Industrie de la mode : « Les marques font appel à des mannequins iconiques qui ne représentent pas la population »

Industrie de la mode : « Les marques font appel à des mannequins iconiques qui ne représentent pas la population »

Temps de lecture estimé : 2 minutes

Temps de lecture constaté 2’40

Andréa Gilet est directrice croissance interne d’Euveka. Elle plaide pour que l’industrie de la mode devienne plus éthique.

L’industrie de la mode est responsable de 10 % des émissions de carbone mondiales. Hormis son déficit de responsabilité écologique, on lui reproche aussi un manque d’inclusivité. Avec une offre de vêtements pas toujours représentative de l’ensemble de la société. Accusée de tous les maux l’industrie de la mode ? À Euveka, la création de mannequins-robots connectés et évolutifs tente d’encourager les fabricants à se tourner vers une mode plus éthique. Entretien avec Andréa Gilet, directrice croissance interne de la société drômoise.

Concrètement, comment fonctionnent les mannequins-robots connectés et évolutifs conçus par Euveka ?Les fabricants de mode sont confrontés à un fléau : les problèmes de taille et d’ajustement ! Soit la première cause qui pousse les consommateur·rices à enchaîner les retours (un tiers des vêtements retourné sur les plate-formes en ligne, en grande partie pour des problèmes de taille, ndlr). De là, nos mannequins-robots captent les données morphologiques physiques pour s’adapter avec précision aux corps des client·es. Les mannequins en bois, qu’on utilise couramment, reposent sur une seule morphologie – souvent des corps jeunes et dynamiques – que l’on va ensuite calquer pour produire plusieurs tailles. À partir d’une base donc pas forcément adaptée. Non les mannequins en bois ne répondent pas aux problématiques de la mode.

On utilise la mécatronique pour nos mannequins-robots. Lesquels comportent aussi une housse effet seconde peau. Puis, à l’intérieur, les mannequins sont donc robotisés et connectés à un ordinateur qui, via des algorithmes, donne des ordres aux mannequins pour qu’ils varient les axes de mesure.

On dit souvent que l’industrie de la mode manque d’inclusivité, c’est aussi votre avis ?Bien sûr. Souvent, pour une collection, les marques font appel à des mannequins célèbres, iconiques, et qui ne représentent pas assez la population. On retrouve toujours – ou presque – les mêmes mannequins représenté·es sur les sites ! C’est un signal, comme si les marques alimentaient l’image d’un certain type de clientèle dans leurs magasins.Une image qui ne va pas souvent de pair avec les grandes tailles. Nous chez Euveka, nos mannequins-robots s’adaptent à des tailles qui s’étalent du 36 au 46. Ce qui correspond à environ 80 % de la population. On s’apprête aussi à toucher un panel encore plus large – avec des tailles qui iront au-delà mais aussi en dessous.

D’un point de vue économique, les marques n’ont aucun intérêt à faire une place moindre aux grandes tailles. Puisqu’elles se privent de client·es et a fortiori de ventes ! (L’étude IFTH de 2006 en France montre que la taille 40 revient le plus souvent pour les femmes, suivent le 42 et le 44). En parallèle, on ne peut pas non plus oublier que pour les modélistes, il reste plus difficile d’aboutir à des prototypes pour les grandes tailles. Cela demande plus de connaissances et des cours plus spécifiques en amont.

Sur l’aspect écologique, là-aussi, la mode doit revoir sa copie ?Oui, quand on dit que l’industrie de la mode se trouve responsable de 10 % des émissions de carbone mondiales, on a affaire à une estimation, je crois en réalité que le chiffre va au-delà. Allons à la source, c’est-à-dire les fabricants de vêtements, c’est là que tout se joue ! Quand on produit un vêtement, on veut qu’il soit vendu. Cela paraît logique. Et pourtant, encore une fois, les problèmes de taille ou les habits mal ajustés vont à l’encontre de la satisfactiondes consommateur·rices qui soit retourneront leur produit, soit le jetteront. La technologie – pour laquelle le secteur de la mode a longtemps affiché ses réticences – résout en partie ce gaspillage textile.

Alors oui, vous et moi – en tant que consommateur·rice – avons aussi un rôle à jouer. La tendance de l’achat en ligne se généralise, elle qui rend encore plus hasardeux l’adéquation d’un vêtement à notre corps. Avec ce sentiment qu’on achète en ligne pour voir. On commande et on essaie. C’est dommage. Mais il ne faut pas s’y tromper, ce sont les marques elles-mêmes qui doivent impulser un changement et parvenir à une prise de conscience. D’ailleurs, je pense que les mentalités, dans le secteur, évoluent doucement. Souvenez-vous, de grandes marques ont annoncé vouloir réduire de 30 % leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 [c’était en 2018 dans le cadre de la Charte de l’industrie de la mode pour l’action climatique, ndlr]. Beaucoup de choses ne vont pas dans cette industrie, c’est indéniable, mais je considère que l’on emprunte enfin la bonne issue.

Propos recueillis par Geoffrey Wetzel

PS : le textile sait aussi faire preuve d’engagement quand il le faut !

Mots clés: