Les femmes travaillent plus et sont payées moins, il est temps de lancer #paymetoo
A compter d'aujourd'hui, le 6 novembre 2018 à 15h35, le temps des femmes ne vaut plus rien: du fait des inégalités salariales, les femmes travaillent autant que les hommes mais gratuitement jusqu'à la fin de l'année. De la direction d'entreprise à Hollywood, en passant par le sport, les femmes sont sous-représentées et doivent tout prouver.
Être cheffe d'entreprise: faire des études, prendre en charge le travail domestique et la charge mentale, être payée moins
En France, les inégalités de salaire entre les femmes et les hommes s'élèvent à 18,5%, soit 2,2 points de pourcentage au-dessus de la moyenne européenne (où les femmes gagnent 16,3 % de moins que les hommes).
Diplômée de Sciences-Po, j'alimente la statistique: les femmes sont généralement plus éduquées que les hommes (33% ont le niveau d'éducation supérieure contre 29% des hommes). Dans ma démarche, une meilleure éducation était le signe d'une plus grande réussite professionnelle. Sur le terrain, j'ai pu observer que, à formation et à compétences égales, nous sommes moins rémunérées qu'un homme. Pire: les écarts de salaire se jouent essentiellement sur les comportements sociaux imposés aux femmes. La méritocratie ne porte pas les femmes à la hauteur de leurs succès académiques. Derrière les chiffres du temps partiel, de l'occupation de postes à responsabilité, et du chômage, il faut y voir les sacrifices des carrières des femmes au profit de leur foyer1.
Cheffe d'entreprise, je ne suis pour autant pas exonérée du travail domestique, évalué, en 2010, à 60 milliards d'heures, soit une valeur entre 33 et 71% du PIB2.
Le travail domestique, non rémunéré, étant en large majorité pris en charge par les femmes (3h26 par jour contre 2h), en comparaison à un chef d'entreprise homme, les écarts de nos salaires sont bien plus grands encore. Et cela est sans compter l'estimation de la charge mentale ou de la charge émotionnelle, majoritairement subie par les femmes, théorisée par la sociologue Monique Haicault3 en 1984 et popularisée en 2017 seulement par la bloggeuse Emma4: l'entrepreneur s'assure du bien être de sa boîte; l'entrepreneure doit, en plus, penser à acheter et faire signer par toute la boîte la carte d'anniversaire d'un employé.
Si nous prenions en compte le travail domestique dans le calcul du niveau de vie des ménages, comme suggéré par la Commission Stiglitz – du prix Nobel d'économie 2001 du même nom pour ses travaux sur l'économie du développement –, je gagnerai, en tant que femme, largement en qualité de vie.
La newsletter Les Glorieuses a créé, en 2016, un mouvement pour dénoncer les inégalités de salaire. C'est le fruit du travail d'une camarade de promotion de Sciences-Po qui pensait, elle aussi, que faire des études supérieures allait lui garantir, entre autres, l'égalité salariale. Cette année, et du fait des inégalités de salaire, les femmes françaises travailleront gratuitement à compter du 6 novembre à 15h35. En 2 ans, nous avons perdu une journée d'égalité salariale: le premier mouvement était le 7 novembre à 16h34. A ce rythme, l'égalité salariale sera atteinte en 2168.
Et si nous prenons en compte les écarts de salaire sur les échelons de direction, comme la responsabilité d'une entreprise par exemple, les écarts sont plus grands encore.
Entrepreneures à Hollywood, elles changent la donne: de vrais rôles et de vrais salaires. #PayMeToo
Du côté du gender pay gap américain5, les discriminations entre les femmes et les hommes sont encore plus importantes: l'on compte 5,4% de femmes parmi les 500 PDG les plus fortunés, mais 62,8% chez les salariés au salaire minimum6.
Vaut-il donc mieux être cheffe d'entreprise en France? Pas si sûr: les femmes de l'industrie d'Hollywood – qui ont lancé un mouvement mondial de libération de la parole des femmes sur les violences sexuelles et sexistes – créent des entreprises de production à fort potentiel et qui pratiquent l'égalité salariale.
Il s'agit, grâce aux femmes investies dans l'industrie du cinéma, de ne plus voir se reproduire des situations aussi scandaleuses que celle observée chez Netflix: Matt Smith, l'acteur incarnant le Prince dans la série The Crown (Netflix) était mieux payé que Claire Foy, qui jouait le rôle de la Reine Elizabeth II, emblème de la conquête du pouvoir par les femmes.
