Le sexisme dans la tech, on en parle ?

Le sexisme est une thématique très fréquemment évoquée ces derniers mois. Est-ce un mal ? Je ne pense pas, dans la mesure où les réactions de certains individus laissent clairement penser qu’il reste encore du pain sur la planche. Le cas de OnePlus, dont la dernière campagne de communication “Ladies First” a fait naître de nombreuses réactions, en est le dernier exemple en date, mais certainement pas le pire.

OnePlus est une firme jeune, sympathique par sa proposition commerciale – un super smartphone pour un prix divisant par deux les standards de la concurrence – et fonctionnant en effectifs réduits. Sa communication passe essentiellement par son forum, sur lequel elle annonce ses nouveautés et organise divers concours, et bien sûr par les réseaux sociaux, notamment sa page Facebook. Jusque là, rien de nouveau sous le soleil : c’est encore la meilleure tactique à adopter pour faire parler de soi sans dépenser des fortunes dans des plans marketing.

L’opération Ladies First, un cas symptomatique

En lançant l’opération Ladies First hier, OnePlus faisait un pas de plus dans sa stratégie de distribution au coup par coup d’invitations pour acheter son téléphone, le One. Elle en a organisé pour les membres les plus actifs de son forum, à l’occasion du Mondial de football, pour tout et pour rien. Soit, on peut critiquer ou apprécier ce système d’invitations, mais la question n’est pas là : jusqu’alors, il n’était pas question du sexe du client lors de la distribution desdites invitations.

En France, le climat est actuellement à une prise de conscience du statut des femmes dans notre société. Fin juillet dernier, un projet de loi portant sur “l’égalité réelle entre les femmes et les hommes” était voté par le Sénat, attendant encore d’être entériné par l’Assemblée. Il n’est pas l’œuvre d’hurluberlues ni de chiennes de gardes, la bave aux babines : seulement la reconnaissance par les instances législatives du fait que les femmes ont du mal à faire exercer leurs droits dans certains cadres. Différences de salaires, violences, mais aussi regard : après tout, ce qui fait qu’une femme est différente – socialement – d’un homme tient à la perception que celui-ci en a.

OnePlus, lui, a totalement oublié s’adresser à un public international – la Chine, mais aussi les USA, le Canada (certainement plus avancé du côté de la cause des femmes que la France), l’Hexagone et quelques pays d’Europe. Autant de marchés où les sensibilités divergent, et où il est de bon aloi de réfléchir aux conséquences de ses actes de communication.

Examinons cette opération Ladies First. Organisée sur le forum de OnePlus et relayée sur les réseaux sociaux de la marque, elle a d’abord été expliquée par Jerry, l’un des administrateurs de OnePlus. L’idée d’un selfie (il s’agit de “dessiner le logo OnePlus sur un morceau de papier, ou sur votre main, votre visage ou n’importe où du moment que l’on sait que c’est vous”) n’est pas foncièrement originale. Mais voilà, elle est adressée aux femmes sur un ton condescendant qu’il aurait été de bon ton d’analyser… avant publication, de préférence. Jerry s’est employé à utiliser le lexique de la féodalité pour présenter le concours : “A la manière de vrais gentlemen et parce que la chevalerie n’est pas morte, nous proposons aux gentes dames de OnePlus la possibilité d’esquiver la file d’attente d’invitations et de se présenter à nous”. Rien ne vous choque ? Moi si : alors qu’en commentaire de notre article expliquant la polémique, Emmanuel Peype, un des membres du staff OnePlus, indique que sa firme est composée de « 44 % de femmes » (bravo, soit dit en passant), un concours organisé par des gentleman nous renvoie à l’idée que OnePlus est une firme d’hommes. D’ailleurs, c’est à eux que les femmes doivent se présenter, et ce, en dévoilant leur physique. C’est déjà mal commencer l’opération. Quant au vocabulaire de la chevalerie, doit-on vraiment rappeler qu’il a beau rappeler l’exotisme de l’amour courtois, il n’en est pas moins relatif à une époque féodale où la femme noble pouvait éventuellement influencer le pouvoir masculin, mais se réduisait surtout à faire (de la) tapisserie, faiblesse féminine oblige.

Le sexisme dans la tech, on en parle ?

On termine sur ce post signé Jerry : “Ladies, no nudity please” (Mesdames, pas de photos déshabillées). Et c’est peut-être le pire dans l’histoire : peu de femmes ont participé, les rares l’ayant fait ont d’ailleurs posté des photos de leur visage et pas grand chose de plus, mais les montages graveleux des hommes du forum ont été légion, si bien qu’il a fallu aux modérateurs faire un peu de nettoyage. Comprenez que OnePlus avait pressenti les dérapages que pouvait engendrer son concours, que pouvait en résulter une vagues de photos avilissantes, bref que c’était une fausse bonne idée. Mais l’a fait quand même.

