Que cherche la mode auprès des années 1980 ?

Que cherche la mode auprès des années 1980 ?

Des silhouettes kaléidoscopiques se croisent entre les tubes du musée Beaubourg. Elles marchent au pas du Cargo de nuit d'Axel Bauer, l'œillade ourlée de noir, les cheveux gaufrés, la bouche rouge. Sauf erreur, elles ne baladent pas leurs épaules surgonflées en 1984, mais bien le 6 mars 2019, sur le podium Louis Vuitton, où Nicolas Ghesquière clôturait près de trois semaines de défilés automne-hiver 2019-2020.

Comme une apothéose, puisque le cru de l'année fut constellé d'éléments empruntés aux eighties. Ce retour se perçoit aussi dans la rue, et les streetstyles. Si la mode est un éternel recommencement, pourquoi a-t-elle fixé cette période dans son rétro ? Et que dit ce retour des années 1980 dans le monde d'aujourd'hui ?

Costume superstar

S'il fallait ne désigner qu'une pièce pour cristalliser ce retour, il s'agirait sans conteste du costume. Uniforme de la femme d'affaires des années 1980, le power dressing était partout cette saison : Balenciaga, Givenchy, Lemaire ou encore Saint Laurent, gagnant jusqu'au podium Off-White habituellement très sport. Une présence d'autant plus remarquée qu'elle fait suite à des années de mode dominées par ce second registre. «Par définition, il s'agit de vêtements qui épousent le corps, dérivés de l'activewear», nous précise Pascal Monfort, fondateur du bureau de tendances REC.

Superstructures

Avec ses lignes étudiées et ses épaules soulignées, le costume donne à voir tout le contraire du courant streetwear qui plane sur les tendances depuis plusieurs saisons. Pour exprimer un ras-le-bol ? «Le sportswear a tellement été porté par tout le monde qu'une réaction à cette mode "molle" est une mode plus structurante. Or le sculptural est une valeur très eighties», poursuit Pascal Monfort.Les tailleurs renommés qui ont marqué les années 1980, à l'instar de Claude Montana ou Thierry Mugler, connaissent un regain d'intérêt sans précédent cette année. Quand le premier voit ses créations réinterprétées par le styliste Gareth Pugh pour Farfetch en collaboration avec Byronesque, le second est exposé en ce moment à Montréal et ses tenues vintage adoptées sur le tapis rouge par des célébrités comme Cardi B ou Kim Kardashian.

Transformer le corps

Pascal Monfort rappelle en outre que «sociologiquement, le tailleur est un vêtement qui exprime une distance, distingue celui qui le porte». Et donne «du corps au corps». «Les épaulettes, les lignes affirmées sont une façon de transformer le corps, de le dépasser», poursuit-il. Forcément, on pense aux femmes d'affaires pour qui l'uniforme servait à la conquête d'un univers alors dominé par les hommes. Une Working Girl ambitieuse incarnée avec charme en 1988, par Melanie Griffith.

Quand le tailoring des années 1980 s'invite aux défilés 2019-2020

Le tailoring des années 1980 s'invite aux défilés automne-hiver 2019/2020
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Que cherche la mode auprès des années 1980 ?

Comment ne pas faire le lien avec l'actualité, à l'heure de l'affirmation de la puissance féminine ? Sans doute a-t-il fallu digérer le choc de Me Too, en remettant les choses à plat à travers le streetwear, par essence unisexe. Pour repasser à des vêtements structurés, qui au-delà de conférer du pouvoir à ceux qui les portent, reflètent leur force intrinsèque. Comme le relève Pascal Monfort : «Peut-être qu'après cette vague où tout le monde était cool, cette attitude décontractée ne tient plus lieu de valeur suprême.»

Une dose de kitch

Dans un autre registre, les créateurs vont puiser à la source du kitch des années 1980, celle de la culture pop des années Top 50, si chère à Jacquemus ou Amélie Pichard.

Sur Instagram, la créatrice Amélie Pichard met en avant des icônes de cette décennie telles que Stéphanie de Monaco, l'interprète de Ouragan (son tube de l'album Besoin). Même son de cloche chez l'enfant de Salon-de-Provence, qui depuis le début fait référence à la Isabelle Adjani de Pull marine. Des codes que l'on retrouve aussi chez JW Anderson, qui imaginait en mars dernier une émission de télé-achat (genre dont l'essor mondial remonte à la fin des années 1980) pour présenter son sac Keyts.

"Toutouyoutou"

Les années 1980 furent aussi celles du culte du corps, porté par l'essor de l'aérobic. Une discipline aux codes esthétiques marqués par les couleurs fluo, les formes fuselées et les matières comme le lycra dont furent jalonnés les derniers défilés. Comme chez Marine Serre, dont les combinaisons moulantes réinventent cette esthétique pensée voilà quarante ans pour un futur devenu actuel. Sur les réseaux sociaux, la «shag hair cut», arborée dès les années 1970 par Jane Fonda, papesse du fitness outre-Atlantique, reprend du poil de la tête...

Années Palace

Cette flamboyance estampillée 1980 prend tout son éclat à la nuit tombée. Comme chez Saint Laurent, où l’on a cru croiser Betty Catroux rentrant de soirée. L'aura festive et flamboyante du Palace et du Studio 54 apparaissait aussi sur le podium Michael Kors de la dernière fashion week de New York, chez Tommy Hilfiger automne-hiver 2019 ou encore dans la verve romanesque de Marc Jacobs pour la saison prochaine. Le sex-appeal des nuits eighties se retrouvait aussi chez Isabel Marant où les filles tout en jambes jouaient des épaules, tandis que dans les derniers défilés parisiens Hermès, le clou et le cuir donnaient une touche rock aux allures chics, tout comme chez Balmain et ses looks «madonnesques».

En vidéo, Doria Tillier, fan des années 1980-1990

Nostalgie d'une époque inconnue

La jeune génération serait-elle éprise de nostalgie pour une époque inconnue ? D’après une étude de Thred up, plateforme américaine de vente entre particuliers, le marché du vintage devrait dépasser celui de la fast fashion d’ici 2028 ; une transition impulsée par les millennials, qui représentent près de 33% de ses consommateurs.

Si l’on peut y voir une sensibilité à la cause environnementale, le phénomène témoigne aussi d’un attrait pour le passé. Pascal Monfort confirme : «Il y a une vraie fascination pour les contre-cultures des années 1980. Le heavy metal, le hip hop… Aujourd’hui tout cela est trop polarisé, et n’existe plus.» Parmi elles, le voguing cher à Madonna continue de tracer sa route dans la jungle urbaine et gagner des adeptes du côté de la mode. En témoignent cette saison les performances de Kiddy Smile en marge de la Fashion Week, en DJ set ou en live, ou encore le ballet énergique animant la collection Kenzo Memento n°4.

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