Puisque l'ironie poussée à son paroxysme s'immisce sur nos écrans pour nous présenter un personnage principal, la Reine, dont l'actrice est payée moins que son second rôle de mari, le Prince, la production s'est excusée: "Nous sommes responsables des budgets et des salaires. (...) Nous comprenons et apprécions le débat qui se tient actuellement dans notre société, et nous sommes absolument unis dans le combat pour l'égalité salariale, sans préjugés sexistes et pour un rééquilibrage des femmes dans la société, à la fois devant la caméra et dans les coulisses".
Les femmes réclament enfin un traitement juste, par la voix notamment d'actrices telles que Meryl Streep, Patricia Arquette (lors de son discours de l'Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle, 2015), Reese Witherspoon (création de sa société de production pour les femmes, Pacific Standard Films, et de la série Big Little Lies), Jennifer Lawrence (dénonce avoir été moins payée que ses co-stars masculins de American Hustle), Melissa McCarthy (choisit ses rôles en fonction de l'équité salariale pratiquée), et tant d'autres.
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— Carlos Osegueda Fri May 24 07:59:34 +0000 2019
De #metoo à #paymetoo, le mouvement de cette génération de femmes post-affaire Weinstein voit se lever des modèles de femmes qui, même dans l'industrie du glamour, réclament un traitement salarial égal et des rôles à la hauteur de leur talent.
"Les femmes n'aiment pas le sport"? Non, le sport des femmes n'est pas diffusé
Le sport est un canal influent de diffusion des normes et des valeurs sociales: voulu populaire et accessible, il devrait fédérer des codes communs, à travers les cultures. Si, alors que vous êtes une femme, vous avez pourtant du mal à vous intéresser au sport (télévisé ou pas), ne cherchez plus pourquoi: dans le Top 50 L'Equipe des sportifs internationaux les mieux payés, cette année encore, aucune femme n'est présente. En 15 ans, seules 9 femmes sont apparues.
La représentation des femmes sportives est quasiment nulle sur les canaux généraux et, si les femmes sont présentes, elles ne tiennent qu'une place de second rang. Les français se sont peints, à raison, en bleu blanc rouge à l'été 2018 pendant la Coupe du Monde de football. Qui le fera, en 2019, quand la France accueillera la Coupe du Monde femmes?
Certaines avancées sont à saluer: le club de foot anglais de Lewes a lancé, à l'été 2017, la campagne "Equality FC" et annoncé que les joueuses de son équipe féminine allaient percevoir un salaire équivalent à celui des hommes. Il faut toutefois noter que le club n'est aujourd'hui qu'en 7ème division.
Les combats de terrain pour l'égalité de traitement entre les sportifs font de The Battle of the Sexes – retranscrite à l'écran par Emma Stone (Billie Jean King) et Steve Carrell (Bobby Riggs) (2017) – un sujet malheureusement encore d'actualité, particulièrement dans le tennis: les grands chelems de l'été 2018 ont été marqués par les avertissements de comportement réservés à la tenue de super-héros de Serena Williams à Roland Garros et au changement de tee-shirt en fond de cour d'Alizé Cornet en US Open.
Personne n'avait toutefois était choqué des tenues excentriques – et ostensiblement provocatrices – de Yannick Noah ou d'André Agassi à l'époque de leur présence sur les cours, dans les années 1990... il y a près de 30 ans.
Comme sur le reste du marché du travail, les sportives de haut niveau affrontent, elles aussi, une double exigence sociale de prouver leurs capacités et leur légitimité. Et cela se traduit dans les salaires, les audiences, et donc fatalement l'intérêt des sponsors7.
Mais, en septembre 2018, la World Surf League a annoncé des primes équivalentes entre les femmes et les hommes, à compter de 2019. Stephanie Gilmore, six fois championne du monde, commente : "Les primes sont fantastiques, mais le message l'est encore plus". Il faut toutefois noter l'importance des sponsors, y compris dans le milieu du surf, pour les femmes qui obtiennent plus facilement des contrats publicitaires en maillot de bain, fortes de leur corps d'athlète de haut niveau, à grand renfort de photos sur Instagram.
