PORTRAIT. Julien Poli, champion du monde et militant de la danse de même sexe
Créateur de l’association Laissez-nous danser dans le 11ème arrondissement de Paris, Julien Poli, champion du monde de danse sportive same-sex aux Gay Games 2018, plaide pour la reconnaissance de cette pratique par la Fédération française de danse, frileuse à l’idée de voir danser deux hommes ou deux femmes ensemble.
« Le sport est un peu mon exutoire »
S’il était une danse, Julien Poli serait le tango pour son côté passionnel, colérique et un peu directif. S’il était un plat, il serait les beignets de fleurs de courgettes, un mets de Nice – sa ville d’origine – et une madeleine de Proust incarnant pour lui le gras et la douceur. Et finalement, s’il était l’un des jurés de Danse avec les stars, il serait Fauve Hautot,parce qu’ils ont concouru en compétition ensemble et qu’il la trouve « extraordinaire ». Cet hyperactif de 41 ans, à qui l’on donnerait dix ans de moins, se réjouit du fait que le chanteur Bilal Hassani puisse cette année avoir un partenaire masculin dans l’émission de TF1.
Cet ancien compétiteur, dont le tatouage recouvrant son avant-bras gauche représente des couples de danseurs homme-homme, femme-femme et femme-homme, a mis du temps à trouver sa vocation. Enfant, le brun au regard perçant s’essaye au patinage artistique, à la gymnastique, au cyclisme, au taekwondo, à l’aviron… « J’ai toujours eu besoin de me dépenser, le sport est un peu mon exutoire », livre Julien Poli. Fils d’une cadre hospitalière et d’un directeur d’agence bancaire, il grandit dans un quartier de la capitale azuréenne, et rêve de devenir archéologue… puis, curieusement, huissier de justice.
Finalement, Julien Poli opte pour la musicologie avec pour but de devenir professeur de musique. Une ambition qu’il abandonne rapidement, même si l’enseignement le passionne. Un peu perdu, il se retrouve à Besançon, dans un BTS publicité/marketing qui le met à la porte à la fin de l’année. Vexé, le jeune homme veut mettre fin à ses études. Mais, grâce à un nouveau BTS en communication des entreprises, il se passionne pour le graphisme, le métier qu’il exerce toujours, en parallèle de sa carrière de danseur et de professeur.
Découverte de la danse same-sex au Tango
C’est depuis un local loué rue du Faubourg du temple que Julien Poli s’adonne à cette deuxième activité. Une petite pièce aux murs entièrement blancs, sobrement meublée d’un bureau et d’un grand écran d’ordinateur, qui lui permet de travailler en étant pleinement concentré, hors de son foyer. Il ne la quittera qu’en fin de journée pour rejoindre son mari et son fils chez lui, puis son école de danse à 20 heures.
Julien Poli découvre la danse lors d’une soirée parisienne en 2005. Frustrés de devoir quitter un bar qui fermait à 2 heures du matin, le futur danseur et l’un de ses amis cherchent un club. On leur conseille alors le Tango, mythique boîte gay du troisième arrondissement. « On est arrivé devant la devanture et ça m’a fait penser à un club échangiste, il y avait du carrelage sur les murs, c’était super bizarre », raconte-t-il, amusé.
Dans la discothèque, il est ébloui par les gens de tous âges qui reproduisent la chorégraphie de Vogue, de Madonna : « Vogue c’était ma chanson, elle a bercé toute mon adolescence ». Il tombe alors sur des prospectus posés sur les tables : le Tango ouvre à 22h30, « c’est génial, enfin une boîte qui n’ouvre pas à une heure du matin ! » Le week-end suivant, Julien Poli y emmène une amie et s’aperçoit qu’à cette heure-ci, il s’agit de danse à deux same-sex : « C’est la première fois que je voyais deux garçons danser ensemble, deux filles danser ensemble, une fille diriger un garçon ». Bien qu’il n’ait aucune base en valse, le jeune adulte s’élance sur la piste. Il reviendra ensuite tous les week-ends.
