Chronique : Prisunic expliqué aux nuls
Non Prisu n’est pas un abrégé foodeux du prisuttu. C’est du jambon corse cru et sec. Ce n’est pas non plus, quoi que, le résumé phonétique du cultissime Prisencoliniensinaincisuol d’Adriano Celentano (alright !). Prisu, c’est Prisunic. Enfin, c’était, car il y a belle lurette que l’enseigne Prisunic n’existe plus, avalée toute crue par Monoprix, mais perdurent quelques expressions comme « caissière de Prisu ». Si Prisunic existe encore dans la mémoire collective, c’est par les livres, les expos et surtout ce fameux Style Prisu qui a mené les Trente Glorieuses à la baguette. Voici, pour apprendre et comprendre ce que fut Prisunic, quelques éléments historiques, stylistiques et anecdotiques. Pour la culture, explorer l’exposition anniversaire des 90 ans au MAD (Musée des Arts Décoratifs), un chouia confuse et décevante ; pour le shopping, rafler les rééditions pilotées pour l’occasion et vendues dans un pop-up store du Marais. À vos caisses, prêts, partez !.
Prisunic. Monoprix. Uniprix. Pendant des décennies, ces enseignes ont régné sur le quotidien des Français. À l’heure où Tati disparait définitivement du paysage de Barbès, des magasins populaires du XXème siècle marchand, il ne reste plus que Monoprix - Monop’ - pour faire court. Nom générique dans les mœurs urbaines du jour, Monoprix aura 90 ans l’année prochaine. En effet, c’est en octobre 1932 que sa maison-mère, les Galeries Lafayette, ouvrit le premier Monoprix, en plein centre de Rouen, rue du Gros-Horloge. Sur le terrain du magasin populaire, concept venu des USA puisqu’inventé par Woolworth, Monoprix n’a alors rien de pionnier : en 1928, les Nouvelles Galeries avaient déjà lancé le premier Uniprix à Paris, rue du Commerce, XVème arrondissement. Un an plus tard, le Bon Marché suivra la tendance avec Priminime, enseigne qui ne fera pas long feu. Enfin, le 1er décembre 1931, Le Printemps ouvrait son premier Prisunic, rue de Provence à Paris, IXème. Si Felix Potin, Goulet-Turpin, Familistère et les autres bâtissaient des empires épiciers, Uni-Mono-Prisunic ciblaient une clientèle secouée par la crise de 1929 en vendant dans un cadre moderne, spacieux et lumineux, des articles industriels d’usage courant, de qualité, à prix abordables : ustensiles de cuisine et de ménage, vaisselle, papeterie, et très vite, confiserie, épicerie sèche, conserves. Les succursales se multipliant comme des Gremlins sous la pluie, le petit commerce hurla au loup.Des lois furent promulguées pour freiner cette expansion qui menaçait le chiffre d’affaires du commerce indépendant. En vain.
Avant-guerre, la concurrence entre toutes ces enseignes populaires faisait rage : jusqu’à 60 magasins Prisunic et 63 Monoprix en 1940, tous ouverts en ville, dans des artères ultra-passantes et dans tous les quartiers, huppés comme populaires à ouvriers. Durant l’Occupation, les Galeries Lafayette et Monoprix furent aryennisés. À la Libération, les affaires reprirent en dépit des restrictions. Passé de 71 en 1949 à 199 en 1956, sans compter l’Afrique du Nord, Monoprix damera le pion à ses rivaux. Prisunic qui ouvrait un nouveau magasin tous les 25 jours, ratissait large : cent magasins en 1950, 200 en 1956, jusqu’à 350 en 1971 en France, plus 63 en Afrique, aux Antilles et en Grèce. Au finish, chaque jour, il passait plus d’un million de clients par Prisunic.
Dans les rayons, en attendant le libre-service qui apparaîtra en 1960 à Bordeaux, l’offre était élargie aux vêtements, au linge de maison, aux jouets, à l’ameublement, à la décoration. L’ambiance était à la modernisation, aux produits irréprochables, toujours à prix imbattables. Monoprix s’ouvrait aux produits frais, à la vaisselle de couleur et même aux réfrigérateurs importés des USA et lançait ses marques propres : Kerbronnec, Beaumont, Jusoleil, Mont Joly,Miss Helen… En face, Prisunic mettra la barre plus haut en coiffant sa politique de prix et de qualité d’une valeur inédite : l’esthétique. Toujours pilotée par le Printemps, Prisunic avait aussi lancé ses marques propres : Forza (alimentaire), Florine (textile féminin), Prisu, Derby (mode homme) et Kilt (nouveautés, outillage et bazar), Punch (jouets). En coulisses, Prisunic mettra sur pied une véritable machine de guerre : un bureau interne dirigeant le style, la publicité et le packaging produits. À sa tête, une ancienne journaliste-beauté : Denise Fayolle.
Fondé en 1957, ce bureau sera le berceau du style Prisu, une factory du design. Le style Prisu, c’était la mode. Présentés sans fanfare dès 1959, hyper-scénographiés, les défilés de mode Prisunicdeviendront incontournables. Pierre Cardin réclamera son premier rang et les happy fews se bousculeront en des lieux anachroniques, -théâtres, gymnases, et en musique. Les meilleurs stylistes des sixties - Renata, Guy Paulin, Patric Hollington ou Michel Schreiber troussaient des collections fortes, deux par an, photographiées par Guy Bourdin et consorts. Le style Prisu, ce sera la veste Mao, la jupe madras, la maxi-manteau. C’est ce bureau qui lancera en 1965 le fameux shopping-bag « cible » dessiné par Jean-Pierre Bailly. Aucune mention du nom Prisunic. Dans Les demoiselles de Rochefort, Catherine Deneuve arborait un sac Prisu jaune/orange assorti à sa robe. Consécration.