Et si j'avais un enfant, pourrais-je toujours sereinement être cheffe d'entreprise?
La Première Ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern s'est faite accompagner de son mari et de son nouveau-né à l'Assemblée générale des Nations Unies de septembre 2018. Nous avons applaudi la publication des photos de Neve dans l'hémicycle. Mais cela pose la question suivante: pense-t-on encore que les femmes qui travaillent, puisqu'elles seraient ici le principal parent, doivent amener leurs enfants sur leur lieu de travail si elles souhaitent continuer à exercer leur profession à haut niveau? Dans cette situation précise, Mme Hardern allaite, ce qui déporte le débat. Mais la question se pose pour de nombreuses entreprises.
Goldman Sachs s'est, par exemple, targué cet été 2018 de payer pour l'envoi postal express de bouteilles de lait maternel pompés par ses employées qui allaitent, revenues au travail. Cette annonce, qui cherche à prouver que "Goldman Sachs est très bon envers les femmes maintenant", cache en fait une politique publique fédérale défaillante qui ne permet pas aux femmes de prendre un congés maternité suffisant.
Or, les congés maternité trop longs impactent le niveau de rémunération des femmes, qui sont moins facilement promues à des postes de direction par crainte qu'elles s'éloignent trop longtemps du travail le temps d'une grossesse.
Jeune cheffe d'entreprise, les codes sociaux me poussent à m'interroger sur la fameuse conciliation entre vie privée (sous-entendu "vie de maman") et vie professionnelle. En plus de gérer mon entreprise, je dois donc m'interroger sur ma capacité à continuer à la gérer si je décidais de participer à la perpétuation de l'Humanité.
Cet enjeu n'est pas une question de femme, mais de société: si ceux avec lesquels nous élevons des enfants sont des partenaires, nous concilions ensemble vie privée et vie professionnelle; si la société dans laquelle nous vivons est reconnaissante du rôle de la maternité dans la construction d'un avenir commun, des politiques adaptées sont mises en place pour permettre à tous les travailleurs, et même aux dirigeant.e.s d'entreprise, d'assurer leur rôle de parent dans des conditions égales.
L'écart salarial est donc le résultat direct du binôme archaïque classique "la femme doit rester à la maison pour s'occuper des enfants" et "l'homme doit travailler pour ramener de l'argent". Les femmes subissent une double peine: elles paient le fait d'être une femme en étant payées moins. Dans la lignée de #MeToo, exigeons un #PayMeToo pour une égalité salariale loin des stéréotypes de genre.
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1 En Union européenne, en 2016, 32 % des femmes travaillent à temps partiel contre seulement 9 % des hommes ; seulement un tiers (33%) des cadres supérieurs sont des femmes ; et le taux d'emploi est beaucoup plus faible pour les femmes (61%) que pour les hommes (72 %), différence accentuée avec le nombre d'enfants.
2 Au moins 33% du PIB (sur une valorisation intermédiaire), et jusqu'à 71% (avec une valorisation des coûts des substituts spécialisés).
3 La Gestion ordinaire de la vie en deux
4 Fallait demander, 2017
5 Outre-Atlantique, les femmes gagnent 82% du salaire des hommes. Même si les différences sont moins importantes chez les 25-34 ans, où les femmes gagnent 89 centimes par dollar gagné par un homme, il faut malgré tout aux américaines 47 jours de travail supplémentaires pour gagner des montants similaires aux hommes en 2017.
6 Le secteur bancaire cristallise plus encore ces stéréotypes de genre sur le type d'emploi que les femmes ou les hommes devraient occuper : dans les cinq plus grandes banques américaines, les hommes occupent entre 82% (Morgan Stanley) et 69% (Bank of America) des échelons supérieurs, en 2016. Des différences majeures s'observent également chez les 1% les plus riches (les femmes y représentent 14-22%) ou dans l'industrie (les hommes sont toujours mieux payés, toutes industries confondues : management, construction, finance et assurance, santé et assistance sociale, manufacturier, vente).
7 "L'accès à une carrière de footballeuse ou de boxeuse de haut-niveau implique un double "travail" des schèmes incorporés, permettant à la fois la maîtrise de techniques sportives "masculines" et l'appropriation (ou la réactivation) de "genderisms" féminins", Christine Menesson, Être une femme dans un sport masculin, Cairn.fr, 2004
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