La femme est-elle un designer comme les autres ? | Vanity Fair LargeChevron Menu Close Facebook Twitter Instagram Pinterest Facebook Twitter Email Facebook Twitter Email Facebook Twitter Instagram Pinterest LargeChevron
La cause semble entendue : les créatrices de mode, pragmatiques, penseraient d’abord à la façon dont les femmes portent leurs vêtements ; leurs homologues masculins, eux, broderaient de purs fantasmes pour des créatures irréelles. La présence, toujours parcimonieuse, des femmes à la tête des maisons de couture empêche de tirer des leçons définitives. « J’ai été tout aussi surprise que vous de ma nomination chez Dior, s’étonne encore Maria Grazia Chiuri, directrice artistique depuis 2016. Parce que je suis la première femme [à cette place] dans l’histoire de cette maison, je me suis naturellement mise à réfléchir à notre rapport à la mode. Et, étant donné ma position, j’ai décidé que le moment était venu d’aborder à nouveau la question de l’égalité entre homme et femme. » Depuis son arrivée chez Dior, ce sujet crucial semble accaparer les esprits dans les grandes maisons de mode : pourquoi si peu de femmes en occupent la direction de création ? Comme pour lui donner raison, Lanvin a recruté Bouchra Jarrar en mars 2016, suivi un an plus tard par Chloé avec Natacha Ramsay-Levi et Givenchy avec Clare Waight Keller.
Le mot « couturier » ne désigne pas la même fonction au féminin : l’une fabrique, l’autre invente. Cette distinction souligne un rapport de force datant de la fin du XVIIe siècle, sous Louis XIV, quand la profession s’est mise en place, avec sa hiérarchie et ses corporations régies (déjà !) par la gent masculine. L’histoire se souvient pourtant de celles qui ont donné à la couture ses lettres de noblesse : Jeanne Paquin, les quatre sœurs Callot, ou encore Lucile – alias Lady Duff Gordon. Non contente de survivre au naufrage du Titanic, cette dernière, visionnaire, a imaginé le premier défilé sur un podium avec des mannequins qui paradaient en prenant la pose. Lucile elle-même annonçait alors le nom des modèles présentés durant leur passage, le tout sur fond de musique live menée à la baguette par un fringant chef d’orchestre.
La génération suivante est encore plus pointue : chacune à leur façon, Jeanne Lanvin, Madeleine Vionnet, Gabrielle Chanel et Elsa Schiaparelli défendent une élégance qui ne céderait rien au fonctionnel. Avec toutes sortes de nuances. Chanel habille, Lanvin décore, Schiaparelli parade, Vionnet épure. Chacune assène son credo en termes clairs : « Un couturier habille des êtres humains, non des rêves », clame haut et fort Madeleine Vionnet.
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Coco Chanel, citée par Françoise Giroud, dans L’Express en 1956, surenchérit : « On commence toujours par faire des robes de rêve. Et puis il faut abattre ; il faut rogner ; il faut enlever. Jamais remettre. » Et dans Elle, en 1958 : « Je veux faire des robes qui donnent aux femmes l’impression d’être à l’aise dans leur temps, qui les aident à vivre. » Dans son autobiographie Shocking (Denoël, 1954), Elsa Schiaparelli ne dit pas autre chose : « Une robe ne demeure pas, comme un tableau, accrochée au mur, ou ne mène pas, comme un livre, une longue existence intacte et préservée. Elle ne possède pas une vie à elle, à moins qu’elle ne soit portée et, dès lors, une autre personnalité la prend et l’anime, ou du moins s’y efforce, la grandit, la détruit ou en fait un hymne à la beauté. » Et Jeanne Lanvin, la doyenne, d’ajouter : « Il faut se méfier de l’imagination. Elle doit d’abord servir à voir d’avance les défauts de ce qu’on imagine. Il faut créer en retranchant. » Sur la porte de son bureau, une plaque est apposée. Un seul mot y est gravé : « Madame. » Même Paul Poiret, premier couturier masculin superstar, semble convaincu par ces arguments : « Ce sont les femmes qui font la mode ! »
Objectif LuneÀ partir des années 1960 émerge un état d’esprit qui porte en lui des germes contestataires et anti-conservateurs. En écho à l’humeur sociale de l’époque, une nouvelle vague de femmes stylistes se fait connaître. Celles-ci réfutent cette hiérarchie d’ancien régime, calquée sur la vie d’avant la Seconde Guerre mondiale, la panoplie de classe organisée en robe de déjeuner, tenue d’après-midi, ensemble de dîner, grande robe de gala... Les femmes veulent se simplifier la vie, jeter aux orties leur statut d’objet, participer aux activités à l’égal des hommes et inscrire les préceptes d’un féminisme de plus en plus affirmé dans les tables de la loi. Sous leurs propres noms ou derrière le masque anonyme du free-lance pour de grands fabricants de la confection, Emmanuelle Khanh, Christiane Bailly, Michèle Rosier et Sonia Rykiel tiennent à ce moment-là le haut du pavé. « Il n’y avait aucune mode pour la jeunesse ; il n’y avait que des vêtements de dames », rappelle Claude Brouet, rédactrice de mode pendant plus d’un demi-siècle (elle a notamment créé les pages prêt-à-porter du magazine Elle au début des années 1950). « *À cause de tous les diktats des couturiers, les femmes étaient très soucieuses d’être à la mode, et non pas de se sentir bien dans leur peau. *» Au seuil des années 1970, le discours ambiant change du tout au tout : « Soyez vous-mêmes ! Prenez dans la mode ce qui vous plaît, ce qui vous va ! » proclame Claude Brouet dans ses pages. « On voulait qu’elles soient libres de leurs choix, qu’elles ne se sentent pas obligées de se mettre dans un moule », rappelle-t-elle aujourd’hui.