La fermeture du costumier de Radio-Canada marque la fin d'une époque

La fermeture du costumier de Radio-Canada marque la fin d'une époque

Avec la fin du « costumier » de Radio-Canada, un atelier et un entrepôt vieux de plus de 40 ans, c'est un pan entier de la vie de l'institution qui s'effondre. Le 31 mars prochain, Sylvie Beaudoin, la chef costumière, mettra la clé sous la porte.

Un texte d'Anne Marie Lecomte

Sylvie Beaudoin a fait son entrée à Radio-Canada en 1984 dans ce qui était alors l'atelier de confection de costumes de l'institution. Elle rejoignait ainsi une armée de 20 couturières qui confectionnait... tout.

Dans un recoin de ce qu'elle appelle affectueusement « le costumier », Sylvie Beaudoin retrouve l'une des robes qu'elle avait elle-même taillée et cousue pour le personnage de Roxane, dans Cyrano de Bergerac. Elle l'exhibe aux journalistes qui sont venus l'interviewer aujourd'hui pour commenter non seulement la perte de son emploi à elle, petite tragédie personnelle, mais la fermeture complète de l'atelier de costumes de Radio-Canada... tragédie collective.

Agrandir l’image (Nouvelle fenêtre)

Sylvie Beaudoin, chef costumière à Radio-Canada

Un univers qui s'écroule

Car c'est la fin. Au 31 mars, Sylvie Beaudoin, chef costumière, fermera pour de bon les portes de cet antre de 70 000 costumes et de 20 000 accessoires. Hier, sa superviseure l'a convoquée dans son bureau pour lui annoncer qu'elle et trois autres de ses collègues perdaient leur emploi, leur poste permanent respectif étant supprimé.

Mais si ce n'était que ça... « Je suis inquiète de savoir où tous ces costumes vont aller. Il faut que ça tombe entre bonnes mains », affirme-t-elle avec un regard anxieux sur son univers.

Lire aussi : L'entrepôt du costumier de Radio-Canada ferme ses portes

Et quel univers. Passez l'entrée principale avec sa guérite de sécurité, franchissez l'aire des ascenseurs, passez le magasin de la coopérative de Radio-Canada, empruntez le couloir, tournez à gauche : c'est là. Pénétrez. C'est comme la multiplication des pains dans l'Évangile, ou la cour des Miracles, ou le plus beau rêve d'un enfant au jour de l'Halloween.

Et c'est d'ailleurs en ce jour d'Halloween que Sylvie Beaudoin, encore sous le choc des mauvaises nouvelles, reçoit les journalistes. Ironie : dans les couloirs de la maison de Radio-Canada, les enfants de la garderie circulent tout costumés, Stella et pirates maquillés. D'année en année, racontent leurs parents, un caméraman était mandaté pour les suivre. Dans une boîte où on fait de la télé, on a bien le droit de s'immortaliser entre employés et leurs rejetons. Pas cette année. Signe des temps : même à ce niveau, il n'y a plus de production.

Déjà, dans les années 1990, Sylvie Beaudoin avait eu conscience d'une baisse dans la production de télé-théâtre, téléséries, téléromans et tutti quanti. Puis, en 2005, une vague de compressions a décimé l'atelier de couture. Fini la confection. Restaient les costumes qui, eux, avaient encore une, dix, mille vies!

Quand on demande à Sylvie Beaudoin d'énumérer qui louait et pourquoi, elle balbutie; il y en a tant! L'histoire de ces costumes qui voyagent à l'extérieur des murs de la maison-mère débute en 1990 et elle est composée pratiquement d'autant de chapitres qu'il y a eu de productions théâtrales et cinématographiques professionnelles. TVA, toutes les zones de la maison de production Zone 3, d'autres maisons de production aussi telles que Fair-Play et jusqu'à des entreprises de Halifax venaient s'approvisionner, voire s'abreuver à cette fontaine magique.

La fermeture du costumier de Radio-Canada marque la fin d'une époque

Fermeture du costumier de Radio-Canada : reportage d'Olivier Bachand

Sans compter les émissions diffusées par Radio-Canada. Quand l'atelier a pris naissance, au début des années 1970, l'équipe y avait rapatrié des trésors tels que les costumes d'Un homme et son péché ou encore Moi et l'autre. S'y sont ajoutées les savantes créations mises au point pour tous les Bye Bye, l'Auberge du chien noir, Trente vies, Unité 9, Mémoire vive, Nouvelle adresse; nommez-les, ils sont passés entre les mains expertes de Sylvie Beaudoin et de ses acolytes.

« Tous les téléromans que vous voyez sont habillés en bonne partie chez nous », explique Sylvie Beaudoin. Le chapeau que portait le légionnaire dans le Bye Bye de l'an dernier? Il est perché dans l'atelier de costume; il est bleu mais il a commencé son existence dans le rouge pour une autre œuvre télévisuelle. Car, s'il est un art que maîtrisent les costumiers, c'est bien celui du recyclage.

Une costumière pigiste désemparée

Marie-Lynn Beaulieu en sait quelque chose. Cette jeune costumière pigiste (elle précise n'avoir jamais perdu de poste nulle part puisqu'elle n'en a jamais eu) est désemparée à l'idée de ne plus pouvoir recourir aux services de l'atelier de costumes de Radio-Canada. « Je vais être dans la marde, moi », dit-elle sans ambages.

