans des systèmes de réduction de la pollution plus vastes, plus globaux, Tom Szaky répond que non.
« On veut se concentrer sur un seul problème et exceller », dit-il. Donc, Loop ne vient pas avec une garantie de transport écolo, par exemple.
C’est aux partenaires d’être ensuite conséquents. En France, Carrefour cherche une solution pour de la livraison « verte ».
Et le consommateur, peut-il faire plus pour mieux recycler ?
Devrait-on tout acheter d’occasion ? Chez TerraCycle, les bureaux partout sur la planète sont aménagés et meublés avec des matériaux recyclés, des objets usagés.
« En fait, non », me répond M. Szaky.
« Ce qu’il faut plus que tout, c’est moins acheter. »