"C'est marrant, l'herbe est mouillée le matin" : quand la campagne déboussole des néoruraux

"C'est marrant, l'herbe est mouillée le matin" : quand la campagne déboussole des néoruraux

"C'est un truc hyper parisien : on court, on court, un peu comme des canards à qui on a coupé la tête, on se met du stress en plus du stress ambiant." La majorité des citadins en rêvent, Julie l'a fait : face au sentiment d'être "prisonnière" dans la capitale, la réalisatrice de documentaires a pris conjoint et enfants sous le bras, direction la Drôme. "Je n'en pouvais plus de notre manière de consommer, de voir du plastique partout, de manger des fruits qui ont fait 2.000 ­kilomètres." Un sentiment qui n'a fait que s'aggraver pendant les confinements. "Avant, on faisait quarante-cinq minutes de bagnole pour trouver de la nature. Là, tous les soirs, je sors dans la cour de la ferme qu'on retape, et je vois les étoiles."

Une "revanche des campagnes"

Selon une étude de l'Insee parue en mai 2020, 450.000 Parisiens ont fui la capitale pendant le premier confinement, actant l'idée d'une "revanche des campagnes". "Avec la crise du Covid, ce qui restait à vendre dans le Perche a été un peu pris d'assaut, confirme Jean-­Patrice Camus, agent immobilier spécialisé dans la gestion familiale au cabinet The Stone Bridge, lui-même percheron. Aujourd'hui, il ne reste presque plus rien à vendre."

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Cette aspiration ne date pourtant pas de la pandémie. En avril 2019, selon un sondage Ifop, 57% des urbains souhaitaient quitter la ville. Au phénomène de périurbanisation s'ajoutent "des migrations d'agrément, en quelque sorte hédonistes, de populations souvent relativement privilégiées, à la recherche d'une nouvelle ­qualité de vie", décrypte la géographe ­Françoise Cognard. Un fantasme hérité du "mouvement néorural post-1968", souligne-t-elle. Entourée de cultures en aquaponie et de maraîchers bio, Julie se dit "consciente d'être complètement dans le cliché des néobobos ­parisiens", mais en est "très heureuse".

Une solitude parfois pesante

Si nombre de nouveaux venus y ont trouvé leur compte, la vie hors des villes a parfois de quoi déstabiliser. Installée à Léchiagat, dans le Finistère, depuis avril 2020, Marion, dramaturge de 36 ans, a vite eu le sentiment d'être "toute seule dans un village désert". "A Paris, on n'a pas la nature, mais on a la nature humaine : vous faites 200 mètres pour acheter du pain, vous croisez 200 personnes, des visages, des peaux, des vêtements variés." En un an et demi, elle est parvenue à installer sa compagnie de théâtre, mais se sent toujours "un peu spectatrice de la vie locale, du retour des pêcheurs qu'on ne fait que saluer".

"De nombreux citadins arrivent avec une vision idéalisée de la campagne, et parfois la réalité se révèle plus mitigée", explique Françoise Cognard. "C'est une mentalité, de vivre à la campagne, confirme Jean-Patrice Camus. Il faut aimer mettre une paire de bottes ou prendre un sécateur." Après une période de disette, le gestionnaire immobilier s'attend à voir bientôt revenir des biens dans son portefeuille. "Une fois, des clients m'ont dit : c'est marrant, l'herbe est mouillée le matin, comment ça se fait? Ces gens-là vont bientôt se rendre compte que l'hiver, il fait froid, que le chauffage coûte cher, et qu'un terrain de plusieurs hectares, ça s'entretient."

Pourtant campagnarde dans l'âme, après des années en région parisienne, Alice s'est laissée surprendre par le changement d'ambiance les soirs d'hiver. "Quand je fermais les volets et qu'il n'y avait absolument aucune lumière dehors, je me disais : ah oui, on est vraiment tout seuls… Maintenant, j'ai plus de mal à sortir le soir : quand il est 19 heures, on a déjà l'impression qu'il est 23 heures", raconte la céramiste de 41 ans, partie s'installer avec son conjoint brodeur dans une maison normande isolée. Pas de quoi effaroucher le couple, qui vit désormais en accord avec ses valeurs, entre potager et poulailler.

Retrouver la vie associative

"Le hic du projet", c'est bien le transport, admet Alice. Malgré la présence à deux minutes de route d'un village de 1.800 habitants, rien ou presque n'est accessible à pied. "Sans voiture, point de salut!", appuie Marion, journaliste partie s'installer au Cap-Ferret, en Gironde, en septembre 2020, "à fond dans l'effet post-confinement". Problème : la mère de famille, "citadine typique", n'a pas le permis. "La mobilité, c'est le souci numéro un dans ce genre d'endroit."

D'autant plus quand le moindre rendez-vous chez un médecin spécialiste s'obtient pour dans six mois, à une heure de route. "Il ne faut pas être frileux sur les kilomètres à faire", souffle Alice, qui lutte pour trouver des consultations dentaires ou ophtalmologiques pour ses enfants. "En Seine-Saint-­Denis, je pensais que je connaissais le désert médical, glisse Julie. Puis je suis arrivée dans la Drôme, et je me suis rendu compte de ce que c'était vraiment : neuf mois d'attente pour un rendez-vous d'orthodontie!"

Alors, bientôt le retour en ville? Pour Alice et Julie, certainement pas ; mais Marion la Ferretcapienne sans permis y songe. "Mes enfants seront bientôt ados, et auront besoin d'autonomie pour retrouver leurs copains, aller au ciné…" Celle qui passe en moyenne deux jours par mois à Paris juge que "le mieux, c'est l'alternance, c'est de pouvoir bouger". Pour Marion, la dramaturge bretonne, la décision est déjà prise : dans quelque temps, sa famille s'installera à ­Lorient, dans le Morbihan pour y retrouver la vie associative, et surtout "la vie à pied : habiter un petit paradis mais devoir faire 15 kilomètres en voiture pour la moindre course", parfois, ça ne convient qu'un temps.

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