Patricia, une Ardennaise victime d’un AVC, raconte son combat dans un livre: «Dans une chaise, on vous parle comme si vous étiez un enfant»
Un soir d’hiver en 2011, alors qu’elle regardait un film en famille devant sa télévision, la vie de Patricia Martin, une Ardennaise vivant au Luxembourg où elle était professeur de langues, bascule. Elle entend tout à coup une ambulance s’engager toutes sirènes hurlantes dans la petite rue menant à sa maison. Elle pense que la voisine a sans doute fait une grave crise d’asthme. Mais c’est pour Zandi que le 112 a organisé un déplacement du SAMU. Son bras et sa jambe gauche ne bougent plus, elle a mal à la tête et parle bizarrement. Elle n’apprendra que dans quelques jours que sa carotide droite s’est déchirée et qu’un caillot de sang a essayé de la tuer en bouchant l’artère cérébrale. Son corps transformé va bouleverser sa vie et lui redonner l’envie de rire et de faire des projets.
Zandi, comme elle s’appelle, une contraction du mot souvent mal prononcé pour « les handicapés » et qui sonne plus gentiment, raconte son parcours dans un livre intitulé N’ayez pas peur de l’autre monde, depuis cette terrible soirée, puis son passage par un centre de rééducation avant de reprendre une autre vie chez elle, près d’un an plus tard. Car Zandi a une force de caractère remarquable, saucée d’un humour décalé. Elle n’a pas voulu subir sa rééducation ni croire tout ce que le monde médical lui racontait ou racontait à ses proches. Durant les premiers mois et les années qui ont suivi, elle a analysé sa situation et le regard des autres, leurs paroles, leurs actes. Car de la pitié, elle n’en veut pas, « c’est insupportable », dit-elle. Zandi veut aller de l’avant. Son premier projet fut d’écrire ce livre rempli de messages pour tous les autres Zandis, mais surtout pour tous les valides et le personnel soignant aux paroles et analyses parfois crues, qui infantilise trop souvent les personnes soignées et dépendantes, dit-elle. Le message est aussi destiné aux familles, car « ne vous en faites pas, c’est très grave, mais il y a moyen d’en sortir pour avoir une certaine indépendance, même si ce ne sera jamais comme avant. »
Le livre, premier défi avant d’autres
Alors, ce livre, c’est un premier contre-pied au médecin qui l’avait déclarée débile et qui avait alors dit à son conjoint « que l’impossible serait tenté pour la sauver car elle était jeune et bien portante (!), mais qu’il fallait quand même se préparer à son décès hautement probable vu l’étendue des dommages subis. Et si elle ne mourait pas, elle se réveillerait débile mentale. »
Mais il ne faut pas trop jouer avec les nerfs de Zandi, battante et « têtue de naissance. » Sa force de caractère lui a permis depuis lors de quitter sa chaise roulante pour marcher, à son rythme, avec un bâton de marche. « Je l’ai gardée au cas où, car j’ai une faiblesse à une cheville. Mais je vis avec l’idée qu’il ne m’arrivera rien. La chaise fut si utile mais est aujourd’hui insupportable. Quand on est debout pour parler à quelqu’un, cela change les choses », dit-elle. « Dans une chaise, on vous parle comme si vous étiez un enfant. Un jour à l’entrée de la piscine, la responsable s’adressait à mon conjoint comme si je n’étais pas là. Idem dans un magasin de vêtements où je venais faire des achats. Les Zandis, on les voit comme des malheureux qui ne savent rien faire ni rien dire. Et il ne faut surtout pas leur parler ! Si vous avez un handicap moteur et que vous êtes en chaise roulante, vous êtes déjà jugé comme à moitié zinzin. Quand le médecin qui avait analysé le scanner a dit à ma famille, devant moi mais sans me regarder, qu’il y aurait un déficit cognitif et que je pourrais peut-être faire quelques pas plus tard, l’infantilisation commence là. Je ne blague pas, les médecins du centre de rééducation vont à la pêche dans les hôpitaux. On ne m’a pas demandé mon avis, on m’a choisie en disant que j’étais foutue, mais qu’on allait me prendre quand même ! Tout cela me fait rire finalement, mais je suis triste pour les autres. »
Se battre pour créer des miracles
Alors, quand huit mois plus tard, « Zandi fut priée de laisser son lit à un autre Zandi plus récent, elle dut d’abord entendre la sentence », raconte-t-elle. « Comme vous faisiez partie des cas désespérés en arrivant, soyez déjà contente d’être redevenue comme vous êtes maintenant. Pour le reste, il est souhaitable que vous vous habituiez à vivre avec des séquelles, notamment votre bras invalide. Nous ne pouvons plus rien faire pour vous. Il est temps d’accepter le handicap, Madame, car les miracles n’existent pas. »
Mais Zandi ne lâche pas le morceau, car « ce n’est pas de marcher avec une patte folle qui est ma priorité, je me suis habituée à me déplacer lentement et ce mode de vie d’escargot bancal ne m’empêche pas d’apprécier la vie », mais « j’aimerais récupérer mon bras gauche, pouvoir être assise au volant d’une voiture et utiliser mon annulaire gauche pour actionner le clignoteur ou jouer au flipper comme au bon vieux temps de mes 14 ans ! »
Alors, les défis sont sa vie. Lorsqu’elle a voulu retrouver le plaisir de skier, mais que son moniteur handiski la vit avec peu d’équilibre sur ses jambes, il lui imposa une descente en fauteuil piloté par lui-même, à haute vitesse, chose qu’elle apprécia très peu. Et le lendemain elle s’offrit avec son fils une descente d’une piste bleue sur deux skis… démontrant ainsi « aux pessimistes » son slogan « Qui ne tente rien n’a rien ! »