©OnePlus

Je ne pense pas que OnePlus soit une firme sexiste. Je suis en revanche convaincue qu’elle manque de recul et pèche autant par maladresse que par naïveté. À force de multiplier les opérations destinées à faire gagner des invitations pour acheter le One, elle n’a pas pris le temps de réfléchir au mauvais goût de sa toute dernière trouvaille. Qui, rappelons-le, proposait de faire gagner une invitation et un tee-shirt aux 50 photos les plus likées par la communauté, et de donner 100 autres invitations de manière aléatoire. J’en conviens, seul un tiers des invitations était donc soumis au vote : mais allez me faire croire qu’un selfie en col roulé aurait attiré autant de likes qu’un cliché montrant un décolleté généreux. Avec ça, on tombe tout de même dans la réification du corps féminin (la femme en tant qu’objet, ici uniquement objet de désir), ce contre quoi toutes les féministes luttent de longue date, et ce que conspuent ceux qui ne veulent pas comprendre.

Le tshirt offert avec une invitation aux 50 photos les plus likées.

Une maladresse de communication, ça se pardonne. D’ailleurs, j’en profite pour préciser qu’il ne s’agit pas de casser du sucre sur le dos d’une marque à qu’il l’on en voudrait personnellement. OnePlus est une marque jeune, avec un produit très intéressant mais une stratégie marketing et communication franchement discutable. Et c’est bien parce qu’elle s’est rendu compte de sa boulette qu’elle a purement et simplement supprimé son post de forum (accessible ici en cache) moins de 24h après le lancement de son opération.

L’effet Streisand en pratique

Est-ce une bonne idée ? Demandez donc à Renault Belgique qui, il y a quelques semaines, lançait une campagne publicitaire destinée aux femmes avec, en guise de pompon, un rouge à lèvres offert aux femmes venant tester la dernière Twingo. La campagne était truffée de clichés (les femmes conduisent mal, ne savent pas faire un créneau, se garent n’importe où…) qui n’ont pas été reçus comme l’équipe belge l’avait escompté : elle l’a donc supprimée, suscitant de nombreuses réactions médiatiques, et conduisant Renault France à présenter ses excuses.

C’est typiquement l’effet Streisand qu’a essuyé le fabricant de voitures, et OnePlus fait exactement la même chose. On parle de l’effet Streisand parce qu’il y a quelques années la chanteuse avait voulu faire interdire certaines photos d’elles qu’elle jugeait compromettantes. Elle avait finalement contribué à leur plus grande diffusion. C’est également ce qu’a fait OnePlus, à un détail près : elle a présenté publiquement ses excuses.

Voilà qui est mieux que rien, mais qui soulève un point essentiel : les marques high-tech ont du mal à comprendre comment communiquer avec les femmes, comment “les impliquer”, sous-entendant ainsi que les femmes ne s’intéressent pas aux nouvelles technologies. Il y a quelques années, le même débat animait le monde du jeu vidéo, qui s’est rendu compte, non sans difficulté, que les joueurs étaient également des joueuses.

La technophilie a-t-elle un genre ?

Oserai-je me lancer dans le cliché culturel dans ces lignes ? Le fait est que les marques asiatiques qui fabriquent la grande majorité des terminaux mobiles présents dans nos poches et sur nos tables basses ont un regard différent sur la condition féminine. Ajoutez à cela une dose d’entreprises assez patriarcales, et vous obtenez les propos pour le moins limites d’un responsable de Huawei qui, lors de la conférence d’annonce de l’Ascend P7 à Paris, expliquait sans sourciller (ni rire) que le petit bracelet de sa marque permettrait à ses clients de “surveiller leur femme” – rires gênés dans la salle.

Les fameuses « Samsung Girls »

Photos ©Kevin Hugues

Ces exemples mis à part, l’image des femmes dans les nouvelles techologies est rarement celle de technophiles. Elles sont associées à la culture “babes” américaine, lorsque l’on voit les Samsung Girls et autres hôtesses LG présentant, fort court vêtues, les derniers appareils des marques. Pour leur parler, on leur propose du clinquant-bijou (pensez aux Wiko Sublim et SugarPhone, comble du mauvais goût), du rose toujours, ou des objets simplifiés. Sans parler du Netatmo June, qui pratique l’assistanat de l’extrême, mais seulement pour les femmes. Elles manquent de visibilité sur les forums, dans les commentaires d’articles, et pourtant, elles sont utilisatrices aux quotidien, geeks plus ou moins revendiquées : elles existent, sans besoin qu’on s’adresse à elles sur un ton particulier pour les intéresser plus que lors homologues masculins. Technophile fait partie de ces mots que la langue française qualifie d’épicènes : après tout, c’est peut-être le signe qu’il n’est pas nécessaire de se forcer à différencier l’approche high-tech des femmes et des hommes.

Un dernier mot d’espoir : et si nos lectrices commentaient elles aussi nos articles ?


Pour nous suivre, nous vous invitons à télécharger notre application Android et iOS. Vous pourrez y lire nos articles, dossiers, et regarder nos dernières vidéos YouTube.

Mots clés: