En Tanzanie, l’autonomisation des femmes passe aussi par l’éducation des hommes
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Les dix-huit mères de famille assises sur la place du marché de Mlangarini échangent des regards complices et des sourires discrets. En cette matinée d’août 2021, c’est Ann, qui anime la discussion. Tout juste la quarantaine, celle qui répond au surnom de « Mama Deborah » mène « depuis des années » les réunions du groupe, exclusivement féminines. Chaque mois, elles sont une vingtaine dans ce bourg tanzanien, au sud-est de la ville d’Arusha, à se rejoindre à l’abri des regards pour une tontine.
Avec « Le Monde Afrique »,suivez la CAN 2022 sur WhatsAppGrâce à ce système d’épargne, où tour à tour chaque participante emprunte l’argent réuni par le groupe, plusieurs milliers de shillings tanzaniens sont disponibles chaque mois. Un moyen d’emprunt apprécié pour sa facilité et sa discrétion quand de nombreuses femmes au foyer et aux ressources limitées n’ont pas accès aux services bancaires ou au soutien financier de leur conjoint ou de leur famille.
« Mon mari fait le ménage »
Dix mois plus tôt, Mama Deborah a été approchée par l’ONG Hand in Hand pour participer à un programme de développement centré sur l’entrepreunariat. Elle et ses associées ont accepté d’assister deux fois par mois aux séances de formation de cette ONG internationale présente en Tanzanie depuis 2014. Des bases en gestion d’entreprise, en finance et en épargne bancaire leur ont ainsi été dispensées à raison de quatre heures par mois. « J’étais enthousiaste à l’idée de faire et d’apprendre autre chose », confie Rehyma, 34 ans, mère de trois enfants, un demi-sourire en coin.
Ces femmes cultivent pour la plupart du maïs ou du manioc, d’autres vendent des vêtements d’occasion sur les marchés de la région. Trois mois après la fin de leur formation, chacune témoigne de la fierté retrouvée et de la satisfaction d’avoir pu ouvrir un compte en banque, augmenter ses revenus, investir dans de nouvelles affaires ou agrandir l’exploitation familiale.
Lire aussiEn Afrique, la « masculinité positive » pour soutenir l’entrepreneuriat fémininDans l’assemblée, deux hommes sont présents. Ils n’ont pas dit un mot depuis le début de la table ronde mais écoutent d’une oreille attentive les discussions qui s’emballent sur les changements perçus dans les comportements de nombreux maris de la communauté. « Le mien fait le ménage maintenant », dit l’une ; « mon mari accepte d’accompagner les enfants à l’école pendant que je pars travailler », poursuit une autre.
En tout, ce sont 95 hommes, 95 « maris », qui ont suivi, en parallèle de la formation de leurs épouses, quatre sessions sur l’égalité des sexes, du partage des tâches domestiques au nécessaire soutien à apporter aux activités entrepreneuriales de leurs femmes. Une démarche peu fréquente.
La violence des hommes exclus
« En Tanzanie, il y a tellement de projets pour les femmes, que ce soit dans le développement économique, l’éducation, la défense de leurs droits… Mais aucun ne prend en compte le rôle des hommes », constate Upendo Mbuya, l’une des deux bénévoles à l’œuvre sur ce projet. Or, le fait de ne pas les impliquer entraîne d’autres défis lorsque le programme est terminé. « A partir du moment où ces femmes ont acquis de nouvelles connaissances et plus de revenus, certains maris ont tendance à leur reprocher de rentrer tard ou de ne pas remplir ce qu’ils considèrent être leurs devoirs, comme le ménage ou la cuisine », poursuit-elle.
Le constat est quasi général. « Pendant nos programmes, nous avons eu des femmes qui ont été empêchées par leurs conjoints de continuer leur formation, d’autres qui ont été dissuadées de poursuivre la création de leur entreprise », confirme Jane Sabuni.
Lire aussiAu Rwanda, former les hommes à l’égalité augmente le revenu du foyerLa directrice de la branche tanzanienne de Hand in Hand va même plus loin : « Nous avons remarqué que plus les femmes devenaient fortes sur le plan économique et contribuaient aux revenus du ménage, plus les hommes nourrissaient un sentiment d’infériorité et avaient l’impression qu’on leur enlevait leur raison d’être. Parce qu’ils devaient encore prouver qu’ils étaient des hommes et des chefs de famille, certains n’hésitaient pas à être violents avec elles ou leurs enfants. Nous en avons conclu que continuer à exclure les hommes de nos programmes était contre-productif et contribuait à reproduire des violences basées sur le genre. »
Pour Elton, 44 ans, l’un des deux hommes présents ce jour-là à Mlangarini, ces derniers mois lui ont ouvert de nouvelles perspectives. « Ma femme ne me cache plus ses activités ni l’argent qu’elle gagne ou qu’elle emprunte. Moi non plus. On se fait confiance », explique-t-il en aparté, après avoir affirmé que tous deux avaient doublé leurs revenus en s’associant pour vendre leur production agricole.
Communication au sein des foyers
Si l’expérience a une vertu, c’est bien celle d’avoir amélioré la communication au sein des foyers. Juliett, 45 ans, parle d’une voix à peine audible. Son époux et le père de ses cinq enfants est parti au Kenya pour l’été vendre des sandales comme celles que portent traditionnellement les Masai, peuple d’Afrique australe. « Avant, j’avais tendance à croire que mon mari était comme un animal, dit-elle. Il pouvait partir pendant des mois sans rien nous laisser, à moi et aux enfants. » Pour subvenir à ses besoins, Juliett vend désormais des feuilles de manioc qu’elle cultive. Même si son époux « n’a pas complètement changé » depuis sa formation, elle a l’impression d’« avoir enfin trouvé un partenaire » là où, précédemment, elle se heurtait à son indifférence.
Lire aussiEn Tanzanie, la présidente dénigre les footballeuses à « poitrine plate » et à la féminité « disparue »Entre deux champs de maïs asséchés par le soleil, à une dizaine de kilomètres, le même scénario a débuté la veille. Dans le village de Maroroi, au nord-est d’Arusha, une vingtaine de femmes d’un côté et une dizaine d’hommes de l’autre s’apprêtaient à démarrer leur formation d’une dizaine de mois. Dans cette zone rurale, les espoirs nourris par le programme sont d’abord financiers, chacun espérant pouvoir monnayer ce qu’il aura appris.
Un agriculteur, la cinquantaine, masai, en pull et pantalon tailleur, se lève et remarque : « ll y a encore quelques années, ce genre de réunion pour parler des problèmes de nos communautés n’aurait jamais eu lieu. Les femmes auraient essayé d’écouter ce que nous disions en attendant derrière la maison, pendant que seuls les hommes seraient ici en train de vous parler. Mais les choses changent avec l’éducation, la mondialisation. Tout ça met au défi nos propres cultures. »
Cet article a été écrit dans le cadre d’un partenariat avec Cartier Philanthropy
Mariama Darame(envoyée spéciale)
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