Ayons honte, soyons fiers ! Éloge de la honte comme moteur de révolte

Ayons honte, soyons fiers ! Éloge de la honte comme moteur de révolte

“Que vont-ils penser de moi ?” Dépasser cette question de la honte sociale peut conduire à de saines colères. Et être source d’affirmation et de création, selon le philosophe Frédéric Gros, auteur de “La honte est un sentiment révolutionnaire”.

« La honte est l’affect majeur de notre temps », affirme le philosophe Frédéric Gros dans son dernier essai, La honte est un sentiment révolutionnaire. Aujourd’hui, on ne crie plus à l’injustice, on « hurle à la honte », comme pour marquer au fer moral les comportements des uns ou des autres. Mais cet anathème se double de l’aspiration exactement inverse, portée par les gourous du développement personnel et du lâcher prise total : « N’ayez plus honte ! » Assumez vos travers, cessez de vivre dans la hantise de votre surmoi ou du jugement des autres, « soyez vous-même ». Fermez le ban ? Pas tout à fait, propose Frédéric Gros : car il y a un bon usage de la honte, un usage révolutionnaire au plan intime comme au plan sociétal, que nous serions mal avisés de rejeter…

Il existe tellement de raisons et de façons d’avoir honte…D’abord, le monde nous fait souvent honte dans la manière dont il déraille. Les inégalités de fortune peuvent être si abyssales qu’elles en deviennent indécentes. Je pense au sourire béat de Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, après son petit tour dans l’espace en pleine crise sanitaire, et ses déclarations émues sur « la fragilité de la Terre » ! Cette ultra obscénité nous contraint à avoir honte pour lui. De son côté, le néolibéralisme s’est construit comme une formidable fabrique de honte, nourrissant en chaque individu l’idée que s’il est pauvre, déclassé, malheureux, il en est le premier responsable et doit questionner sa paresse ou son manque d’ambition. Troisième forme contemporaine : on voit la remontée à la surface de l’actualité d’un certain nombre d’injustices historiques majeures, dont les victimes ont longtemps été maintenues dans la honte — la domination masculine sur les femmes, la situation des colonisé(e)s, des victimes du racisme systémique… Adèle Haenel a crié « La honte ! La honte ! » en quittant la cérémonie lors de la remise d’un César à Roman Polanski. Enfin, a surgi une honte numérique avec les réseaux sociaux : nous exhibons notre identité sur Facebook, Twitter, Instagram, etc., en nous exposant à des réactions, des « opérations de honte » aux effets potentiellement destructeurs.

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