La danse same-sex, une révolution des traditions
La véritable révélation aura lieu quelques mois plus tard, alors que le futur compétiteur prend des cours de danse de salon dans une école du Marais avec le réputé et regretté maître de danse Jean-Jacques Schiemer. « De septembre à avril je suis passé du premier niveau au quatrième. J’étais à fond la caisse, j’allais danser tous les week-ends, si je ratais cinq minutes de danse, c’était dramatique ». Très vite, il passe à la compétition car c’est « la carotte » qui le motive à travailler.
Mais, il ne concourt qu’avec des danseuses jusqu’en 2008, année où il découvre la possibilité de se présenter avec un partenaire masculin aux EuroGames de Barcelone. S’en suivent alors deux saisons pendant lesquelles il se produit avec son binôme Axel Zischka en tant que « follower », qui suit. Plus à l’aise dans ce rôle-ci, Julien Poli retourne en compétition « mixte » pour ensuite proposer un meilleur enseignement à ses élèves. Car en danse à deux, les rôles sont très marqués. Traditionnellement l’homme guide et la femme suit. En danse same-sex, chacun est libre de danser selon ses préférences.
Champion du monde, une consécration et un point final
De retour en same-sex pour la saison 2017-2018, ce perfectionniste s’entraîne avec son partenaire de danse Corentin Normand en vue des Gay Games. La compétition marque le point culminant de sa carrière : le duo devient champion du monde en danse sportive standard de même sexe. Et son point final : Julien Poli souhaite désormais se consacrer à sa vie personnelle et à l’enseignement.
Marie Fréville est la présidente de Laissez-nous danser, une des élèves et une amie proche du sportif : « Julien est ultra dynamique, il met une ambiance de fou dans ses cours et je pense que c’est vraiment la clé. Mais on bosse aussi, on fait beaucoup de technique. » Dans son école, Julien Poli accueille « bizarrement » beaucoup de personnes hétérosexuelles.
Quand on l’interroge sur la non-reconnaissance de la danse de même sexe par la Fédération française de danse (FFD) depuis son silencieux bureau de graphiste, à 8h30 du matin, ce perfectionniste hausse le ton : « Ce n’est pas parce que ça ne bouge pas en international que ça ne peut pas bouger en national, je suis complètement contre cette idée-là. Je suis désolé mais ouvrir une section danse de salon same-sex et en faire une entité à part entière […] je ne vois pas en quoi ça pose un souci ». Pour lui, le problème vient aussi des professeurs, parfois très proches de la fédération, et encore fermés à l’idée de voir deux filles ou deux garçons danser ensemble, tout comme une fille dans le rôle de leader et un garçon dans le rôle de follower. « Depuis la naissance on grandit avec cette idée que la fille est menée et que le garçon dirige », analyse-t-il.
En reconnaissant la danse same-sex, « la France ferait un énorme bon en avant ! »
L’enseignant entend souvent des remarques hostiles à cette danse. Un couple de femmes ou d’hommes serait moins « joli » ou « harmonieux » pour certains, quand d’autres s’inquiètent des réactions extérieures, comme cet ancien maître de danse du compétiteur : « Vous vous imaginez si demain une maman vient me voir en me disant ‘Je ne comprends pas pourquoi deux garçons peuvent danser ensemble’. qu’est-ce que je lui dis ? ».
Mais Julien Poli garde espoir. Le regard de la société sur cette pratique devrait évoluer, tout comme il est en train de changer, selon lui, sur le mariage pour tous depuis qu’il a été voté. D’ailleurs, s’il devait choisir son président de la République, ce déçu d’Emmanuel Macron nommerait l’ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira, à l’origine de cette loi : « C’est une femme extraordinaire du fait de sa culture, de ses connaissances […] Déjà que je rêve d’avoir une femme au pouvoir, alors une femme black au pouvoir, ça serait juste extraordinaire. La France ferait un énorme bon en avant ! ».
Par Élise PONTOIZEAUEn partenariat avec le Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ).
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