"C’est comme être insulté sur son lieu de travail" : harcelés, trois influenceurs témoignent
C’est un métier à plein temps, qui ne s’apprend pas dans une école : être influenceur sur les réseaux sociaux. Ils ont une activité numérique quotidienne, parfois dès l’adolescence pour certains, mais peuvent aussi faire face à des flots d’insultes.
"J’étais harcelé et j’avais été frappé au collège en Corse, on a déménagé avec ma famille à Nice. Je me suis réfugié sur YouTube. C'était le début des youtubeurs LGBT qui commençaient à parler du sujet tabou de l'homosexualité. Qu'est-ce que cela veut dire de se faire cyberharceler ? Je dois sortir quatre vidéos par jour tout en sachant que je vais me faire incendier, insulter, sur chaque détail de chacune de mes vidéos. Alors que ce sont des vidéos qui me font rire et font rire ma famille et mes proches. Pourtant, des gens m’insultent, soit parce que je suis moi, soit parce que la vidéo n'a pas plu, soit parce que je n'ai pas porté le bon vêtements, etc.
On évolue avec de la haine. Je me fais insulter sur les réseaux, chaque minute de ma vie.Mais ce n'est pas non plus le reflet total de la société, c’est un extrait de la société. J'ai l'impression qu'il y a moins de filtres sur TikTok. Le plus dur, ce sont les menaces de mort. On ne sait jamais si c’est fondé ou non. Des gens ont déjà trouvé mon adresse et sont venus en bas de chez moi pour m'insulter.
J’ose me maquiller, je défends ma vision de l'homme et, forcément, certains n'apprécient pas. Le moindre détail peut faire l’objet de critiques. Je ne réponds jamais directement. Je préfère tourner en ridicule certains propos, avec dérision, et en faire une vidéo. Au moment où je vous parle, j’ai le visage peint en rouge, comme un diable. Je prépare ma prochaine vidéo. J’essaie d'espionner ceux qui m’insultent, de voir quel âge ils ont. Ma mère, ça la touche d’une force extrême. Elle regarde tout, j’ai dû lui demander d’arrêter TikTok. Ça lui fait hyper mal. Il y a des moments où, oui, on a envie d’arrêter."
"Voir cette haine sur les réseaux sociaux, ça faisait mal"
Emma alias Iam.moana, 18 ans, 426k abonnés sur Instagram, 1,8 million sur TikTok.
"Quand j’étais en classe de seconde, j’avais plus de 10.000 abonnés. Une de mes vidéos réalisées dans ma chambre a fait le buzz. Sur les réseaux sociaux, on n’a jamais le droit d’être triste, de montrer ses états d’âme, et on peut se faire insulter sur les réseaux sociaux à cause de ça. On nous dit que l’on a de l’argent, on est connu, on fait des vidéos. Si demain, je fais une vidéo où je dis que je suis malheureuse, je suis certaine d'avoir au moins 70% de réactions négatives dans mes commentaires, du genre "t'as pas le droit de te plaindre, t'es connue".
Je ne prête plus attention à ces messages, je ne vis pas pour les autres. Quand j’étais plus jeune, je regardais vachement ça. En plus, j’avais pas du tout confiance en moi. Même lors d’un exposé en classe, je pleurais tellement j’avais le trac. Du coup, voir cette haine sur les réseaux sociaux, ça faisait mal.
Ce que je conseille à ceux qui commencent ? Créer une bulle, faire la part des choses. Peu importe l'âge, on ne devrait pas recevoir autant de haine et de critiques. C'est sûr que quand tu es plus jeune, tu n'as pas la maturité de dire : 'OK, on s'en fout, ce ne sont que des gens qui sont jaloux'. Quand j’étais plus jeune, on me critiquait beaucoup par rapport à ma pilosité. Il y a certains commentaires qui font mal au cœur. Parce que tu te demandes 'pourquoi ? Qu'est ce que j'ai fait ?' Je suis bien dans ma vie, je travaille, j'ai mes potes, je suis tranquille, je donne de la bonne humeur sur les réseaux sociaux. Pourquoi autant de haine ? C'est vrai que parfois, je me dis ça.
Retweet aggressively pleaseee!! https://t.co/IJYMwrOn5P
— Victory-jane Wed Oct 21 17:02:01 +0000 2020
Même si on va dénoncer ce cyberharcèlement là, il n'y a pas vraiment de suite. Ça peut très bien continuer et je ne sais pas ce qu'on pourrait faire pour arrêter ça. Quand une personne m'insulte, qu'est-ce que vous voulez que je fasse ? Je ne peux rien faire. Je dois juste encaisser. Il y a beaucoup de créateurs de contenu qui regardent tout le temps leurs commentaires. Moi, je pars du principe que si j'aime, je m'en fiche un peu du regard des gens. Je trouve que maintenant, les gens demandent de plus en plus de fake et de montrer du rêve sur les réseaux sociaux."
