Témoignage "Pour Noël, mes ados n'osent rien demander" : Christelle, mère célibataire, raconte l'angoisse financière des fêtes
Où est passée la magie de Noël ? En France, trois personnes sur dix ressentent de l'inquiétude en pensant aux fêtes de fin d'année, selon un récent sondage Ifop pour l'association Dons solidaires. Les ménages à bas revenus sont les plus touchés. "Dès que j'entends parler de Noël, c'est l'angoisse", confirme Christelle Mainguy, 45 ans, qui a répondu à l'appel à témoignages de franceinfo sur les difficultés d'achats de cadeaux. "Je veux parler au nom des femmes et des hommes qui assument seuls leurs gamins", affirme cette mère de six enfants, dont trois encore à charge, âgés de 17, 14 et 6 ans.
Divorcée, puis séparée du père de son dernier enfant, Christelle s'est installée à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) quelques mois avant le début de la crise du Covid-19. Pour le réveillon, elle rêve de gâter ses enfants et de leur faire oublier la dureté du quotidien. Tant pis si elle doit s'oublier, comme tant d'autres parents qui peinent à finir le mois. Voici son témoignage.
"Alors que Noël arrive, je ne sais toujours pas ce que je vais pouvoir offrir à mes enfants. Ma petite dernière prépare sa liste depuis des semaines. Elle découpe les 'tacalogues' comme elle dit et colle les jouets qu'elle veut commander au père Noël. D'habitude, je m'y prends tôt, moi aussi, dès octobre. Les cadeaux me coûtent un bras, mais c'est tellement magique de voir les enfants murmurer 'Merci, père Noël'. Cette année, est-ce que je vais réussir à me débrouiller pour entendre ça ?
Pour l'instant, je ne peux me permettre aucun écart. Mon employeur est en redressement judiciaire, mon salaire a été versé en différé, j'ai des loyers en retard et j'ai fini novembre à découvert. Depuis trois mois, je ne mange plus le midi pour être sûre de remplir l'assiette de mes loulous.
A l'approche du 24 décembre, l'angoisse monte. Mon fils de 14 ans rêve d'un ordinateur pour devenir graphiste. Mais je ne peux pas me le permettre. Avec sa sœur de 17 ans, ils ne m'ont rien demandé cette année. Ils n'osent sans doute pas, de peur de me tracasser deux fois plus.
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J'irai sans doute chercher des petits trucs pas chers à Action ou Gifi. Il y a Emmaüs aussi, mais je dois faire attention avec les cadeaux de seconde main : les autres gamins savent vite d'où viennent les vêtements, par exemple, et je ne veux pas qu'on se moque de mes enfants. D'ordinaire, Noël est le moment de l'année où je mets un point d'honneur à les gâter. Je m'en veux, vis-à-vis d'eux. Tout cela me stresse.
Des jouets offerts par la Croix-Rouge
Quand j'étais mariée, c'était le plus beau moment de l'année. J'adorais choisir le sapin, le plus beau, le plus gros. J'achetais une tenue de réveillon pour moi et les cinq enfants que j'avais alors à la maison. Ensuite, pour le Nouvel An, on recevait dans notre grande longère, dans la campagne nantaise. On faisait la nouba toute la nuit.
Depuis qu'il m'a jetée dehors, en pleine nuit, avec ma voiture et deux sacs de fringues, je survis. Je me suis battue deux ans et demi pour récupérer la garde de mes enfants. Je me bats encore pour récupérer la moitié de la longère et une pension alimentaire. J'ai subi des violences psychologiques d'un autre homme, le père de ma petite, que j'avais rencontré quand j'étais faible et perdue. J'ai voulu m'éloigner de lui et j'ai débarqué à Saint-Nazaire, en 2019, pour une nouvelle vie, pour mes enfants et moi.
