Les musiques électroniques, politiques? 5 fois où la techno a secoué la société
En attendant de pouvoir retourner danser, retour sur cinq moments des années 80 à nos jours, de New York à Paris en passant par Berlin, où les musiques électroniques ont participé à des mouvements politiques.
Taper du pied, ça fait bouger la société ? C’est l’une des questions à laquelle l’association Soundsystem, qui organise chaque année un cycle de conférences mettant à l’honneur techno, house, électro, acid et autres rythmes entraînants, essaye de répondre. Au fil des documents d’archives, paroles de chercheurs et d’activistes, on s’y rappelle, lors de la dernière édition qui s’est tenue cette semaine, que ces genres musicaux ont été, dès leurs origines, au coeur des mouvements sociaux. Entre temps, les musiques électroniques se sont démocratisées jusqu’à acquérir une teneur commerciale parfois critiquée. Mais la crise environnementale et les restrictions de libertés dues à la crise sanitaire ont fait renaître comme un élan de révolte. Retour (non exhaustif) sur cinq moments où il a été – et où il est encore politique de danser très vite et très fort sur des beats répétitifs.
Comment Thatcher a fait naître (malgré elle) la culture rave
Été 1988, au Royaume-Uni, c’est le second Summer Of Love. Punks, rockers, night-clubbers, étudiants, rastas et hooligans vibrent à l’unisson dans « la paix, l’amour, l’unité et le respect », à la faveur de joyeuses pilules multicolores sur l’acid house de Chicago. Une ambiance festive et rebelle qui déplaît à la première ministre britannique Margaret Thatcher : dès 1987, elle contraint les clubs à fermer leurs portes à deux heures du matin. Puis convoque un musicologue au parlement pour interdire très précisément les musiques électroniques définies par leur « battement répétitif ». Interdit de se retrouver à plus de dix personnes sur fond d’acid house, interdit d’en diffuser sur les ondes. Ni une ni deux, les teuffeurs trouvent la parade et découvrent une manière de faire la fête dans la plus totale des illégalités : lieux squattés, pas d’horaires, pas de billets, pas de tenue décente… De l’interdiction, la culture rave est née.
1989 à Berlin : quelques mois avant la chute du mur, la première Love Parade
Ils n’étaient que 150, avec une camionnette et du son qui tambourine dans des enceintes bon marché. Cette manifestation illégale et festive, organisée par des squatteurs et des anarchistes fans de musique techno, sonne comme la promesse d’une liberté proche. Dans les mois qui suivent, la techno envahit les rues berlinoises à une vitesse folle.
La ville, avec ses nombreux bâtiments laissés à l’abandon à l’Est, devient un immense terrain de jeu où fleurissent des boîtes de nuit encore aujourd’hui emblématiques. Suite à cette première Love Parade, le rendez-vous sera pris chaque été pour une journée de liesse au son de la techno, réunissant toujours plus d’amateurs. A partir des années 2000, l’événement sera repris ailleurs et dans le monde… jusqu’à la terrible édition de 2010 à Duisbourg où un mouvement de foule fera 21 morts et plus de 600 blessés. Plus de dix ans après le drame, une nouvelle édition est tout de même annoncée pour l’été 2022.
Abattre les murs des prisons par le son des basses : la house est (toujours) antiraciste et anti-carcérale
Briser le système carcéral à coups de house music, ça existe ? Le réalisateur du documentaire « Bring Down The Walls » a suivi des centaines de militants lors d’un événement artistique à New York. S’y réunissaient anciens détenus, travailleurs sociaux et militants, dénonçant la politique carcérale étasunienne et son système de discrimination contre les minorités. De longues journées de débats, de réflexions, entrecoupées d’interviews… et de musique. Le soir, l’estrade qui servait aux discours la journée devient une piste de danse où tous se rassemblent au son de la house, un genre né des cendres du disco dans les communautés noires et latino LGBTQ+. Phil Collins (le réalisateur), rappelle le contexte d’émergence de la house music, dont les adeptes sont alors principalement noirs, homosexuels et en marge.
Au fil du documentaire, on comprend comment la musique est un biais de rébellion contre la machine d’enfermement et de contrôle de masse du système pénitentiaire aux Etats-Unis. Se battre pour plus d’égalité tout en dansant, hier comme aujourd’hui : c’est ce que documente Phil Collins, avec en prime une bande son qui donne envie de se trémousser.
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2019, la première rave pour le climat à Paris
Lors de la « Marche du siècle » pour le climat du 16 mars 2019, particulièrement massive avec plus de 45 000 personnes à Paris, des centaines de danseurs autour d’un char : le groupe G.A.F. (give a fuck now) a voulu mobiliser les fêtards et montrer qu’il était possible de lutter en musique en créant le mouvement Rave4Climate. L’association militante a pour cela réuni une quinzaine de collectifs et quelques grands noms des musiques électroniques : le premier char unitaire de la scène électronique depuis la manifestation anti-Le Pen des présidentielles de 2002.
Manifestations contre la loi sécurité globale et soutien à la rave de Lieuron : converger pour les libertés
Vous vous souvenez de cette rave qui a fait la Une de nombreux journaux, en pleine pandémie mondiale, au dernier Nouvel an ? A Lieuron, la grosse fête avait réuni 2.400 personnes… et entraîné « 2.000 verbalisations, 15 arrestations, 4 mises en examen » selon le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Suite à cela, les « teufeurs » de la mouvance des « free parties » ont décidé de protester contre des sanctions considérées comme disproportionnées et ainsi, rejoindre le mouvement contre la loi Sécurité Globale et ses manifestations hebdomadaires. Etonnantes convergences dans de nombreuses villes de France, avec un seul mot d’ordre : liberté !