L'enfant qui en savait trop
Sa mèche de cheveux blonds lui cache à moitié le visage et c’est sans doute mieux ainsi. Dylan Redwine n’a aucune envie que sa mère remarque qu’il a pleuré… Ce 18 novembre 2012, le garçon de 13 ans s’apprête à monter dans un avion pour rejoindre son père, à Durango (États-Unis). L’ado a tenté durant des semaines de convaincre sa mère de ne pas l’envoyer là-bas. Mais lorsque ses parents se sont séparés, après six ans de mariage, le tribunal a tranché : Dylan doit passer la moitié des vacances scolaires chez son paternel. Et c’est non négociable.
Elaine Hall serre longuement son fils dans ses bras et lui répète que tout va bien se passer, qu’il sera vite de retour à la maison. Après un dernier câlin, elle le regarde franchir les portiques de sécurité et disparaître dans la foule des voyageurs. Elle ne le sait pas encore, mais c’est la dernière image qu’elle aura de son fils vivant…
Quelques heures plus tard, Elaine reçoit un appel de Mark Redwine, son ex-mari.
— Dylan s’est tiré, je crois qu’il a fugué, lui annonce-t-il de but en blanc et d’un ton complètement détaché. Il est probablement parti pêcher… ou se balader en montagne. Tu le connais…
Dylan n’est pas du genre fugueur
Justement, Elaine connaît son fils mieux que personne. Il n’est pas du genre fugueur. Il est forcément arrivé quelque chose de grave. La jeune mère raccroche précipitamment et monte sans attendre dans sa voiture. Six heures de route plus tard, il est 2 h 30 du matin quand Elaine Hall débarque dans le bureau du shérif de Durango. Dès le lendemain matin à l’aube, les recherches pour retrouver Dylan débutent…
Mark Redwine est évidemment la première personne interrogée. Il raconte que la veille, dès leur retour de l’aéroport, lui et son fils se sont disputés parce qu’il a refusé que Dylan aille dormir chez un copain. L’ado s’est enfermé dans sa chambre sans dîner. Ce n’est qu’aux alentours de 22 heures que son père a compris qu’il était parti par la fenêtre, située au rez-de-chaussée de la maison. L’étude de la téléphonie du disparu confirme qu’il se trouvait toujours chez lui à 21 h 37, heure à laquelle il a envoyé un SMS à l’un de ses amis, Ryan, pour confirmer leur rendez-vous du lendemain matin. Rendez-vous auquel il ne s’est jamais présenté. Lorsque les enquêteurs demandent à Ryan si son ami lui avait parlé d’un projet de fugue, l’ado répond par la négative mais précise :
— Ce que je sais, c’est qu’il ne voulait pas rester chez son père…
Car, entre Mark Redwine et son fils, les relations sont loin d’être au beau fixe. Interrogée sur le sujet, Elaine Hall précise que c’est surtout depuis l’été 2011, au retour d’un road-trip père-fils en Californie, que leurs relations se sont dégradées. Après cela et sans donner de raison, Dylan ne souhaitait plus parler à son père, encore moins aller séjourner chez lui. Alors forcément, l’hypothèse d’une fugue semble crédible. Sauf que fuguer ne veut pas dire s’évaporer…
L’avis de recherche à travers le pays n’a rien donné
Les jours passent. Les semaines, puis les mois. Aucune nouvelle de Dylan, aucune trace de lui. L’avis de recherche diffusé à travers le pays n’a rien donné. Pas plus que les nombreuses battues menées autour de Durango. Au printemps 2013, avec la fonte des neiges, le shérif Patterson et ses hommes investissent les montagnes environnantes pour élargir le champ des recherches. Le 25 juin, dans un petit ravin escarpé situé à 500 mètres de la Middle Moutain Road, un sentier bien connu des randonneurs du coin, une série d’objets est découverte. On découvre une chaussette, un morceau de caleçon déchiré, des écouteurs, une basket… mais surtout un tibia, une clavicule et un péroné ! Les os sont en mauvais état et présentent des traces de morsures animales, mais l’ADN est formel, il s’agit bien des restes de Dylan.
Pour sa mère et le reste de la famille, un rideau noir vient de se refermer sur l’espoir. Dylan a-t-il été attaqué par un ours ou un puma au cours de sa fugue comme les traces de morsures peuvent le laisser penser ? Elaine n’y croit pas une seconde. Elle, depuis le début, soupçonne son ex-mari. Car, non seulement il est le dernier à avoir vu Dylan vivant, mais il affiche une nonchalance tranquille et s’investit peu, voire pas du tout, dans les recherches. Elaine est persuadée qu’il est responsable, d’une manière ou d’une autre, de la mort de leur fils. Hélas, elle ne dispose d’aucune preuve. Mark Redwine est un mauvais père ? Peut-être, mais ça ne fait pas de lui un tueur et son CV ne comporte aucun antécédent de violence, domestique ou autre. Et puis quel serait le mobile derrière cet infanticide ?
Le dossier est trop mince pour qu’une instruction pour meurtre soit ouverte. Mais la découverte du crâne de la victime, le 1er novembre 2015, va relancer l’enquête. Cette fois, ce sont des randonneurs qui tombent dessus, à trois kilomètres des ossements retrouvés précédemment. Et il n’est plus du tout question désormais d’accident ou d’attaque de bête sauvage : le crâne présente deux enfoncements caractéristiques de traumatisme liés à l’impact d’un objet contendant. Autrement dit, Dylan Redwine a eu le crâne fracassé. Il a bel et bien été exécuté…
Redwine est aussi mauvais père que maître de maison
La chance se met enfin à pencher du côté des enquêteurs. Désormais chargés d’une enquête pour homicide et munis d’un mandat de perquisition, les hommes du shérif déboulent chez Mark Redwine dès le lendemain matin. Coup de bol, leur suspect est aussi mauvais père que maître de maison. Trois ans après les faits, la lumière bleue du luminol révèle de nombreuses traces de sang – mal nettoyées – à plusieurs endroits et notamment sous un tapis, sur le canapé en cuir, au-dessus de la machine à laver et dans la cuisine ! Avec les résultats des analyses ADN, le doute n’est plus permis : il s’agit bien du sang de Dylan. Il n’a jamais fugué. Il a été massacré ici.
Un procès neuf ans après le début de l’affaire
Maintes fois repoussé à cause de complications administratives puis en raison du Covid, le procès de Mark Redwine ne s’est ouvert qu’en juin dernier au tribunal de La Plata, neuf ans après le début de l’affaire. L’accusé, aujourd’hui âgé de 60 ans, n’a jamais reconnu les faits. À la barre, son discours n’a pas changé. Il maintient toujours que Dylan a forcément fait une « mauvaise rencontre » au cours de sa fugue.
— Pourquoi j’aurais tué mon gamin ? lâche-t-il en haussant les épaules. Je n’avais aucun mobile valable.
Très sûr de lui, l’homme observe, impassible, les différents experts, témoins et policiers se succéder à la barre. Mais c’est le témoignage d’un jeune homme de 21 ans qui va lui faire perdre instantanément sa belle assurance. En le voyant s’avancer dans la salle, Mark Redwine comprend qu’il est foutu. Cory, son fils aîné et demi-frère de Dylan, connaît son secret. Depuis près de dix ans, par honte ou peut-être par peur, il n’avait jamais trouvé le courage de le révéler. Ce qu’il s’apprête à raconter va faire basculer le procès. Et plonger toute l’assistance dans l’horreur absolue.
— Papa, Dylan et moi, nous sommes partis en road-trip durant l’été 2011. Une nuit, au cours du voyage, Dylan a pris l’ordinateur de notre père alors qu’il dormait. Et en ouvrant des fichiers par hasard, il est tombé sur des photos. Comment dire…
Le jeune homme est mal à l’aise, il cherche ses mots.
— On s’est enfermés dans la salle de bains et on a regardé… C’était vraiment dégueulasse. On a pris des photos avec nos portables. Dylan voulait les diffuser au reste de notre famille. Il faisait du chantage à papa. Je pense que c’est à cause de ces photos qu’il l’a tué.
Des photos qui auraient poussé un père à massacrer son fils ? Mais de quoi parle-t-on au juste ? Il va falloir quelques heures de tractations et l’accord du président pour que Cory Redwine puisse présenter les clichés en question à la cour. Et lorsque la première image apparaît sur l’écran de la salle, un même mouvement de recul saisit toute l’assistance. Certaines personnes se lèvent et sortent, prises de nausée. D’autres se cachent les yeux avec leurs mains… C’est Mark Redwine en personne qui a pris cette série de selfies. On le voit vêtu de sous-vêtements féminins, son torse grassouillet serré dans un soutien-gorge. Sa bouche et son visage sont maculés d’une matière sombre… Et, sur le cliché suivant, tout s’explique. Redwine tient dans sa bouche une couche-culotte pour adulte souillée d’excréments. La troisième photo le montre, tout sourire, en train de se repaître de cette immonde « nourriture ». Et le reste est du même acabit.
Tandis que les clichés, plus horribles les uns que les autres, continuent de défiler sur l’écran, les regards se tournent vers l’accusé, tête baissée dans son box. C’est donc pour cacher cet abominable vice que ce gros dégueulasse a pris la vie d’un môme de 13 ans ? Parce qu’il en savait trop ? Mark Redwine a refusé de répondre aux questions, préférant se murer dans le silence jusqu’à l’énoncé du verdict. Le 8 octobre dernier, le pervers a été condamné à quarante-huit années de prison pour le meurtre de son fils. Et personne ne bougera le petit doigt pour le sortir de sa merde. Après tout, il aime tellement ça…
Une enquête d'Axelle Winieux