"Le lin est un allié de taille pour un mode de vie plus responsable" : la fibre aux mille vertus séduit consommateurs et créateurs de mode
Depuis le 8 mai et jusqu'au 21 juin, un petit champ de lin végétalise les trottoirs de la rue de Rivoli en face de la Mairie de Paris. Dans le cadre de l’opération Jardinons, la Confédération Européenne du Lin et du Chanvre et le BHV Marais mettent en avant ce végétal. Dès le 19 mai à la réouverture du magasin, le lin l'investira avec des pop-ups mode et art de vivre.
Mais pour l'instant devant ses vitrines, découvrez dans des bacs, le lin tel qu’il pousse naturellement dans les champs. De jeunes liniculteurs ont relevé le challenge de faire pousser cette plante spécifiquement pour cette manifestation. Rencontres et explications avec Romain Depestele, responsable culture du groupe Depestele (premier producteur privé en Europe) et Marie-Emmanuelle Belzung, déléguée générale de la Confédération Européenne du Lin et du Chanvre (CELC).
Une fibre engagée qui fait du bien à la planète
80 % de la culture du lin provient d’une bande côtière allant de Caen à Amsterdam. La France est n°1 de la production avec 80% de la production européenne de fibres de lin (la Belgique 15% et les Pays-Bas 5%). Cette plante est un allié pour un mode de vie plus responsable car sa culture est durable : elle s’inscrit dans les "grandes cultures et est une pause salutaire pour les sols" détaille Romain Depestele.
Le lin est une plante zéro OGM, qui ne demande aucun défoliant et aucune irrigation (à 99,9%) et nécessite très peu d’intrants (ndlr, élément entrant dans un processus de production). "Une fois que le soleil et la pluie ont fait leurs travail pour faire pousser la plante, le lin est arraché puis posé sur le champ en andains (ndlr, bandes) pour l’opération de rouissage - processus de macération naturel. Ce qui va permettre une meilleure séparation des parties de la paille de lin. L’extraction de la fibre (teillage) est 100% mécanique. Toutes les parties de la plante sont valorisées : zéro déchets. L’agriculture et le teillage se font dans des zones rurales et sont pourvoyeurs d’emplois non délocalisables" ajoute-encore le responsable culture du groupe Depestele.
Le lin, humble et rare, représente 0,4% des fibres textiles mondiales - mais il est grand par ses qualités. Une conférence (ci-dessous) - consacrée à la traçabilité des matières lin et coton - qui s'est tenue dans le cadre de la Fashion Revolution Week (du 19 au 25 avril 2021) - permet d'en apprendre encore plus sur cette plante. Cette ONG, oeuvrant pour plus de transparence dans l'industrie textile, a donné naissance à un mouvement né après le 24 avril 2013 quand le Rana Plaza, bâtiment de confection de vêtements pour le marché occidental, au Bangladesh, s'est effondré.
Une plante qui fait du bien à ceux qui la portent
Le lin, tissu le plus ancien au monde, a traversé l'histoire. Si il a la cote actuellement, ce n'est pas sans raisons : sa fibre a de nombreuses qualités intrinsèques que l’on retrouve dans les différents produits dont l'univers de la mode. "Le lin est thermorégulateur : frais en été, chaud en hiver, son entretien est facile. Les fibres de lin ont la particularité d’absorber les chocs ce qui en fait le matériel idéal pour des applications industrielles et pour les sports et loisirs. Sa rigidité et sa légèreté permettent d’avoir des matériaux résistants et légers ce qui ouvre les portes de l’industrie du transport", explique Romain Depestele.
A l'heure où le consommateur recherche d'une manière générale plus de bien-être et donc des produits qui répondent à ces attentes, une étude menée pour la CELC par le laboratoire Cetelor insiste sur ses nombreuses qualités. Elle montre que "le lin a une grande respirabilité, a une grande perméabilité à l’air ce qui permet une bonne ventilation et permet donc de sécher la sueur. Il a une résistance évaporative faible, il laisse passer la transpiration.... Les égyptiens le savaient avant nous, le lin est la première matière textile utilisée, c’est une matière qui se porte beaucoup dans les pays chauds".
Des produits plus chers mais labelisés
Aujourd'hui, les consommateurs sont également attentifs aux certificats qui garantissent la composition et la fabrication française des produits et cherchent aussi, de plus en plus souvent, à se référer aux labels. Un baromètre du lin réalisé en 2015 fait ressortir que six consommateurs sur dix sont prêts à payer plus cher un produit en lin certifié. "La CELC a créée deux labels : European Flax, certification de traçabilité du lin fibre de qualité cultivé en Europe de l’Ouest, fibre éco-responsable tous débouchés dont chaque étape de transformation est auditée par l’organisme indépendant Bureau Veritas. Une traçabilité qui, lorsqu’elle est assurée par des entreprises européennes - à chaque maillon de la chaîne jusqu’au fil et au tissu - se labellise Masters of linen, marque déposée et club d’excellence textile", précise Romain Depestele.
