Rencontre : Camélia Jordana prend position et défend ses engagements

Rencontre : Camélia Jordana prend position et défend ses engagements

Travailler avec une jeune chanteuse et actrice demande toujours quelques précautions d’usage, mais là, en cette fin d’avril, le cas a viré au particulier : Camélia Jordana prend position depuis des mois de façon si franche, si exposée, recevant plus de coups qu’elle n’en donne, qu’elle en arriverait à nous faire oublier qu’un ou une artiste qui ouvre sa gueule, c’est devenu impensable en 2021. Les réseaux sociaux, qui ont pour fonction commune de libérer la parole, leur ont coupé le sifflet. Pas elle. Camélia Jordana parle de ces endroits que les autres ont désertés.Rencontre : Camélia Jordana prend position et défend ses engagements Rencontre : Camélia Jordana prend position et défend ses engagements

En ce début de printemps, après une année à dénoncer les violences policières, à affirmer des positions inspirées du néo­féminisme et des thèses postcoloniales, elle s’associe à deux autres chanteuses populaires et « issues de la diversité » (expression-­valise que n’emploient que ceux qui n’en viennent pas), Amel Bent et Vitaa. Un projet tout en sororité, un album à venir en 2021, mais dont un extrait est déjà disponible : une reprise de Diam’s, Marine, écrit en 2004, lors de la passation de pouvoir entre Jean-Marie Le Pen, chef historique du Front national, et sa fille. « Il est sorti il y a trois jours [ nous sommes le 6 avril]. Ça se passe bien. C’est un morceau qui nous ressemble, et qui rassemble des milliers de personnes. Depuis l’époque où Diam’s le chantait, il y a dix-sept ans, beaucoup de choses se sont passées. »

Entre-temps, Marine Le Pen s’est hissée au second tour de l’élection 2017 et les pronostics du prochain scrutin donnent presque pour acquis un second duel final entre Emmanuel Macron et la présidente du Rassemblement national. Il y a vingt ans, une telle perspective aurait déclenché un cordon sanitaire artistique ; plus maintenant. À croire que ces trois filles seules voient le danger : « On nous a demandé si on accepterait un débat avec Marine Le Pen, mais ce n’est pas notre métier. Nous, on parle d’une femme victime des pensées de son géniteur. Marine, j’ai limite de la compassion pour elle. Elle nettoie très loin pour faire oublier le père aujourd’hui. Dans le morceau, Diam’s a écrit cette phrase : “Tu as un prénom”, c’est un appel à ce qu’elle pense autrement. Elle a rompu avec le père, mais a-t-elle rompu avec ses idées ? Non, elle incarne toujours l’extrême droite. Aussi, la menace de Le Pen présidente est-elle à prendre au sérieux. » Aussitôt le titre balancé par surprise, la frange droite des réseaux sociaux s’est mise vent debout : « Les réactions les plus épidermiques venant de la fachosphère, sincèrement, je n’y accorde plus aucune importance. Cela fait tellement un an que je me fais terminer que je veux juste me concentrer sur le positif, le doux, le bienveillant. »

Rencontre : Camélia Jordana prend position et défend ses engagements

« Se faire terminer » : l’expression, par sa violence même, donne à celle qui nous parle une force paradoxale : si elle peut en sourire, ils n’en auront pas terminé avec elle. Et puis elle dit cela comme si les insultes venaient se lover autour d’elle pour lui servir d’armure. « Mon Instagram n’est pas en privé. Je bloque, je signale uniquement quand c’est vraiment dégueulasse ; ceux qui viennent pour dire juste qu’ils ne m’aiment pas, je laisse couler. Les réseaux, ça sert à ça aussi. En janvier, au moment de la sortie de mon album Facile × fragile, j’ai connu une attaque concertée : pendant vingt-quatre heures, j’avais une montagne de commentaires abjects, haineux. C’est devenu courant. Si tu es une artiste qui s’engage, tu sais que tu ne peux plus y échapper. Alors non, je ne perds pas mon énergie à souffrir pour cela, merci. Il y a trop de choses à faire dans la vie. Ça a même pu m’amuser, parfois. Il y a, parmi les commentaires méchants, des choses violentes mais formulées par des gens qui ont une forme d’humour que je ne déteste pas. Je les aime bien, ceux qui ont l’art de la formule. Et sinon non, je ne bénéficie d’aucune protection policière... Ah ah ! Non, je ne suis pas allée demander. »

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