Beth Harmon, l'héroïne du "Jeu de la dame" qui met Emily in Paris échec et mat
Le monde des échecs et la mode : un couple que l’on n’avait pas vu venir. Dans ce jour sans fin qu’est le confinement, on s’est laissé attraper par Le Jeu de la dame, l’une des dernières productions Netflix. La série est sortie fin octobre sans publicité ni trompette, contrairement à Emily in Paris, lancée tout feu, tout flamme à peu près au même moment. Si on a beaucoup parlé des bérets, des croissants et du Paris en carton-pâte, le bouche-à-oreille a aussi très bien fonctionné pour la mini-série de sept épisodes adaptée du roman de Walter Tavis, se déroulant dans les années 1950-60. Aujourd'hui, elle fait fureur. Il faut dire que l’héroïne Beth Harmon incarnée par Anya Taylor-Joy y contribue grandement. Ses grands yeux ronds et la qualité de son jeu suffisent sans doute à rafler les critiques.
Mais la passion qui entoure cette série tient aussi au sens photographique et esthétique de Steven Meizler. Travaillé de manière chirurgicale, il s’affirme avec précision, par à coup, un peu partout. On le retrouve dans le carré roux de la jeune prodige d’échecs qu’on imagine coupé à la serpette, les imprimés d’un papier peint chargé dans un intérieur pavillonnaire des années 1960, l'architecture badass des hôtels de Las Vegas ou de Mexico, ou encore la garde-robe soignée (et chasuble) de l’orpheline surdouée. En bref, si cette série était une dégaine, on évoquerait un style vintage hypnotique.
En vidéo, la bande annonce "Le Jeu de la dame"
Beth Harmon, un terrain miné pour les marques
Comme souvent dans une production portée par une héroïne, l’engouement du public pour ses habits est la chronique d'un engouement annoncé. Si Emily in Paris foisonne de contrats juteux avec les marques, la championne d’échecs, elle, en est dispensée. Beth est un personnage brillant, mais aussi en proie à l’alcool et aux drogues. Un terrain miné pour la pub. Pour se faire un look à la Beth Harmon, il faut donc écumer les friperies (et ouvrir l’œil). Ses habits sur mesure ont été conçus par la costumière Gabriele Binder. Ils sont une compilation de références à une mode passée, celle portée par des stars telles que Jean Seberg, Edie Sedgwick ou Audrey Hepburn. Et écrite par des Pierre Cardin et André Courrèges. On est bien loin de l’affaire marketée et proprette de la série Emily in Paris où tout a été étudié pour que sa panoplie labellisée Kangol-Chanel-Marc Jacobs finisse en un clic sur nos épaules.
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On n'enlève donc pas à Emily Cooper et Beth Harmon le point commun d'aimer le vêtement. Ni de revendiquer d'être une femme libre. Mais l'incarnation féministe dont les deux personnages se réclament penche en faveur de la championne d'échecs. Dans Le Jeu de la dame, le style embrasse la progression d'un génie. D'abord coulée dans l'uniforme de la pensionnaire d'internat - après la mort de sa mère - Beth Harmon développe une fascination pour le vêtement à mesure qu'elle grandit et se révèle sur l'échiquier.
Tout débute avec une robe à motif tartan qu'elle se paye seule après avoir gagné son premier tournoi. L’imprimé géométrique n’a rien d’anecdotique. Ce détail fait référence au damier du jeu et devient omniprésent dans sa garde-robe. Dès lors, plus aucun de ses habits ne coupent aux carreaux, ni au noir et blanc. Mais les robe trapèzes, les chemisiers, les petits pulls moulants en laine, les pantalons taille haute, les manteaux ou encore les foulards noués dans les cheveux disent aussi quelque chose de la jeune femme qui fait carrière dans un univers exclusivement masculin. Plus elle triomphe, plus son allure s'émancipe. Un journaliste lui demandera si elle n'est pas trop glamour pour jouer aux échecs. Beth Harmon répond au sexisme en s'habillant comme elle le veut. Un acte militant. Sans jamais perdre de vue le coup juste, voire fatal.