Navigation Comment la Suisse s’engage pour l’avenir des enfants du Sénégal Connectez-vous Enregistrement Confirmer la réinitialisation du mot de passe.
Depuis sa création il y a 75 ans, la Chaîne du Bonheur défend les droits des enfants, en Suisse mais aussi à l’étranger. Reportage au Sénégal, où des communautés défavorisées bénéficient de projets éducatifs financés par l’organisation helvétique.
Ce contenu a été publié le 13 décembre 2021 - 10:35Ma spécialité est de raconter des histoires, de décrypter ce qui se passe en Suisse et dans le monde à partir de données et de statistiques. Expatriée en Suisse depuis plusieurs années, j’étais auparavant journaliste multimédia à la Radio Télévision suisse (RTS).
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On circule en voiture sur une route de terre battue, partagée avec des charrettes. Sur le bas-côté, les échoppes délabrées se succèdent, proposant habits, cuisine de rue, quincaillerie, pneus ou canapés, exposés à même le sable. À Malika, quartier populaire situé en périphérie de la capitale sénégalaise Dakar, la population vit surtout d’activités informelles.
Devant un atelier de construction métallique, plusieurs adolescents martèlent un portail en aluminium sur un établi. Parmi eux, une jeune femme, Mariam, 17 ans. Le groupe est en apprentissage avec l’organisation non gouvernementale (ONG) sénégalaise Alphadev.Lien externe
Ce programme d’insertion de jeunes déscolarisés ou analphabètes est mené depuis 2011, avec l’accompagnement de Terre des Hommes SuisseLien externe. Il fait partie des bénéficiaires du fonds d’aide à l’enfance de la Chaîne du BonheurLien externe au Sénégal. En 2018, l’organisation caritative suisse lui a accordé un financement de 210’000 francs suisses, pour un peu plus de deux ans.
«Tous les projets soutenus ont pour ligne directrice la défense des droits des moins de 18 ans, explique Judith Schuler, directrice communication et fundraising de la Chaîne du Bonheur. Et cela passe surtout par l'éducation et la protection.»
Alphadev délivre des cours d’alphabétisation et des formations professionnelles diplômantes. Le centre juge indispensable d’améliorer les perspectives d’emploi des jeunes pour les protéger de la pauvreté, de la criminalité ou de la tentation d’émigrer.
La formation en soudure attirait Mariam depuis longtemps. «Le métier du métal est un art, c’est ma passion, confie l’adolescente, les yeux brillants. Mais je ne pouvais pas le faire toute seule, c’est difficile en n’étant pas allée à l’école.» D’autant que sa famille désapprouvait son intérêt pour ce «métier de garçon». «Au début, on me disait: ‘Tu ne pourras pas continuer, retourne à la cuisine!’», raconte-t-elle.
Alphadev pratique une discrimination positive assumée à l’égard des jeunes femmes - sur la période couverte par le financement de la Chaîne du Bonheur, 80 des 132 bénéficiaires étaient des filles. L’obtention de son certificat d’aptitude professionnelle a été pour Mariam une première victoire avant de peut-être, un jour, ouvrir son propre atelier.
Diplômés respectivement d’une formation en couture et en électricité, Babacar et Bachir ont réussi à s’établir à leur compte. «C’est grâce aux compétences personnelles et entrepreneuriales acquises ici», assure Babacar. De son côté, Bachir a rencontré son associé lors de l’apprentissage, et se dit convaincu que «sa formation de qualité lui permettra à son tour d’encadrer d’autres personnes».
L'aperçu en vidéo des projets d'aide à l'enfance soutenus par la Chaîne du Bonheur au Sénégal:
L’éducation, un parcours semé d’embûches
Alphadev accompagne aussi des classes de remise à niveau pour les jeunes déscolarisés. Dans cette banlieue gonflée par l’exode rural, qui ne se trouve qu’à une trentaine de kilomètres des quartiers résidentiels de Dakar, on croise beaucoup d’enfants dans les rues en journée.
