Vie des femmes en 1971 – Libres de voter, mais enchaînées sur tant d’autres aspects
Vie des femmes en 1971 – Libres de voter, mais enchaînées sur tant d’autres aspects
Jusque dans les années 80, les femmes devaient faire de meilleures notes que les garçons pour entrer au collège. Et les maris décidaient bon nombre de choses.
*Retrouvez ce week-end et toute la semaine notre dossier spécial sur les 50 ans du droit de vote des femmes en Suisse*
Imaginons une jeune femme, que nous appellerons Monique, prénom le plus répandu en Suisse romande au début des années 1970. Monique a dit oui à Pierre à 24 ans, l’âge moyen auquel se mariait une Vaudoise à l’époque. Elle travaille, comme alors 40% des 194’000 Vaudoises de plus de 18 ans.
Depuis que Vaud leur a donné le droit de vote au niveau cantonal, 22 Vaudoises ont siégé au Grand Conseil. Malgré l’obtention du droit de vote fédéral, Monique n’est de loin pas libre de faire ce qu’elle veut en 1971.
Prétéritées dans leurs études par rapport aux garçons
En 1970, seuls 5% des Vaudoises suivaient des études universitaires ou supérieures (contre 13% des hommes). De nos jours, elles sont plus de 40% à accéder au niveau tertiaire. Dans certains cantons (comme celui de Vaud justement), les filles devaient avoir de meilleures notes pour accéder au degré secondaire supérieur. En 1982, le Tribunal fédéral (TF) a balayé cela.
Autorisation du mari pour ouvrir certains comptes jusqu’en 1988
Les femmes pouvaient disposer de leur paie, si elles étaient salariées. Sinon, impossible d’ouvrir un compte bancaire sans l’aval du mari. La militante Simone Chapuis-Bischof, bientôt 90 ans, s’en souvient: «J’avais arrêté de travailler à la naissance de mon fils, mais je gagnais quelques petits sous en créant des mots croisés, quand il jouait au parc, pendant que les autres mamans tricotaient. Ce maigre revenu alimentait un compte épargne pour lui. Un jour où nous voulions lui acheter un anorak, j’ai voulu retirer de l’argent de ce compte. Le banquier m’a demandé si j’avais la signature de mon mari. J’ai piqué une de ces colères!»
Et si Monique avait reçu un compte bancaire en héritage? C’est Pierre qui en aurait eu la jouissance et aurait géré cet argent (mais il aurait dû lui rendre la somme en cas de divorce).
Autorisation du mari pour exercer une activité indépendante jusqu’en 1988
Monique (qui devait payer des impôts même avant d’obtenir le droit de vote) n’aurait pas pu se lancer comme indépendante librement. Il fallait là aussi l’autorisation de Monsieur (dont les biens risquaient d’être saisis en cas de faillite de sa femme). Mais si le salaire de son mari ne suffisait pas pour la famille, alors la femme pouvait être autorisée par la justice à exercer une activité indépendante. «Le mari avait la charge principale de l’entretien du ménage, la femme n’intervenant qu’à titre subsidiaire», rappelle Denis Piotet, professeur de droit civil à l’UNIL.
Inégalités professionnelles
Gabrielle Nanchen (l’une des 12 premières femmes à avoir été élues au Parlement fédéral en 1971) se souvient: «Pour un emploi à l’État du Valais à la fin des années soixante, on m’a préféré un candidat qui avait fait des études en sciences sociales comme moi, mais sans obtenir la licence. Et il ne possédait même pas l’expérience pratique requise, que j’avais acquise parallèlement à mes études.»
«Dans certains cantons, une enseignante devait quitter son emploi si elle se mariait avec un fonctionnaire, car on ne voulait pas deux employés de l’État dans la même famille», témoigne Simone Chapuis-Bischof.
Le mari décidait du domicile et exerçait la «puissance paternelle»
Au début des années 1970, contrairement à aujourd’hui, les époux avaient l’obligation d’avoir le même domicile. Elle rêvait de nature, mais il préférait la ville? En cas de désaccord, le mari tranchait. Pareil pour les enfants, puisque faute d’entente, l’époux possédait la «puissance paternelle» (on ne parlait pas d’autorité parentale, que les femmes n’obtiendront qu’en 1978).
Seuls 4% des bébés vaudois naissaient hors mariage (contre 35% en 2019). Si Monique avait accouché, elle n’aurait pas bénéficié de congé maternité (les 14 semaines rémunérées datant de 2004).
Perte du nom et de la nationalité
Jusqu’en 1988, la femme perdait son nom en se mariant, «car le principe voulait une unité de nom pour les membres d’une même famille», rappelle Denis Piotet. Entre 1988 et 2013, les femmes pouvaient être inscrites à l’état civil avec un double nom (de jeune fille et du mari). Mais un homme a recouru devant la Cour européenne des droits de l’homme (voulant adopter le nom de sa femme), ce qui a obligé la Suisse à revoir sa copie. Depuis 2013, chaque conjoint peut choisir le nom de l’autre, mais la possibilité du double nom est tombée, car le législateur a estimé qu’elle était trop compliquée à appliquer pour les états civils… «Résultat, on en est à peu près revenus à la situation d’avant 1988, car très peu d’hommes prennent le nom de leur femme», constate Denis Piotet. L’ex-conseillère nationale PS, impliquée dans ces questions, s’appelle désormais Maria Bernasconi (et non Roth-Bernasconi): «Il reste rare de garder son nom de jeune fille, à part chez les féministes convaincues et les artistes.»
Si Monique avait voulu se marier à un étranger, elle aurait dû déclarer qu’elle voulait garder sa nationalité suisse, sous peine de la perdre. Une déclaration plus obligatoire depuis 1992.
Selon la loi, le viol conjugal n’existait pas
L’avortement était pénalisé jusqu’en 2002. Si Monique était tombée enceinte sans être mariée à Pierre et que ce dernier s’enfuyait, le Code pénal d’alors l’aurait puni «d’abandon d’une femme enceinte», ce qui n’existe plus. «Toute une série d’autres infractions ont disparu, où on considérait la femme comme une petite chose qu’il fallait protéger, explique la professeure de droit pénal à l’UNIL, Camille Perrier Depeursinge. Par exemple, ce qu’on appellerait aujourd’hui du harcèlement de rue; ou encore une forme de harcèlement au travail de la part de son employeur, où on prenait acte d’un rapport de domination pour protéger les dominées. Avec l’émancipation des femmes, ces infractions ont disparu car le législateur a pensé qu’elles pouvaient se protéger seules, mais ces problèmes sont toujours là.»
Le concept de viol d’un époux sur son épouse n’existait pas dans la législation jusqu’en 1992. Dès cette date, il est poursuivi sur plainte de la femme. Il faudra attendre 2003 pour qu’une telle infraction soit poursuivie d’office.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.