Un baromètre du lin (à paraître) basé sur une étude réalisée par l’IFM sur la perception et la consommation du lin dans six pays (France, Angleterre, Italie, USA, Inde et Chine) indique que le lin est considéré comme une fibre haut de gamme, son prix plus élevé étant donc justifié pour les panels interrogés. Car produire un vêtement en lin coûte plus cher, constate Romain Depestele : "La fibre de lin est plus chère, car le besoin en main d’œuvre pour la production est élevé : 4 fois plus que pour le blé en terme d’agriculture". Et de préciser : "Aujourd’hui le lin est sur tous les niveaux de gamme du marché, que cela soit sur du masse market ou les DNVB (ndlr, Digital Native Vertical Brand) ou encore chez les créateurs et marques de luxe qui ont plébiscité la matière sur l’été 2021".
Promis à un bel avenir
Le lin est un allié de taille pour un mode de vie plus responsable. "Les caractéristiques inhérentes à la fibre de lin répondent aux exigences et attentes nouvelles des consommateurs pour qui créativité, que ce soit en mode, art de vivre et maison, performance et responsabilité redéfinissent la notion de qualité. Le lin est plus que jamais d’actualité" souligne, de son côté, Marie-Emmanuelle Belzung.
L'engouement des créateurs pour ce tissu est réel, les chiffres parlent d'eux-mêmes. La CELC a commandé à Tagwalk (moteur de recherche par mot clef) deux études sur la présence du lin sur les podiums des Fashion Weeks internationales (Paris, Milan, Londres et New York) et les résultats sont probants.
Pour Alexandra Van Houtte, la fondatrice de Tagwalk : "Le lin apparaît de façon continue dans les recherches chez Tagwalk avec une hausse de 25% en 2020 vs 2019." Bien que les dernières Fashion Weeks ont eu lieu dans un contexte hors-norme, le lin a été très présent dans les vidéo ultra créatives des créateurs comme le montre Tagwalk : "La saison printemps-été 2020 montrait clairement une percée du lin dans les collections luxe : avec 11% de lin toutes collections confondues et avec au moins un look en lin, ce chiffre montait même à 16,1% pour les grandes maisons (Prada, Acne, Miu Miu)".
Pour l’été 2021, le lin s’impose clairement avec un bond de "+102 % de looks en lin dans les collections féminines par rapport à la saison printemps-été 2020". Un chiffre record : "+ 49 % des designers ont présenté au moins un look en lin dans leurs collections et 64 % des marques utilisent du lin pour la première fois dans leurs collections (Dior, Thom Brown, Fendi, Louis Vuitton)". Si on note que 28% des maisons présentant du lin sont issues de grands groupes (Fendi, Stella McCartney, maison Margiela...), il est aussi largement présent dans les collections des marques plus mainstream, on le note ainsi chez Zara qui utilise du lin certifié Européan Flax.
Côté innovation technique, le lin se mélange à d’autres fibres nobles comme la laine ou le cachemire en hiver. Le domaine des possibles dans les mélanges est infini et séduit les créateurs qui recherchent une certaine simplicité comme le montre Tagwalk : "Le lin a su s’affranchir de ses codes historiques et en même temps c’est pour ces mêmes codes qu’il est aimé, les créateurs, capteurs de l’air du temps (comme On Aura Tout Vu), aiment utiliser cette matière pour ces contrastes. (...) L’innovation des filateurs européens a permis la mise au point d’un fil de lin spécifique ces dix dernières années pour la maille, aujourd’hui la maille de lin est devenue incontournable pour toutes les marques". Le lin lavé a lui aussi répondu aux attentes des nouveaux consommateurs qui "ne voulaient plus perdre de temps à repasser : un nouveau style est arrivé dans la maison avec une proposition plus cool et une gamme de couleurs infinie, car le lin absorbe bien la teinture".
Ce printemps-été 2021, il se décline dans une palette de neutres, du blanc et du noir en passant par des tons d’ivoire ou de gris, ponctuées de touches vives. Le lin aime se confronter aux autres matières - satin, laine et velours - et s’encanaille avec des denims colorés ou de la maille XXL. Matière genderless (ndlr, unisexe), sa présence est plus forte chez la femme mais en progression chez l’homme.
Matière fétiche des marques éco-responsables - par ses qualités intrinsèques et son profil environnemental irréprochable -, il est présent chez maison Margiela, Stella McCartney, Vivienne Westwood. Selon Alexandra Van Houtte, cette montée en puissance depuis deux saisons laisse présager une augmentation de son utilisation qu’elle estime "à + 171% pour les collections hiver 2021-22".
Une autre élégance luxueuse présente au musée
Le lin intéresse même les musées : dans l'exposition Luxes au Mad - qui est prolongée dès la réouverture du 19 mai - des murs des salles sont couverts de lin épais et doré qui va être recyclé ensuite dans des oeuvres d'art. La CELC est mécène de l'exposition. Vertueux par nature, le lin codifie aujourd’hui une autre élégance, d’une sobriété exemplaire comme l'illustrent, ici, deux pièces historiques de dentelles de lin et une silhouette du créateur marseillais Simon Porte Jacquemus. Ce sont deux expressions complémentaires d’un luxe en renouvellement où entrent désormais en jeu les notions de durabilité, d’authenticité et de responsabilité.