«C’est une zone oubliée par l’État, l’école publique la plus proche se trouve à 5 kilomètres», déplore un leader communautaire du quartier voisin de Yeumbeul. «On sait que les enfants désœuvrés sont des bombes à retardement, c’est pourquoi nous apprécions à sa juste valeur toute aide pour les scolariser. Nous avons besoin qu’on nous accompagne.»
La déscolarisation touche tout le Sénégal, pays d’Afrique de l’Ouest de près de 17 millions d’habitants à la population jeune - l’âge médian est de 18 ans. Environ 1,5 million d’enfants ne vont pas à l’école et, parmi eux, les deux tiers n’y ont jamais été inscrits.
Malgré des progrès notables dans l’accès à l’éducation de base ces dernières années, peu d’élèves mènent leur scolarité à son terme: de 59% au niveau élémentaire, le taux d’achèvement chute à 27% au secondaire, selon des chiffres fournis par l’ONG Save The Children.
Les obstacles, nombreux, se dressent parfois dès la naissance. Il est encore assez fréquent que les parents ne déclarent pas leur bébé, parce que les centres d’état civil sont trop éloignés ou par méconnaissance. Les Nations uniesLien externe estiment que près de 30% des enfants de moins de 5 ans n’auraient pas d’acte de naissance au Sénégal. L’absence d’identité officielle compromet leur avenir, car ce document est indispensable pour intégrer le système d’éducation nationale.
L’école peine à faire le poids face aux traditions ou à la pauvreté des parents. Pour les filles, difficile de s’extirper d’un destin de mères adolescentes au foyer. Bien qu’elles soient autant que les garçons à entamer une scolarité, mariages et grossesses précoces les contraignent souvent à abandonner. Près d’un tiers d’entre elles sont mariées avant l’âge de 18 ans.
À Guédiawaye, dans l’agglomération de Dakar, l’ONG sénégalaise Intermondes travaille sur ces aspects, en partenariat avec IAMANEH SuisseLien externe. Leur projet de prévention des grossesses précoces et de promotion de l’éducation sexuelle a lui aussi reçu en 2018 200'000 francs de la Chaîne du Bonheur, couvrant une période de trois ans et demi.
Des séances de conseil et de dialogue dédiées aux 10-18 ans ont été mises en place dans des centres de santé du département. «Chez nous, la sexualité est très taboue», déplore la sage-femme Nafiba Diop, directrice du poste de santé de Fith Mith, un bâtiment aux murs ornés de fresques représentant femmes et nouveau-nés, à la fois cabinet généraliste, maternité et centre de planning familial.
«On n’en parle pas à la maison, et bien souvent les enfants ne comprennent pas leur corps.» Madame Diop, comme on la désigne ici, dit voir régulièrement des adolescentes affolées à l’arrivée de leurs premières règles, dont elles ignorent tout. Elle essaie surtout de déstigmatiser la consultation gynécologique, entourée de préjugés dans cette société traditionnelle à 95% musulmane. Dans la salle d’attente qu’un unique ventilateur au plafond peine à rafraîchir, certaines femmes dissimulent leur visage derrière leur voile en nous croisant. «Si une jeune fille vient voir une sage-femme au poste de santé, on pense forcément qu’elle est active sexuellement et elle risque d’être mal vue», explique la professionnelle.
Entendre la voix des enfants
Intermondes collabore par ailleurs avec 26 écoles, ce qui lui permet de toucher plusieurs centaines d’élèves. L’expression artistique est utilisée pour aider les enfants à verbaliser leurs préoccupations. «En général, [ils] n’ont pas le droit à la parole au Sénégal et c’est un mal très profond qu’on doit traiter», note une bajenu gox - une «marraine de quartier» – associée au projet. Outre l’aspect éducatif et la sensibilisation, «la Chaîne du Bonheur valorise beaucoup cet aspect participatif, souligne la porte-parole de l’organisation Judith Schuler. Il est très important que les enfants apprennent à exprimer leur voix.»
Local, le personnel des organisations sait quels leviers culturels peuvent être exploités. Pour diffuser leurs messages de prévention dans les quartiers, les ONG mettent par exemple à contribution les «marraines» et les «tontons», des personnes de référence dans leurs communautés, traditionnellement impliquées dans l’éducation des enfants.