Avant le Covid-19, j'avais trouvé un boulot de démarchage à domicile. Avec la pandémie, impossible d'aller chez les gens et l'entreprise a coulé. A la fin de l'année 2020, je me suis retrouvée au RSA. Direction une distribution alimentaire de la Croix-Rouge. Je n'avais même plus les moyens d'acheter un manteau chaud pour ma louloute. L'accueil a été merveilleux. On m'a laissée me servir en vêtements mais aussi en jouets, que j'ai pu offrir à ma fille pour Noël.
On a fait le réveillon chez mon frère, en Ille-et-Vilaine. Je n'avais pas envie d'y aller.
Comme tous les ans, ma fille qui est au lycée m'avait demandé un nouveau téléphone. Le sien ne fonctionnait plus. La seule solution que j'ai trouvée, ça a été une location, avec engagement sur 24 mois. Quinze euros par mois, en plus du forfait. Presque indolore sur le moment, mais beaucoup plus cher sur la durée. La pauvreté entretient la pauvreté.
Mes enfants, ma bataille
Cette année, on doit passer le 25 décembre chez mes parents, à Carquefou, à une heure de route. J'ai repris un peu du poil de la bête, depuis mars, grâce à un poste de commerciale dans le bâtiment. On m'a embauchée au smic, avec la promesse de belles commissions. Malheureusement, la boîte est en train de sombrer et je suis poussée vers la sortie, en rupture conventionnelle. L'aventure va s'arrêter dans les semaines qui viennent. Je suis fatiguée de devoir toujours chercher à rebondir.
Quand on est un parent solo, on porte tout à bout de bras. Mes enfants se rendent bien compte que leur maman est stressée et fatiguée, mais j'essaye de les préserver. Quand ils voient que je ne mange pas, je leur dis que j'ai grignoté un truc avant. C'est dur psychologiquement et physiquement. Les jours de ras-le-bol, je vais sur la plage, hurler face à la mer.
Ce n'est pas simple non plus pour mes loulous. Je n'ai pas les moyens de les emmener à la danse, au cinéma ou à la piscine. Je dois parfois piocher dans leur maigre argent de poche, en fin de mois, pour les courses. Même le bus, c'est un stress : je leur donne juste un ticket, à ne valider que s'ils voient un contrôleur.
Quand on en a peu, l'argent devient une charge mentale écrasante. J'ai près de 1 400 euros de dettes d'électricité, qui m'ont valu une coupure de courant et un changement de fournisseur. J'ai plus de 2 000 euros d'impayés de loyers, au point d'avoir reçu une lettre d'huissier me donnant deux mois pour régulariser la situation.
Mes enfants ont à manger, des vêtements et un toit. Ils grandissent dans un appartement digne, avec trois chambres, près du centre-ville et de la mer. Avec les APL (aide personnalisée au logement), j'en ai pour 550 euros de loyer. Je préfère payer ça que de les emmener dans les cités de Saint-Nazaire. Pour l'instant, ils ne sont pas malheureux, ils ont la joie de vivre et travaillent bien en classe. J'ai offert une belle vie aux trois grands, je veux la même chose pour les trois derniers. Ils sont ma force. Sans eux, j'aurais abandonné depuis longtemps.
Avec un peu de chance, ma situation va bientôt s'arranger. Je viens de trouver un nouveau travail de conseillère téléphonique dans le bâtiment. Je bosserai de chez moi et je serai payée à l'appel. Pour cela, j'ai dû acheter un ordinateur d'occasion et un casque de standardiste. J'y crois fort. Je compte aussi sur mes 2 000 euros de rupture conventionnelle, qui iront éponger une partie de mes dettes de loyers, pour ne pas être expulsée à la fin de la trêve hivernale.
Pour le moment, je m'accroche à ces perspectives. Je me lève avec des dollars dans les yeux, comme un personnage de dessin animé. Je me dis qu'un jour, ça me sourira et je pourrai faire de beaux cadeaux. La magie de Noël reviendra peut-être."