"Violée dans l'enfance, je n'ai réussi à en parler qu'après mes grossesses"
J'avais 15 ans quand j'ai été victime de violences sexuelles lors d'un cambriolage qui a mal tourné. Ma famille était présente, mais ils n'ont pas su à l'époque que l'agresseur m'avait violée. Suite à cette épreuve, j'ai gardé le silence pendant 20 ans. J'avais l'impression que me taire était la meilleure chose à faire, pour protéger ma famille et me protéger moi. J'ai ensuite continué ma vie en enfouissant ce trauma au plus profond de moi.
Amnésie traumatique : oublier pour se protéger
Pour autant, même si j'avais décidé de le mettre de côté pour oublier, ce traumatisme avait un impact sur mon quotidien. J'étais dans l'hyper-vigilance et le contrôle, avec tout le monde. J'avais beaucoup de mal à laisser entrer de nouvelles personnes dans ma vie, car ils étaient des abuseurs potentiels, dans mon inconscient évidemment. J'étais donc très méfiante et j'accordais peu ma confiance. J'avais par ailleurs totalement dissocié mon corps de mon esprit. Je m'étais enfermée dans mon mental et je n'éprouvais plus mon corps. Il a fallu que je tombe sur mon mari, un homme bon, patient, qui a su aller à mon rythme pour réussir à faire confiance à un homme à nouveau. Après des mois sans relations sexuelles, je me suis sentie obligée de confier brièvement les raisons qui me poussaient à prendre mon temps. Il n'a pas posé plus de questions plus que cela.
La grossesse, comme révélateur du souvenir
J'ai par la suite eu la chance d'être enceinte. Mais lors de ma troisième grossesse, le souvenir a ressurgi. J'étais enceinte d'une fille après avoir eu deux garçons. J'ai projeté mes peurs et mon traumatisme sur cette naissance. Je me suis rappelée des événements, j'avais des flashs... mais j'ai choisi d'enfouir encore plus profondément la question. Quand ma petite fille est née, j'ai rencontré de grands troubles du sommeil, mais je mettais ces problèmes sur le compte de mes enfants. Mais plus ils grandissaient, plus ils faisaient leurs nuits et plus mes cauchemars restaient présents. Occupée par mes enfants, mon époux, mon travail, j'ai encore une fois décidé de fermer les yeux sur le problème. J'avais une vie de famille épanouie, mais au fond de moi, je ressentais comme un vide intérieur.
Libérer la parole et ne plus projeter ses peurs sur ses enfants
Quand ma fille a eu 10 ans, nous étions en pleine période #MeToo. L'affaire Weinstein avait éclaté et nous sommes tombés sur un reportage à la télévision. A son âge, je pensais qu'elle n'avait même pas conscience de ces problématiques et je l'ai envoyée dans sa chambre. J'avais peur de mon propre trauma et j'ai réalisé qu'il était temps que je prenne en charge cette souffrance. Suite à une série de décès dans ma famille, dont ma cousine de 15 ans, soit l'âge que j'avais au moment du viol, je me suis demandée : "Comment as-tu envie de vivre ta vie aujourd'hui ?" Je réalisais à quel point ce silence me desservait. J'ai commencé à libérer ma parole auprès d'un ami proche et ses mots m'ont beaucoup aidée. J'ai beaucoup travaillé sur moi grâce au développement personnel et j'ai fini par aller consulter une thérapeute. Le travail thérapeutique m'a permis de me libérer du poids de la honte et de la culpabilité.
Comment en parler à sa famille et ses enfants ?
En fin de travail thérapeutique, j'ai ouvert mon blog Les Résilientes et j'ai créé mon association, pour organiser des groupes de paroles. Je partageais souvent des publications sur les réseaux sociaux et je me suis donc interrogée sur le fait d'en parler à mes enfants. Je n'avais pas envie qu'ils l'apprennent en ligne ou via une tierce personne. Mon passé m'appartient, j'avais fait la paix avec lui et je souhaitais pouvoir partager cette expérience avec mes enfants de la manière dont je l'entendais. Grâce au travail que j'avais fait, ce n'était pas un récit traumatique que j'ai pu leur confier. J'ai choisi de passer par le conte, pour leur faire comprendre la morale de l'histoire, éprouvée par la petite fille que j'étais : après 20 ans de silence, elle a réussi à en parler et elle se sent bien mieux.
L'importance de la résilience
Je trouve que le choix des mots est capital et c'est aussi pourquoi j'insiste souvent sur le terme de résilience. Je m'y reconnaissais plus que dans celui de victime. Être reconnue comme victime est nécessaire pour accepter ce qu'il nous est arrivé, sans le minimiser. Mais dans le terme victime, il y a aussi comme une fatalité, de la passivité, une forme d'impuissance. Je n'avais pas envie de rester une victime toute ma vie, car je ne connais aucune victime heureuse. Pour moi, la résilience montre qu'après une dure épreuve de la vie, on a le droit au bonheur, on a le droit d'exister. Ca ne nie pas l'épreuve que j'ai vécue, mais c'est comme un nouveau départ, plein d'espoir. Être résilient, c'est choisir de vivre. Quelle que soit l'épreuve traversée, on mérite une vie heureuse, libre et choisie.