COVID-19 : c’est fini, la désinfection ?

Ce qu’il faut retenir

Une espèce de frénésie de la désinfection s’est emparée du Québec — et d’à peu près toute la planète ! — au début de la pandémie, il y a déjà presque 15 mois. Les autorités canadiennes et québécoises ont émis des recommandations à un moment où personne ne savait exactement de quelle manière le virus de la COVID-19 se répandait. C’est pourquoi nous avons pris l’habitude de nettoyer au désinfectant les poignées de porte et les interrupteurs de courant, et ce, même si nous ne laissons personne entrer chez nous.

Sur les réseaux sociaux, certains avouent avoir hâte de se débarrasser de tous ces nouveaux rituels de propreté, qui prennent temps et argent, alors que d’autres se sentiraient plus tranquilles si on les conservait. Les connaissances scientifiques ayant beaucoup évolué au cours des derniers mois, nous avons sondé des experts pour déterminer quels gestes ne sont plus nécessaires, et lesquels devraient perdurer.

Des risques de plus en plus faibles

Dès l’été 2020, il est devenu clair que le mode de contamination par contact avec des surfaces était accessoire, comparé au risque de transmission par les gouttelettes de salive et les aérosols que projettent les porteurs du virus. Les enquêtes épidémiologiques ont trouvé très peu de cas où des objets, comme une poignée de porte ou un bouton d’ascenseur, auraient pu expliquer l’infection de certaines personnes. Et même si ça s’était produit, il aurait été impossible de le prouver. La contamination par les surfaces a tout de même été qualifiée de « possible », et les autorités ont préféré ne pas réviser leurs consignes, malgré le fait que certaines semblaient de moins en moins justifiées.

Au Québec, par exemple, on continue de conseiller un nettoyage accru de l’intérieur des domiciles… même s’il n’est visité que par les personnes qui y habitent. « C’est très peu utile pour limiter la contamination entre membres d’un même foyer, qui partagent le même air et se touchent. Si je serre mes enfants dans mes bras, nettoyer la télécommande ne sert à rien ! » explique Christian Jacob, président de l’Association des microbiologistes du Québec.

Sur son site, l’Agence de santé publique du Canada recommande quant à elle de nettoyer et de désinfecter « votre domicile chaque fois qu’une personne rentre après avoir eu des contacts étroits avec d’autres personnes ou des surfaces fréquemment touchées ». Si la majorité des gens ont sans doute compris qu’avec les masques et la distanciation, il suffit de se laver les mains au retour de l’épicerie ou de l’école, il n’empêche que cette consigne extrême a de quoi stresser les plus anxieux.

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La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) indique pour sa part, par exemple, qu’on doit nettoyer les aires de repas après chaque utilisation et les désinfecter quotidiennement, mais sans préciser à quel moment. À plusieurs endroits, cette désinfection des espaces communs se fait à la fin de la journée. Or, comme le souligne Christian Jacob, désinfecter un lieu où personne n’ira avant plusieurs heures est inutile, car le temps fait aussi son œuvre pour faire disparaître toute trace de virus infectieux. Le risque d’être contaminé en mangeant son lunch sur une table qui n’a pas été utilisée depuis la veille est absolument infime.

Nettoyer plutôt que désinfecter

En avril 2021, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américains ont, pour la première fois, qualifié le risque de transmission par les surfaces de « faible », plutôt que « possible ». Au Québec, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) publiera d’ici deux semaines ses nouvelles recommandations sur le sujet, dit la Dre Caroline Huot, médecin-conseil à l’INSPQ. Cet avis sera utilisé par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), qui pourra modifier en conséquence les consignes à la population, alors que la CNESST pourra faire de même auprès des entreprises. « On va faire état de cette notion de risque faible, même si d’autres autorités n’ont pas encore franchi ce pas. On va aussi modifier les recommandations sur la désinfection, qui ne sera plus conseillée à chaque nettoyage comme elle l’était auparavant », explique Caroline Huot. Déjà, plusieurs pays d’Europe du Nord, tels la Finlande et les Pays-Bas, ne prônent plus la désinfection depuis cet hiver.

Même pour des surfaces fréquemment touchées, l’INSPQ va indiquer qu’un nettoyage une fois par jour avec un détergent ordinaire comme un savon, et non avec un désinfectant, est suffisant, car cela élimine au moins 90 % des traces de virus qui pourraient subsister. « On devrait juste désinfecter les pièces où ont séjourné des personnes porteuses du virus ou suspectées d’être infectées », précise la médecin.

