Virgil Abloh : un créateur pluriel et sans barrières

En 2015, Virgil Abloh était finaliste du LVMH Prize décerné aux jeunes créateurs de mode. A peine trois après, il succédait à l'Anglais Kim Jones à la tête des collections masculines du géant Louis Vuitton. Un parcours fulgurant et exemplaire pour un créatif hors norme dans sa pluridisciplinarité comme dans sa façon de travailler.

Ce parcours éclaire la singularité de son apport au monde de la mode. Né en 1980, cet enfant de Chicago a grandi dans un univers ultra-urbain, passionné de skate, de graffiti, et inspiré par la figure tutélaire de Michael Jordan, il s'est forgé une esthétique nourrie des codes de la street culture. Collaborateur puis ami proche du rappeur Kanye West, il a un temps évolué tel un satellite autour du monde de la mode avant d'y prendre part, créant Off-White, son propre label en 2013 ( racheté à 60 % par LVMH en juillet 2021 ).

Contre-programmation

Si aujourd'hui, rien de tout cela ne semble détonner avec le luxe, il en était tout autrement en 2018, au moment de sa nomination chez Louis Vuitton. Cette contre-programmation sonnait comme un pari autant qu'un coup médiatique pour son PDG Michael Burke et LVMH. Les détracteurs du designer américain préféré des cool kids avaient alors souligné son absence d'expérience dans une grande maison de mode, sa formation iconoclaste (des études d'ingénierie civile puis d'architecture), et une méconnaissance totale du vêtement masculin classique.

Avec un premier défilé événement baptisé « We are the world » auquel avaient été conviés des étudiants en mode et des salariés de Louis Vuitton, Virgil Abloh avait posé les bases de ce qui allait être à la fois sa façon de faire et de dire. Une mode traversée par les époques et les styles, généreuse, ample, aussi référencée que pragmatique. Mais aussi un esprit sincère dénué d'ironie, une humanité qui assume son optimisme et un militantisme sobre mais sans concession. Les mannequins de ce premier défilé étaient à l'image du monde et de sa pluralité. Avant tous les autres, Virgil Abloh a imposé le principe de diversité dans le luxe. Il était le premier homme afro-américain à occuper une fonction aussi haute dans une maison de cette dimension et comptait bien en faire quelque chose.

Jouer avec la mode

Virgil Abloh : un créateur pluriel et sans barrières

Avec une force tranquille, souvent une touche d'humour, il a fait tomber un certain nombre de vieux schémas. En dépit de ses prestigieuses fonctions et des responsabilités qui lui incombaient, il n'a jamais renoncé à son activité de DJ, sillonnant le monde pour des performances recherchées. Chicago, Paris, Milan, Tokyo… peu importe, il communiquait avec ses équipes et les journalistes sur WhatsApp, postait sur son compte Instagram (6,9 millions d'abonnés) les étapes de ses projets créatifs, rompant avec le sacro-saint mystère du luxe et rappelant à l'occasion que la mode doit rester un jeu. Sur une vidéo postée en septembre dernier, on voit ainsi l'artiste Charlie Doves taguer le smoking Louis Vuitton que le styliste portera au dernier Met Ball. Autant de ponts jetés vers ces millenials que convoite tout le secteur.

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A la tête de sa petite factory, Virgil Abloh avait pour principe de ne renoncer à rien, dès lors qu'il pouvait s'exprimer. La fluidité, autre concept de l'époque, était son mode opératoire. Il n'existait pas de frontières entre ses différentes activités, et les réseaux sociaux peuvent aujourd'hui en témoigner puisqu'il documentait tout.

Ses collaborations démocratiques avec Ikea ou encore Evian ont contribué à ouvrir les chakras du luxe et faire tomber des barrières, du côté des marques comme de celui des clients. A l'image d'un Karl Lagerfeld qui, avant lui, avait ouvert le champ. Passionné d'architecture, il aimait le mouvement métaboliste japonais mais aussi et surtout les modernistes pour lesquels il cultivait une saine obsession. Ainsi possédait-il une lampe originale en béton signée Le Corbusier et Pierre Jeanneret, modèle Chandigarh, son objet le plus précieux… et source d'inspiration d'une collection de 20 pièces de mobilier en béton présenté en 2020 à la Galerie Kreo.

La liste des activités, talents et collaborations de Virgil Abloh ressemble à un roman formel de Georges Perec, une phrase sans point où convergent la singularité d'un jeune artiste et les vibrations de l'époque. Elle s'interrompt brutalement aujourd'hui. Reste pour l'instant la mélancolie, celle de voir partir si vite un créatif si prolixe, un père dont les enfants courraient entre les mannequins et les journalistes, un ami qui s'était laissé aller à son émotion dans les bras de Kanye West, le jour de son premier défilé.

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