Vanessa Paradis : "Comme j’ai commencé très jeune, on a l’impression que j’appartiens aux gens"
Il a sans doute fallu un tempérament d’acier et autant de candeur optimiste pour faire face, dès 14 ans (Joe le taxi ,1987), à une lame de fond qui l’a emportée sur des sommets où elle est restée installée, sans trop de soubresauts, jusqu’à aujourd’hui. Idole pop adulée, actrice toujours intéressante, Vanessa Paradis a résisté à tout avec une vigueur et une discrétion peu communes. Il serait faux de la croire confinée dans une routine luxueuse : elle n’a jamais craint ni les pas de côté ni les métamorphoses. C’est ce qui la conduit aujourd’hui sur les rivages d’une expérience inédite : le théâtre.
Elle fait son baptême de la scène au Théâtre Édouard-VII, à Paris, dans Maman, une pièce écrite sur mesure pour elle par son mari, Samuel Benchetrit, qui l’a imaginée en femme hypersensible plongée dans un univers poético-absurde qui va révéler ses beautés et ses fêlures. Face à elle, Éric Elmosnino, Félix Moati et Gabor Rassov. On l’a rencontrée au moment où démarrent les répétitions. Ravissante dans sa robe gypset, d’humeur joyeuse, Mademoiselle Paradis vous prépare un spritz, rit, s’enthousiasme, s’emballe. Elle se réjouit de cette nouvelle aventure, et son allégresse est communicative. Interview.
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En vidéo, Vanessa Paradis au Festival du film américain de Deauville
Madame Figaro. - Comment est née l’envie de cette pièce ?Vanessa Paradis. - Une envie de Samuel (Benchetrit, NDLR), qui voulait écrire une pièce de théâtre pour moi. Le théâtre, on me l’avait déjà proposé dans le passé, il y a même une pièce que j’ai failli jouer, mais ce n’était pas le bon moment. J’ai le trac, bien sûr, mais l’envie est plus forte que la peur. La pièce me plaît énormément. L’écriture est belle, et j’aime aussi l’idée du découpage visuel : ça pourrait être un film. Et puis, j’adore l’histoire, les thèmes qui y sont évoqués, la résilience, l’amour, et la révélation finale, le tout baigné dans une atmosphère où la poésie se mêle à l’absurde et à l’humour. C’est drôle et poignant en même temps.
Vous avez le trac et, en même temps, la scène est votre royaume…J’adore la scène, j’adore les théâtres, je les connais bien car j’y chante plus souvent que dans des arènes géantes. J’aime l’idée du rendez-vous soir après soir, du rituel, de la loge, de la troupe et du lever de rideau. Et le rapport avec le public, je le connais bien aussi. Dans la musique, il est intense, il est parfois extrême. Rien ne se passe sans le public : on fait le spectacle avec lui et pour lui. C’est très physique. Au théâtre, je ne sais encore pas trop comment ça se passe. Je serai face à une salle masquée et plus tranquille que celle d’un concert…
Avez-vous une voix de théâtre ?On peut imaginer que j’ai une petite voix, car je suis une petite femme menue, mais ce n’est pas le cas. Je peux parler très fort. Après, il y a des inconnues : l’acoustique particulière d’un théâtre, la portée de la voix quand on joue dos à la scène, par exemple. Ce sont des choses que je vais apprendre. Mais je ne suis pas si inquiète. Quand on chante, on est un peu un athlète : c’est très physique de chanter. Et le langage du corps, je l’ai appris. Il est un vrai révélateur d’émotions.
Aimez-vous le théâtre ?J’adore, même si je n’y suis pas allée tant que ça. Je vais surtout applaudir mes copains et copines, comme Léa Drucker ou Florence Thomassin. J’ai vu aussi Trintignant, et c’était merveilleux. D’une manière générale, j’adore le spectacle vivant. C’est magique. Et j’aime la dramaturgie sous toutes ses formes. Même lorsque je suis assise à un défilé Chanel, je suis embarquée. La musique qui commence, les filles qui arrivent, ça me fait de l’effet : j’ai des frissons.
"Ce que je redoute, ce sont les imprévus"
Vous sentez-vous en danger sur scène ?On l’est plus qu’au cinéma. Dans le spectacle vivant, il n’y a pas de triche. On vous voit bouger, courir, vous essouffler. C’est du vrai, c’est de la vie, c’est tout de suite, c’est maintenant. Ce que je redoute le plus, ce sont les imprévus. Un rhume, par exemple. Cela peut paraître dérisoire, mais un rhume en pleine tournée musicale, c’est un cauchemar. Ça m’est arrivé, c’est épuisant après coup, mais sur le moment on finit souvent par oublier la douleur et les entraves. La scène est vraiment un lieu qui transcende.