Marie-Lynn Beaulieu se démultiplie dans Les Appendices, Les Détestables, VRAK la vie et elle prédit déjà qu'il en coûtera plus cher aux producteurs de ces diverses émissions pour vêtir leurs artistes à l'écran. « Ça va compliquer le travail, explique-t-elle. Il va falloir nous-mêmes s'adonner à la confection et les coûts de production vont exploser. »

Car, mine de rien, il faut dessiner le costume, trouver le tissu et le faire faire, des opérations qui nécessitent du temps. Or, on tourne de plus en plus vite, partout. « Je ne pourrai plus me virer sur un dix cent pour trouver une robe d'époque, moi », maugrée Marie-Lynn Beaulieu.

Mandibule, Bedondaine et Paillasson

Époque, du grec épokhé, point d'arrêt. Tout est dit, l'atelier de costumes de Radio-Canada est, était, le point d'arrêt pour toute personne désirant trouver un costume d'époque.

Par exemple, les costumiers du film Louis Cyr, l'homme le plus fort du monde, n'ont guère cherché ailleurs que là. Il y a des robes vintage des années folles et la plus inventive des garde-robes des décennies subséquentes. « Un pantalon des années 1920, on ne trouve pas ça chez Simons », dit Sylvie Beaudoin.

Et puis il y a la pièce contenant les trésors, qui est verrouillée en permanence. Fanfreluche, Paillasson et sa patate en chocolat, Bobinette, Sol et Gobelet; autant de personnages des célèbres émissions pour enfants qui ont participé à la gloire, passée, de Radio-Canada. Leurs costumes sont entreposés dans cette pièce-là. Sinon, ils sont au Musée de la Civilisation à Québec, qui les a conservés au terme d'une exposition tenue il y a quelques années.

Dans l'atelier de costumes, tout est soigneusement étiqueté. La salle des variétés, riche en paillettes dignes de Suzanne Lapointe et de Gilles Latulippe en impayables Démons du midi ne représente à elle seule que le dixième de l'atelier en entier. Il y a des salles d'essayage habillées de rideaux gris et de miroirs, une salle de lessive, quelques minuscules bureaux dont les murs sont tapissés de photos et des salles débordant littéralement de costumes.

J'ai moi-même compté 520 bacs, une bonne centaine de tiroirs fourmillant de gants, de foulards et autre colifichets, des tablettes inondées de chaussures en tous genres, 52 supports à cravates (des années soixantes, unies ou à motifs, en paisley ou rayées), des milliers de cintres supportant robes, habits, crinolines, des supports à chapeaux, bonnets, sombreros et, enfin, quelques dizaines de convoyeurs contenant... l'Histoire. Des robes et habits de Marie Stuart, production de 1961 au costume de bourgeois confectionné pour Gérard Poirier en 1967, en passant par des coiffes de religieuses (oui, il y a eu des modes à ce chapitre également) on trouve là tous les trésors.

Pierre Falardeau, costumier, travaille depuis 23 ans à l'atelier de costumes de Radio-Canada. Lui n'a pas perdu son poste... encore. « Cela ne saurait tarder, prédit-il, car au 31 mars, il n'y aura plus personne ici. » Depuis l'annonce de la fermeture de l'atelier de costumes, le téléphone ne dérougit pas. Les clients appellent, affolés. Car à compter du 7 décembre, fini la location. Apprenant la nouvelle, le nettoyeur à sec avec lequel les costumiers de Radio-Canada font affaires « a attrapé son air ».

Stéphane Lagacé, la costumière de l'Opéra de Montréal, qui est doté de son propre atelier de confection de costumes, est l'une de celles qui téléphone pour exprimer « sa solidarité ». Car entre l'Opéra et l'atelier de costumes de Radio-Canada, il y a des prêts qui s'effectuent. Entre costumiers, on se dépanne.

Qu'est-ce qu'un costume?

Quand on demande à Marie-Lynn Beaulieu, elle répond tout d'abord : « C'est 150 piastres! ». C'est le budget dont elle dispose, souvent... « C'est un drapeau, reprend-elle plus sérieusement, un drapeau qu'on donne à un acteur en lui disant : Défends-le. » Pour Sylvie Beaudoin, le costume indique à celui qui le vêt la direction à prendre. « L'habit fait le moine! », s'écrie-t-elle.

Dans un communiqué, la Société Radio-Canada justifie sa décision

Nos productions internes disposent déjà de leur propre garde-robe et font rarement appel aux services du Costumier. Bien que certaines productions externes fassent appel à nos services, la demande n'est pas assez forte pour justifier le maintien des opérations. En effet, le secteur opère à perte et toutes les prévisions indiquent que le déficit ira en s'accentuant.

Nous sommes conscients que le Costumier dispose d'un inventaire patrimonial, mais il s'agit d'une infime partie de la collection. Tout n'est pas à valeur patrimoniale. Ce qui l'est ne disparaîtra pas. Des démarches seront effectuées auprès d'institutions culturelles et muséales pour préserver cet inventaire et en faire bénéficier le public. À titre d'exemple, plusieurs de ces costumes ont fait l'objet d'un don au Musée de la civilisation de Québec dans le cadre des célébrations du 75e anniversaire de Radio-Canada. Les éléments restants ne seront pas détruits. La Société cherchera à trouver des acquéreurs pour son inventaire.

À lire aussi :

CBC/Radio-Canada annonce l'abolition de près de 400 postes

Mots clés: