Présidentielle 2022 : "le futur président devrait commencer par augmenter les salaires, d’au moins 100 ou 200 euros"

Présidentielle 2022 : "le futur président devrait commencer par augmenter les salaires, d’au moins 100 ou 200 euros"

À cinq mois de l’élection présidentielle, quelles sont les attentes des 15 000 habitants de Romilly-sur-Seine, la seconde ville de l’Aube ? Malgré un nouveau dynamisme en terme d’emploi, elle est aussi marquée par son passé industriel. Emmanuel Macron y soulève pas mal d’hostilité.

C’est l’une des fiertés locales. Depuis quelques années, surfant sur l’avènement du vélo électrique, l’usine Cycleurope de Romilly-sur-Seine a repris du poil de la bête avec 220 salariés permanents et un recours aux intérimaires. Entre chien et loup à 16h30, en cette fin novembre, Benjamin est l’un des rares salariés à sortir à pied sur le site, pour rejoindre le véhicule de sa mère. "Cycleurope, j’y suis depuis 6 mois et je m’y sens bien" affirme-t-il, "j’aime ce que l’on fabrique, même quand je travaille à la chaine". Mais la question du salaire arrive très vite.

Interrogé sur ce qu’il envisage de voter en avril 2022, il n’a aucune hésitation. "Tout sauf Macron, c’est un banquier et je n’avais déjà pas voté pour lui, mais là c'est pire ! Et le prix du carburant qui augmente toujours", souffle sa mère. Que devrait faire un président pour leur plaire ? Commencer par augmenter les salaires, d’au moins 100 ou 200 euros. "Le smic, c’est moins de 1 300 euros, c’est nettement insuffisant". Le pouvoir d'achat est bien l'un des sujets de cette pré-campagne électorale. C'est une préoccupation majeure des habitants de Romilly-sur-Seine, on le ressent bien au fil des témoignages et des personnes rencontrées dans la ville.

Le salaire minimum, Magali, 53 ans, ne le touche même plus. Rencontrée sur le marché, celle qui a été gilet jaune aux premières heures du mouvement vit avec l’allocation spécifique de solidarité soit 525 euros. Elle fait de l’intérim de temps en temps, mais un handicap à 50% lui rend la vie de plus en plus compliquée.

Gouailleuse, elle se raconte en m’offrant un café. "Quand j’étais petite, j’étais sur les piquets de grève des bonnetiers avec mon père chez Dupré puis Politex. J’ai voté Laguiller tant qu’elle était candidate. Zemmour est instruit mais je me suis fixée sur Marine. Je ne suis pas raciste, je suispatriote. On s’est battus pour que la religion chrétienne ne prenne pas toute la place. J’voudrais pas que ç’en soit une autre. Et puis aussi, je ne veux pas voter Macron," ajoute-t-elle.

En 2017, même s’ils lui avaient accordé la victoire avec 54,7% de leurs suffrages, les électeurs de Romilly-sur-Seine lui avaient fait moins confiance que les Français en général, lui accordant 12 points de moins qu’à l’échelle nationale. 12 points offerts à Marine Le Pen qui avait attiré 45,2% des électeurs dans la seconde ville de l’Aube.

L’hostilité soulevée par Emmanuel Macron est partagée par de nombreux habitants de Romilly, notamment chez certains cheminots historiquement très implantés. Depuis 2019,le Technicentre SNCF a déménagé et changé de nature. Installé sur la zone industrielle Aéromia, le nouveau Technicentre, ultramoderne,répare des pièces de voitures ferroviaires, non plus des TGV dans leur globalité. 250 personnes y travaillent contre 400 auparavant. Même si les conditions de départ ont été correctes, cela laisse forcément des traces.

Sous un ciel bouché, Sandrine me retrouve à la sortie du site. Chasuble orange et visage rieur, elle milite pour l’Unsa, syndicat minoritaire. Elle aime son rôle à la logistique après 14 ans de service. "Je n’ai jamais voté avant, parce que ma mère avait une carte de séjour, et ce n‘était pas sa culture. A 40 ans, je vais voter pour la première fois, pour contrer Macron ! Je lui en veux d’avoir remis en cause notre statut de cheminot. Depuis 2020, je fais partie de SNCF voyageurs, une société anonyme. Je vais toucher une retraite calculée sur les 25 dernières années au lieu des 6 derniers mois. La gestion de la crise sanitaire avec toute la pression vaccinale ne me satisfaitpas non plus."

Au pays des chaussettes, il y avait du rouge

Sur le grand boulevard qui traverse la ville et longe l’ancien technicentre SNCF, un panneau publicitaire appelle encore à visiter le magasin d’Olympia. Un vestige d’une autre époque, car l’essentiel de la fabrication de la marque a été transférée chez Tricotage des Vosges. Réputée depuis l’après-guerre pour sa fabrication de chaussettes et de sous-vêtements, Romilly-sur-Seine est longtemps restée un bastion du parti communiste. Mais les délocalisations dans le textile ont tout bouleversé. Du milieu des années 1970 à la fin des années 90, entre 4 000 et 5 000 emplois ont été perdus.

Présidentielle 2022 : 

Costume foncé, regard affable, dans le local du parti communiste situé rue de la Boule d’or, la rue principale, le conseiller municipal d’opposition Fethi Cheikh reçoit derrière une vitrine peuplée d’affiches de Fabien Roussel, le candidat communiste à la présidentielle. C’est d’ailleurs la seule figure de candidats déjà visible dans la ville.

"Il fallait désindustrialiser ! On ne devait plus être une ville de production. Cela nous fait bondir quand aujourd’hui on nous explique qu’il faut produire ici, mais en même temps on se réjouit que ce débat revienne. En attendant, beaucoup d’anciens ouvriers ont été laissés au bord du chemin. Par exemple les ex-salariés du groupe Olympia qui vivent avec 900 à 1 000 euros alors qu’ils ont cotisé entre 40 et 42 ans", souligne Fethi Cheikh.

Comme le parti communiste, la CGT de Romilly est persuadée que le vote d’avril 2022 se fera sur le pouvoir d’achat, pas sur l’immigration. Dans son bureau, sous le regard de Che Guevara, le secrétaire de l’Union locale Christophe Latrasse précise la demande : "Il faut un smic à au moins 2 000 euros brut avec des cotisations qui financent la protection sociale. Et il faut recréer des emplois dans l’industrie. On nous a vendus du commerce et du tertiaire, mais ce n’est pas rémunérateur".

28% de la population sous le seuil de pauvreté

Le fait est qu'il y a de plus en plus de personnes en difficulté financière, à Romilly-sur-Seine. 28% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Certains sont nés ici mais d’autres sont arrivés plus récemment de région parisienne.

Fin de matinée, bise glacée, face au comité du secours populaire, des chaises attendent dehors les bénéficiaires car les locaux sont exigus. Tutoiement etfranc parler de rigueur, Serge est bénévole et ancien cheminot. Il organise les distributions.

"713 personnes sont régulièrement aidées ici. Il y a 45 % de moins de 15 ans. Avant on sortait de la précarité en une génération, maintenant c’est plutôt deux, voire deux et demie. Nous sommes apolitiques et areligieux", rappelle Serge, "alors évidemment, je ne vous dirai rien sur le vote. Cela ne nous interdit pas d’être des aiguillons pour les pouvoirs publics. On est anti-racistes et on aimerait que les élus reconnaissent la précarité sans être méprisants."

"J'ai déjà vu que l’on propose un contrat de 4h à 20 km à une personne qui n’a pas de voiture. Et quand elle refuse, on la traite de fainéante ! La majorité des gens qui viennent chez nous préféreraient ne plus participer à nos distributions," ajoute Serge.

9,5% de la population active au chômage

Face à cette pauvreté grandissante, le maire, Eric Vuillemin, LR en place depuis 2008 s'interroge. Soutien d’Eric Ciotti, "car il a une ligne claire", il n’a pas encore décroché le cadre de Nicolas Sarkozy au-dessus de son bureau.

Selon le maire, il faut "augmenter les bas salaires en diminuant les charges sociales, de manière à créer un fossé entre les revenus de ceux qui travaillent et les aides sociales".

Ancien boursier, Eric Vuillemin est persuadé qu'"une minorité de nos concitoyens a du mal à retravailler alors qu'il y a des postes".

Selon l’Insee, à Romilly-sur-Seine, le taux de chômage s’établit à 9,5% de la population active au deuxième trimestre 2021, contre 7,5% nationalement. Le développement économique est au cœur des préoccupations municipales et elle a largement soutenu le fleuron actuel, Le Coq sportif.