Vous êtes réputée très discrète. Redoutez-vous la mise à nu qu’implique de jouer au théâtre ?Comme j’ai commencé très jeune, on a l’impression que j’appartiens aux gens, ce qui fait que j’ai dû me protéger plus que les autres. Mais c’est un peu cliché tout ça. La mise à nu, elle est continuelle, même dans les actes qui paraissent les plus banals, une séance photo, par exemple, où on peut donner quelque chose de profondément intime, parfois à son insu. Depuis que j’ai 14 ans, c’est l’histoire de ma vie, devant les gens…
Si je vous dis «maman», qu’est-ce qui vous vient en tête ?Amour. Réconfort. Ma maman, être maman : la base. Être maman, c’est ce que je préfère au monde. Être avec eux, être avec mes enfants. Ils sont exceptionnels.
Les duos mère/filleVoir le diaporama 12 photosEst-ce étrange de voir votre fille, Lily-Rose Depp, devenir célèbre en tant que mannequin et actrice ?Non, c’était peut-être étrange au début parce que, comme moi, elle a commencé jeune. D’abord, on se demande dans quelle direction cela va aller. Mais très vite j’ai été rassurée : elle est talentueuse, solide, solaire, et elle travaille beaucoup. Le secret, c’est le travail. Le talent, la chance, oui, bien sûr, mais c’est le travail qui l’emporte. On se trompe, on recommence, on en bave, mais finalement c’est si valorisant de construire quelque chose… Mes parents m’ont élevé de cette façon.
Dans la pièce, il est question, entre autres, de la violence faite aux femmes…C’est essentiel que ce sujet soit abordé. Il n’y a même pas besoin de consulter les statistiques : c’est tout le temps et depuis la nuit des temps. Heureusement, aujourd’hui, la parole se libère.
Le débat MeToo a agité le monde. Avez-vous été confrontée à des situations délicates, vous qui avez commencé si jeune ?J’ai eu de la chance : j’ai toujours réussi à esquiver… Quand on commence très jeune comme moi, il y a un tas de choses qu’on ne sait pas et qu’on peut considérer comme normales quand on ne dispose pas des repères nécessaires. Il y a peut-être des choses borderline que j’ai vues et dont je n’ai pas voulu me souvenir. J’ai mené une vie artistique et personnelle très libre, j’ai beaucoup voyagé et, immanquablement, j’ai croisé des personnages peu recommandables. Dans mon premier film,Noce blanche , j’avais des scènes de nu, j’avais 16 ans, c’était compliqué. J’ai esquivé.
Mais vous avez croisé aussi quelques pygmalions ou bons génies, de Gainsbourg à Biolay…On me demande souvent pourquoi j’ai attiré tant de bonnes grâces. Je n’ai pas de réponse. Il faudrait poser la question à ces hommes que j’ai inspirés, dit-on. Le seul élément de réponse que je peux donner, c’est que moi, j’avais envie, et que l’envie de faire, de progresser, d’expérimenter, de sortir de ma zone de confort a été mon alliée la plus précieuse.
Et puis, il n’y a pas que des gens qui m’ont choisie : j’en ai choisi beaucoup aussi. Gainsbourg, par exemple. Quand on m’a rapporté qu’il avait envie de travailler avec moi, je suis venue à sa rencontre. Pour mon deuxième album, nous étions allés le voir pour pêcher un texte. On en a eu douze ! C’était inouï. En musique, je suis très proactive. J’adore l’idée de la muse, j’adore ce mot. Il s’est galvaudé, certains pensent qu’une muse est une femme objet, alors que, pour moi, une muse, c’est une personne à la manœuvre, une personne qui inspire parce qu’elle agit.
Au cinéma, c’est moins vrai. Il m’est arrivé d’envoyer des lettres à des metteurs en scène, ça ne marche pas du tout. Les gens sont très flattés, ça leur fait plaisir, mais ça ne débouche sur rien. Être proactif dans le monde du cinéma, ça veut dire initier un projet, acheter les droits d’un livre, démarcher des producteurs. Et ça, je n’ai jamais pris le temps de le faire. Je reste dépendante du désir des autres, et c’est parfois dur.
Auriez-vous envie de tourner davantage ?Oui, bien sûr. J’adore les premiers films (elle vient de tourner L’Appel du devoir, d’Hugo Thomas, NDLR), et je suis prête à faire tous les essais qu’on pourrait me demander. Il y a énormément de rôles auxquels je n’ai même pas accès. C’est vrai qu’en France il n’est pas si fréquent d’être chanteuse et actrice. Il y a Camélia Jordanaqui assure dans les deux domaines et que j’aime beaucoup. Mais d’une manière générale, les choses sont plutôt cloisonnées…
«Maman», écrit et mis en scène par Samuel Benchetrit, du 14 septembre au 30 décembre, au Théâtre Édouard-VII, à Paris (theatreedouard7.com). Et aussi dans le film «Cette musique ne joue pour personne», de Samuel Benchetrit, sortie le 29 septembre.