Le MSSS et la CNESST devront donc revoir leurs consignes en conséquence, en préconisant de ne pas se servir de désinfectants là où ils ne sont pas nécessaires. « Ce ne sont pas des produits qu’on devrait utiliser à la légère, puisque ce sont souvent des irritants respiratoires pour les personnes qui les appliquent », prévient Christian Jacob. Même si l’alcool est bien moins toxique que les produits contenant du chlore ou de l’acétone, respirer des vapeurs dans un endroit mal ventilé n’est pas idéal non plus.

Mais alors que le virus devient peu à peu moins présent dans notre environnement, y a-t-il encore lieu de procéder à un nettoyage accru ? Certaines des consignes précédentes tenaient déjà compte du fait que le virus circulait plus ou moins. Par exemple, la désinfection des surfaces fréquemment touchées dans les autobus scolaires était conseillée seulement en zone rouge ou orange. On ne sait pas pour le moment ce que la CNESST et le MSSS recommanderont dans ce nouveau contexte.

Ce qu’on devrait garder, ce qu’on devrait abandonner

Sachant cela, que faut-il continuer de faire ? La priorité, selon Christian Jacob et Caroline Huot, devrait être le lavage des mains, qui reste pertinent puisqu’on les porte fréquemment au visage, près du système respiratoire, où elles sont susceptibles d’apporter le virus, qu’il soit transmis par des gouttelettes, des aérosols ou des objets.

Les deux experts pensent ainsi qu’on devrait par exemple, pour l’instant, conserver le lavage des mains à l’entrée des commerces et des lieux publics.

Désinfecter les paniers d’épicerie avant chaque client ? Oui, selon Christian Jacob, car nos mains restent quand même longuement sur les poignées, et ces commerces voient passer beaucoup de gens. La Dre Caroline Huot, elle, croit qu’un nettoyage une fois par jour serait désormais suffisant.

Les objets qu’on touche peu avec les mains, comme les chaises dans une salle d’attente, posent encore moins de risques, et les deux spécialistes estiment qu’il n’y a probablement pas lieu de les nettoyer après chaque utilisation.

Certaines règles instaurées pour protéger les employés et certaines corvées de nettoyage devraient aussi être révisées, selon Christian Jacob. Refuser de remplir une tasse réutilisable ou de prêter un véhicule de remplacement ? Non !

Des risques à trop en faire ?

Comme plusieurs microbiologistes, Christian Jacob croit qu’on aurait tout intérêt à garder certaines bonnes habitudes d’hygiène et de salubrité prises pendant la pandémie. Rester chez soi quand on est malade. Porter un masque lorsqu’on a des symptômes de maladie respiratoire. Se laver les mains après avoir été en contact avec des surfaces ou des objets que beaucoup de gens ont touchés.

Une aseptisation accrue de notre environnement risque-t-elle toutefois de nous jouer des tours ? En janvier, un groupe de 23 chercheurs a publié dans la revue PNAS une mise en garde relativement aux effets sur le microbiome humain des mesures adoptées contre la COVID. Sans critiquer les règles nécessaires pour contrôler la pandémie, ils s’inquiètent du fait qu’elles puissent à la longue affecter le microbiome humain : un environnement plus aseptisé, moins de contacts avec d’autres personnes et moins de voyages appauvrissent la biodiversité microbienne que nous côtoyons quotidiennement. Cela pourrait avoir des conséquences sur les microbes avec lesquels nous vivons en symbiose et, par ricochet, sur notre propre santé, disent les chercheurs. Ils rappellent l’hypothèse de l’hygiène, un phénomène qui, croit-on, pourrait expliquer pourquoi des maux comme l’asthme, les allergies alimentaires et certaines maladies auto-immunes ont progressé au cours des dernières décennies dans les pays industrialisés, où l’on vit dans un environnement plus aseptisé que dans les pays pauvres.

« L’idée que l’aseptisation accrue pendant la pandémie pourrait avoir un effet est une hypothèse intéressante, mais il faudra la vérifier », estime le Dr Philippe Bégin, allergologue à l’hôpital Sainte-Justine. « On verra dans quelques années si on constate une recrudescence de l’asthme ou des allergies chez les enfants. » Le médecin n’est toutefois guère inquiet, car il doute qu’un environnement plus aseptisé pendant un peu plus d’un an puisse avoir des conséquences à long terme.

Quoi qu’il en soit, ces hypothèses ne justifient pas qu’on arrête de se protéger contre les microbes pathogènes comme le SRAS-CoV-2 tant qu’ils sont encore présents dans notre environnement : on n’a pas besoin de dangereux microbes pour avoir un bon système immunitaire ! Cependant, il faut garder à l’esprit que désinfecter des endroits ou des objets, alors que ce n’est plus nécessaire pour nous protéger contre des pathogènes, pourrait aussi nous priver de « bons » microbes et s’avérer contre-productif.

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