Le Coq comme fleuron, une usine de gants médicaux en projet

Relancée à Romilly-sur-Seine depuis 2010 avec des actifs suisses, la marque au coq tricolore équipe de nombreux champions et ses ventes ont bien repris après le Covid. Aujourd’hui, c’est une centaine d’emplois qui animent l’usine, du design à l’assemblage de vêtements de prestige ou de petites séries. Et de gros travaux ont été lancés cet automne pour agrandir le site et faire travailler 80 personnes supplémentaires d’ici janvier 2023 en vue des JO de Paris 2024.

La ville soutient également un projet d’usine de fabrication de gants médicaux avec des actionnaires locaux. "C’est17 millions d’euros d’investissements privés qui éviteront d’acheter des gants aux chinois!" annonce avec enthousiasme Eric Vuillemin. Elle générera 110 emplois, promet-il et elle sortira de terre en 2023.

"Il faut juste que le plan de relance l’aide pour qu’elle démarre" précise le chef d’entreprise local Emeric Oudin, négociant en équipements agricoles. Animateur du centre des jeunes dirigeants locaux, ce Romillon dynamique en est également devenu le président national.

Emeric Oudin ne se prononce pas sur ses préférences. "Quel qu’il soit, le futur chef de l’Etat devra aussi instaurer une TVA sociale ou environnementale sur les produits fabriqués ailleurs ou avec des normes écologiques moindres que celles de France. C’est la seule façon selon moi de garantir de la compétitivité aux usines françaises donc de consolider l’emploi".

Mais comment être sûr que les emplois créés seront adaptés à la main d’œuvre locale ? Du côté des aspirants au travail, le doute est permis. Au moins autant que sur le nom du candidat qu’ils choisiront à la présidentielle.

"Faire des études, cela coûte cher"

Zoé a 19 ans. Boucles brunes, très posée, suivie par la Mission locale dans le cadre du dispositifgarantie jeunes. Elle a fait une année de service civique après le bac. Momentanément en stage dans un commerce d’habillement, la jeune femme avoue qu’elle "prend le temps d’explorer pour être sûre car les études, cela coûte cher. Je pense que j’aimerais être assistante sociale mais l’école est à Reims, c’est compliqué!" Dans le flou sur la politique, Zoé est néanmoins appliquée. Elle a regardé le débat des Républicains pour se faire une idée.

Alors qu’un crachin n’est pas loin, à côté de l’école Gambetta, au centre-ville, Loubna, 39 ans, parle aussi de ses attentes en déposant sa fille. Française née à Romilly dans une famille d’origine marocaine, elle est mère au foyer pour le moment mais elle aimerait retravailler. Si elle a pu faire un bilan de compétences au Greta, la plus proche formation en bureautique est à Troyes et elle vit seule avec ses enfants. C’est donc l’inconnu de ce côté-là. En revanche côté présidentielle, Loubna a déjà une idée arrêtée. "Comme je suis basanée, je n’ai pas le choix. J’ai peur du racisme alors, ce sera Macron".

"Le Président s’est bien occupé de nous !"

Rares sont ceux qui revendiquent déjà un soutien au président actuel mais Fabrice Bon est de ceux-là. Souriant aux fourneaux de sa trattoria, l’un des deux derniers restaurants ouverts le soir en centre-ville, il qualifie de « formidable » l’aide gouvernementale accordée durant les confinements. Là où d’autres commerces n’ont pas trouvé cela suffisant, Fabrice est reconnaissant. "Emmanuel Macron s’est bien occupé de nous, donc je vais voter pour lui. Je ne l’avais pas fait en 2017 car je ne le cernais pas, j’avais préféré m’abstenir."

"Pour le moment, les Romillons sont comme les Français, des râleurs ! Ils envisagent plus un vote de protestation qu’autre chose. A ce stade personne ne connaît vraiment les programmes des candidats. On les évalue juste en termes de personnalité," analyse Fabrice.

Autant de personnes rencontrées, autant de visions, dans une campagne électorale qui ne fait que commencer. Mais on le voit bien, dans cette cité ouvrière de l'Aube, touchée par la désindustrialisation, le président actuel n'a pas pour le moment les faveurs de la majorité des Romillons.

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