Que reste-t-il après avoir payé les factures ? Les dépenses contraintes minent le pouvoir d’achat
Le mouvement des « gilets jaunes », qui prend comme point de départ la hausse des prix du carburant, agrège de nombreuses revendications autour du pouvoir d’achat. Pourtant, si l’on en croit l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), cet indicateur devrait augmenter de 1,3 % en 2018, sous l’effet des baisses de cotisation salariale et de la taxe d’habitation.
D’où vient le décalage entre ces chiffres, plutôt positifs, et la perception bien moins optimiste d’une partie croissante de l’opinion ? L’explication réside en grande partie dans le poids des dépenses contraintes, qui est proportionnellement très élevé pour les ménages les plus modestes.
1 – Toujours plus de dépenses contraintes
Le pouvoir d’achat se calcule en comparant le niveau des prix et le revenu brut disponible, (c’est-à-dire les salaires et prestations sociales, dont on déduit les impôts directs et indirects). Il correspond à la somme d’argent qu’un individu peut utiliser pour consommer. Mais, en réalité, cet argent n’est pas entièrement « disponible », puisque les ménages ont un volet de dépenses dites « préengagées » ou contraintes, qui correspondent à des contrats difficilement négociables à court terme : les loyers ou remboursements de prêts, les assurances, les abonnements d’électricité, gaz ou téléphonie, les assurances et mutuelles, etc.
Or, ces dépenses, qui correspondent à des prélèvements ou des factures régulières, ont beaucoup augmenté en proportion des revenus, puisqu’elles ont été multipliées par 2,5 depuis les années 1960, et « bloquent », désormais, près de 30 % du budget, ce qui ne laisse, en moyenne, que 70 % de dépenses dites « arbitrables », sur lesquelles les ménages ont le sentiment d’avoir prise.
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— ㄹㅏ지볼랄라 Tue Jun 16 14:32:54 +0000 2020
Loyer, factures, charges : les dépenses contraintes ont grimpé de 12 % à 29 % en soixante ans
Si l’on écarte ces dépenses contraintes, pour la plupart liées au logement, les principaux postes de consommation sont l’alimentation et les transports. Deux types de dépenses qui ne font pas l’objet de factures ou d’abonnement, mais qu’il est difficile de différer ou de réduire drastiquement à court terme. Or, le carburant à lui seul représente près d’un quart du budget transport des Français. Sa hausse est d’autant plus perceptible qu’il s’agit d’une dépense récurrente et considérée comme contrainte par les automobilistes.
Les carburants ne représentent que 3 % des dépenses des Français, mais 6 % des dépenses arbitrables hors alimentaires
2 – Un fardeau surtout pour les plus pauvres
La moyenne de 30 % de dépenses préengagées cache de nombreuses disparités en fonction des profils socio-économiques.
Ces contraintes budgétaires sont très élevées parmi les ménages situés sous le seuil de pauvreté : elles représentent largement plus de la moitié (60 %) de leurs revenus disponibles, selon une étude publiée en mars 2018 par la Direction des études statistiques du ministère de la santé et des solidarités (Drees). Cela signifie qu’il ne reste que 40 % du budget pour l’ensemble des dépenses « arbitrables », y compris l’alimentation ou les transports.
Les dépenses contraintes absorbent plus de 60 % du budget des plus pauvres
Tous types de revenus confondus, les personnes seules, les familles monoparentales ou les ménages locataires du parc privé sont davantage susceptibles de subir le poids des dépenses contraintes, qui dépasse souvent 40 % de leurs revenus.
Les contraintes budgétaires pèsent davantage sur les célibataires et familles monoparentales
Les locataires du secteur privé ont deux fois plus de dépenses contraintes que les propriétaires
3 – Un indicateur qui exacerbe les inégalités
En France, le système de redistribution des richesses est réputé atténuer les inégalités de revenus. Pourtant, l’analyse du budget « arbitrable » brosse un portrait bien moins flatteur. En effet, si on retranche les dépenses contraintes (loyer, assurance, etc.) et l’alimentation, le niveau de vie des ménages les plus pauvres se réduit drastiquement. Selon la Drees, les 10 % les plus modestes doivent ainsi se contenter en moyenne de 180 euros par mois pour financer transport, équipement, loisir ou habillement, alors que les 10 % les plus riches disposent en moyenne de 1 890 euros, c’est-à-dire au moins dix fois plus. On comprend aisément que dépenser dix euros de plus pour un plein de carburant n’a pas la même signification pour tous les ménages français.
Après les factures (loyer, assurances...) et la nourriture, il ne reste que 180 euros aux 10 % les plus pauvres, contre 1 890 euros pour les plus riches
Anne-Aël Durand
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