Mode bretonne : la broderie Réservé aux abonnés
Série À la mode bretonne : 3/8
Si les paysans bretons possèdent depuis des siècles un habit de travail et un autre de cérémonie ou de fête, ce dernier reste taillé dans un même tissu, à base de lin et de chanvre. Avant la Révolution française en effet, il est interdit au tiers-État - si jamais il en a les moyens - d’utiliser des étoffes plus précieuses comme la dentelle ou la soie, alors réservées au clergé et à la noblesse.
En 1792, la Convention abroge ces lois appelées somptuaires, et chacun peut désormais s’habiller avec les matières qu’il souhaite et qu’il peut s’acheter. « Il n’y avait pas de costumes typiques en Bretagne avant la Révolution française de 1789, conséquence surtout des restrictions, expliquent Geneviève Jouanic et Viviane Hélias, dans un ouvrage consacré à la broderie en Basse-Bretagne (*). C’est à cette époque qu’apparaissent, influencés par les modes parisiennes, les différents costumes régionaux. »
Le développement des costumes traditionnels
Rapidement, les nombreux pays que compte la Bretagne vont se parer de costumes, afin de marquer leurs différences et leur identité. Ces vêtements constituent en quelque sorte un uniforme, très codifié, qui indique l’origine géographique de celui qui les porte, sa profession mais aussi sa condition sociale. « À l’obsession paranoïaque de l’uniformité républicaine répondit une obsession réflexe de la singularité », précise Erwan Vallerie dans son livre « Ils sont fous ces Bretons ».
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— Phil Beale Sat May 18 18:04:10 +0000 2013
« C’est au XIXe siècle que le costume breton se diversifia : chaque bourg, chaque village, chaque quartier de ville mit son point d’honneur à se distinguer du voisin par le jeu des broderies et des couleurs… » Ainsi, les Quimpérois s’habillaient dans les tons bleus, alors que les habitants du pays d’Elliant portaient des costumes à dominante jaune. La forme du pantalon, de la robe, du chupenn (le fameux gilet) peut varier. On dénombre plus de 65 modèles sur l’ensemble de la péninsule armoricaine à la fin du XIXe siècle.
Un signe de richesse
Si au début des années 1800, ces vêtements de fête sont encore fabriqués avec les tissus traditionnels, tissés par les familles de paysans eux-mêmes, la révolution industrielle et l’apparition des métiers à tisser mécaniques dans l’Hexagone puis le développement progressif du chemin de fer permettent d’importer en Bretagne des tissus plus abordables et différents (comme le velours) produits dans le Lyonnais ou le Nord de la France, mais aussi des matières décoratives comme le fil de soie ou d’or, ainsi que les perles. À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, les costumes bretons se parent ainsi de broderies, d’autant plus luxueuses, que le propriétaire de l’habit est riche. Généralement, on se fait confectionner un tel vêtement pour une grande occasion, comme une communion ou un mariage, on conserve ensuite ce dernier pour d’autres événements comme les fêtes religieuses importantes qui marquent le calendrier.
La naissance d’un métier
Dans toute la Bretagne, les costumes traditionnels évoluent au fil des années et arborent des broderies, souvent d’inspiration parisienne, précisent Geneviève Jouanic et Viviane Hélias, reprenant des motifs floraux adaptés pour les robes ou les tabliers des femmes et les chupennoù des hommes. Ils sont confectionnés par des brodeurs possédant un magasin en ville qui emploie des ouvrières, ces dernières reproduisant des modèles aperçus dans des catalogues. Mais c’est grâce aux brodeurs basés dans les campagnes, notamment en Cornouaille, que « les motifs régionaux verront le jour.
S’inspirant parfois (des brodeurs citadins), le brodeur paysan crée ses propres motifs, influencé par son terroir ; c’est ainsi que des modes (Bigouden, Glazic, Melenig) feront naître cette broderie qui s’épanouira dans le sud de la Basse-Bretagne ». Les plus réputés sont ceux du pays Bigouden, qui se démarquent par la finesse de leur travail et la diversité des motifs. On retrouve généralement sur leurs œuvres le cœur (symbole d’amour), le soleil (joie), la chaîne de vie (prônant la confiance en Dieu), la corne de bélier (force) ou encore la fougère (fécondité).
Au début du XXe siècle, les broderies bretonnes s’exportent même à Paris, de nombreuses familles bigoudènes travaillent pour les grandes maisons parisiennes.
Pour en savoir plus
« Modes et costumes traditionnels de Bretagne » de René-Yves Creston, éditions Kendalc’h, 1999.
( *) « La broderie en Basse-Bretagne » de Geneviève Jouanic et Viviane Hélias, éditions Jos, 1996.
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La Première Guerre mondiale marque la fin de l’âge d’or de la broderie bretonne. Après l’armistice, les costumes traditionnels deviennent plus sombres et plus sobres, et leur usage se fait rare avec l’exode rural. De fait, ces brodeurs paysans disparaissent peu à peu. Dans l’entre-deux-guerres, Marie-Anne Le Minor fonde son entreprise à Pont-l’Abbé et décide de rassembler autour d’elle les brodeurs du pays Bigouden, afin de faire perdurer ce savoir-faire inestimable, qui fait maintenant partie du patrimoine culturel breton. Le Minor décline ces broderies non plus seulement sur les vêtements traditionnels, mais aussi sur du linge de table et de maison, des habits de poupées et des accessoires liturgiques.
Dans les années 1990, le styliste breton Pascal Jaouen s’empare de cet élément culturel pour ses collections, remettant au goût du jour la broderie bretonne dans la mode : « Je suis né à Bannalec en 1962 et j’ai eu la chance durant mon enfance de croiser des femmes qui portaient le costume traditionnel tous les jours. Lorsque j’ai intégré le cercle celtique, j’ai pris conscience de ce superbe patrimoine qui risquait de disparaître. Je me suis beaucoup attaché à ces modes vestimentaires qu’il fallait, selon moi, sauvegarder ». Pascal Jaouen crée donc son entreprise à Quimper en 1995 pour faire perdurer cette tradition. Aujourd’hui, l’École de broderie d’art forme plus de 1 000 personnes par an et son atelier de haute-broderie développe des collections, afin de montrer que la broderie bretonne peut aussi être contemporaine…