"C'est tellement anxiogène tous les jours d’ouvrir les réseaux sociaux"
Marion alias "Marion Caméléon", 32 ans, sur les réseaux sociaux à plein temps depuis 2017, maquilleuse de formation, 775k abonnés sur Instagram.
"Le cyberharcèlement démarre beaucoup sur Twitter, pourtant je n’y suis pas, et je suis bien contente. Des abonnés m'envoient des screens, c’est hyper anxiogène. Ça commence sur Twitter puis les gens viennent harceler les influenceurs ou les personnalités sur les autres réseaux. Ça m'est arrivée en 2015. Je n'étais pas du tout préparée à ça, ce n'était pas encore mon métier. J'avais juste fait un maquillage qui a été offensant pour certaines personnes. Je recevais des messages insultants. Ils mettaient plein de commentaires et de messages. On se retrouve à bloquer ces gens, mais ils recréent des comptes. J’ai pris peur alors j’ai supprimé la publication, puis reposté en enlevant ce qui a été l’objet des critiques. Mais là encore, ils ont trouvé autre chose.
J’ai de nouveau vécu ça en 2020, avec une vidéo diffusée quelques années auparavant et sortie de son contexte. On est venu me harceler sur les réseaux sociaux. Je suis allée voir ces comptes, ce que les gens écrivaient. Ils parlent sur tout le monde et en plus parfois ce sont des gens qui dénoncent le harcèlement lorsqu'ils font la même chose. Aujourd’hui, il n’y a pas de sanction contre ceux qui harcèlent sur les réseaux.
Les commentaires, c’est le lien qu'on a avec notre communauté. On ne peut pas arrêter de les lire. Ça m'est arrivée, je regardais plus de tout mes messages et les commentaires. On perd ce lien qu'on a avec la communauté, mais c'est tellement anxiogène tous les jours d’ouvrir les réseaux sociaux et de se dire 'Ah mais qu'est-ce qu'on va dire sur moi encore aujourd'hui'. C'est vrai que quand ça arrive , on se demande si on va s’en sortir un jour, quand ça va s'arrêter.
On n'est pas préparé à tout cela. Je ne sais pas ce que c'est d'être une personnalité publique, d'être un acteur, mais nous, on n'est pas entouré comme eux. J'étais toute seule à l'époque. Je ne savais pas comment réagir. C'est quand même un métier qui n'est pas évident parce qu'il n'y a pas d'école d'influenceur. Je conseillerais aux personnes qui se lancent de purger leur Twitter et Instagram, de supprimer toutes les anciennes publications parce qu'il y a des choses qui étaient tolérées il y a dix ans et qui ne le sont plus aujourd’hui."
"C'est assourdissant de voir autant de messages"
Thierry Gradoni, 52 ans, est le PDG de Babylone Digital Agency, une agence d'influenceur, depuis cinq ans.
"Je suis arrivé dans le métier grâce à ma fille. Quand elle avait dix ans, elle a commencé à publier des vidéos, et a eu beaucoup de succès. Jusqu’à ses 14 ans, elle a eu énormément d'abonnés, elle recevait 3.000 messages par jour. En moyenne, il y a 1 à 2 % de haters, qui vont insulter et dire des bêtises. Pour être transparent, on a déjà reçu aussi des photos de parties génitales, des choses comme ça. Nous avons fait le nécessaire derrière aussi pour bloquer les comptes. C'est assourdissant de voir autant de messages.
On a trente influenceurs dans notre agence, de 15 ans à 35 ans. Quand je démarche un jeune créateur de contenus, le premier message est pour l'influenceur, mais le deuxième est tout de suite pour les parents. Ce n'est pas évident pour les parents, qui n'y connaissent rien au réseaux sociaux. La première fois que je rencontre les parents et leur fils, je parle du côté dark des réseaux sociaux, du harcèlement qui peut arriver, que ce soit dans la rue, suite à une vidéo qui a été faite, ou après une photo qui peut être mal comprise. Après, dès le départ, les jeunes le savent. Quand on les contacte, ils ont déjà une petite communauté, et ils ont déjà été été confrontés à cela.
On a des intervenants chez Instagram, chez Facebook et YouTube qui peuvent intervenir pour nous aider en cas de cyberharcèlement. Mais c'est un peu une épée de Damoclès au-dessus de la tête parce que ça peut arriver à tout le monde."