En Afghanistan, l’image des femmes s’efface
Quatre jours après leur prise du pouvoir, les talibans continuent de s’activer pour effacer les Afghanes de l’espace public. Après les images de femmes qui ornaient les vitrines, progressivement masquées dans les rues de Kaboul notamment, la journaliste Shabnam Dawran a raconté dans une vidéo postée en ligne qu’elle s’était vue interdite de travailler pour sa chaîne cette semaine.
Portant un voile et montrant sa carte d’entreprise, elle explique que contrairement à ces collègues masculins «on ne m’a pas laissée entrer». «Ceux qui m’écoutent, si le monde m’entend, s’il vous plaît aidez-nous car nos vies sont en danger», a alerté dans cette vidéo la journaliste de la télévision publique RTA, pour laquelle elle travaillait depuis six ans. «Les employés masculins avec des cartes de bureau ont été autorisés à entrer dans le bureau, mais on m’a dit que je ne pouvais pas continuer à exercer mes fonctions car le système a changé», a poursuivi Shabnam Dawran. «On m’a dit : «tu es une femme, va t’asseoir chez toi»», a-t-elle déclaré lors d’une interview à India Today.
Le rédacteur en chef de la chaîne d’information en continu privée afghane Tolo News, Miraqa Popal, a été l’un des premiers à partager la vidéo de la journaliste. «Les talibans n’ont pas autorisé mon ancienne collègue […] Shabnam Dawran à commencer à travailler aujourd’hui», a-t-il écrit mercredi dans un tweet partagé des milliers de fois. La veille, il avait publié sur le même réseau social une photo d’une présentatrice de Tolo News, avec la légende suivante : «Nous avons repris nos retransmissions avec des présentatrices aujourd’hui.»
Le témoignage de Shabnam Dawran contredit les déclarations des talibans, qui avaient affirmé que les médias seraient indépendants et libres. Un responsable taliban s’était d’ailleurs mis en scène au côté d’une femme journaliste pour une interview en face-à-face.
Côté talibans, des paroles et des traques
Les images des femmes disparaissent des rues de Kaboul
La communauté internationale et nombre d’Afghans étaient sans grande surprise extrêmement sceptiques devant les promesses des talibans. Kaboul a déjà changé de visage. Les affiches et photos de femmes qui ornaient les vitrines sont masquées ou vandalisées dans la capitale de l’Afghanistan. Ces vingt dernières années, les instituts de beauté avaient fleuri par centaines à Kaboul, proposant des séances de maquillage ou de manucure. Une vraie nouveauté pour certaines femmes qui avaient grandi avec une burqa, dissimulant tout leur corps jusqu’aux yeux, sous le premier joug des talibans entre 1996 et 2001.
Mais revoilà les fondamentalistes et, alors que les talibans étaient aux portes de la capitale la semaine dernière, les Kaboulis blanchissaient déjà leurs vitrines pour cacher les publicités sur lesquelles des femmes, en tenue de mariage, affichaient un large sourire. Ce mardi, les devantures des salons de beauté étaient couvertes de peinture noire afin de dissimuler les visages des mannequins. Souvent, un combattant taliban patrouillait devant, fusil d’assaut en bandoulière.
«Laisser les femmes travailler»
Durant les cinq années au cours desquelles ils ont dirigé le pays, les talibans avaient imposé leur version ultra-rigoriste de la loi islamique. Les femmes avaient interdiction de sortir sans un chaperon masculin et de travailler, les filles d’aller à l’école. Les femmes accusées de crimes comme l’adultère étaient fouettées et lapidées.
Soucieux d’afficher un visage rassurant et de convaincre qu’ils ont changé, les talibans se sont engagés mardi «à laisser les femmes travailler», avant d’ajouter «dans le respect des principes de l’islam», sans plus de précision. Un porte-parole, Suhail Shaheen, a affirmé que la burqa ne serait plus obligatoire. Il a également affirmé que les femmes seraient autorisées à étudier à l’université. Les écoles pour filles sont également restées ouvertes. Pourtant, lors de l’avancée des talibans, des médias ont fait état de célibataires ou de veuves qui ont été contraintes de se marier à des combattants. Ces informations ont été démenties par un porte-parole qui les a qualifiées de «propagande».
Afghanistan : «Les femmes vont être emmurées vivantes»
Soutien dans le monde entier
A travers le monde entier, des manifestations ont été organisées en soutien aux civils afghans, aux femmes et jeunes filles en particulier. Mercredi, dans une déclaration commune, l’Union européenne et les Etats-Unis se sont dits «profondément inquiets» de la situation des femmes en Afghanistan, appelant les talibans à éviter «toute forme de discrimination et d’abus» et à préserver leurs droits.
En juillet, la gérante d’un salon de beauté de Kaboul disait à l’AFP s’attendre à devoir le fermer si les talibans revenaient au pouvoir. «S’ils reviennent, nous n’aurons jamais la liberté que nous avons maintenant», redoutait la jeune femme de 27 ans, en demandant à rester anonyme. Elle l’assurait : «Ils ne veulent pas que les femmes travaillent.»
Article mis à jour le jeudi 19 août à 19 heures avec l’éviction de la journaliste télé afghane Shabnam Dawran.