Ces ONG recourent aussi à la pratique ancestrale des causeries. Nous assistons à l’une de ces sessions de dialogue communautaire dans une école coranique («daaraLien externe») de Kaffrine, une région rurale parmi les plus pauvres du pays. Une vingtaine d’élèves, appelés talibés, et leur maître coranique (le marabout) sont assis par terre à l’ombre d’un immense figuier des pagodes.
L’homme qu’ils écoutent avec intérêt est Mohammed Sankhe. Quatre fois par mois, à l’initiative de Save The Children SuisseLien externe, il rassemble ces enfants de 14 à 17 ans autour de lui dans la cour pour leur parler de leurs droits. La finalité est qu’ils «sachent distinguer ce qui est acceptable ou pas», précise-t-il.
La question de la lutte contre les violences se pose avec acuité dans les écoles coraniques. Qu’ils y aient été placés par leurs parents pour l’instruction islamique ou par contrainte financière, les enfants y sont entièrement pris en charge par le marabout, qui devient leur tuteur légal. L’absence de supervision les expose à toutes sortes d’abus.
«Dans certains daaras, les marabouts s’estiment dans leur bon droit de réclamer une rétribution aux enfants, ce qui les contraint au vol ou à la mendicité, faute de quoi ils sont battus», illustre le préfet de Kaffrine, Moustapha Diaw. On estime qu’il y a au Sénégal plus de 100'000 enfants talibés. Les écoles coraniques coexistent avec le système scolaire promu par l’État – qui tente depuis plusieurs années de les moderniserLien externe. C’est pourquoi la préfecture soutient le projet. «On ne peut pas rejeter ce modèle traditionnel, mais Save The Children est là pour nous aider à encadrer les problèmes et les défis qu’il pose», salue Moustapha Diaw.
Depuis le lancement du projet en avril 2021, l’ONG a identifié sept daaras d’intervention dans le département. Elle a parallèlement mis en place des causeries sur la parentalité non violente, et commencé à former cent adolescentes à la prévention des violences domestiques et de l’exploitation économique. Par la suite, elles seront à leur tour chargées de sensibiliser leur entourage. Au total, 2000 enfants et un peu plus de 300 adultes constituent le public cible.
La Chaîne du Bonheur a alloué 405'000 francs à ce programme, pour les deux prochaines années. «Avec les projets d’aide à l’enfance, on essaie en général d'avoir un impact d’un peu plus long terme qu'avec nos autres collectes, qui durent normalement plutôt 18 mois en moyenne, note la porte-parole Judith Schuler. Ces fonds servent surtout aussi à initier des projets qui peuvent être pérennisés par la suite.»
Le sujet de la RTS sur les programmes de la Chaîne du Bonheur au Sénégal:
Poursuivre leur travail et l’étendre, c’est ce que souhaitent les ONG que nous avons rencontrées. Au tout début de son projet, Save the Children prévoit dans les deux ans qui viennent de développer sa collaboration avec les autorités de Kaffrine et d’obtenir une hausse des budgets alloués à la protection de l’enfance. Intermonde espère pouvoir répliquer à l’avenir son modèle de prévention des grossesses précoces à d’autres districts de santé.
Alphadev ambitionne pour sa part d’ouvrir des centres d’apprentissage ailleurs au Sénégal, afin de répondre à une «demande forte des communautés», selon le directeur de l’ONG Mor Diakhate. Mariam estime en tout cas que sa formation a déjà changé sa vie. De langue maternelle wolof, elle nous parle dans un français presque sans faute. «Tout ce que je peux vous dire en français, c’est Alphadev qui me l’a appris. Avant, je savais seulement écrire mon nom, sourit-elle. Ils ont fait de nous les personnes qu’on n’était pas.»
Une collecte anniversaire dédiée aux enfants
Née à Lausanne en 1946, la Chaîne du Bonheur fête cette année ses 75 ans d’existence. À l’occasion de cet anniversaire, elle organise une semaine de solidarité pour l’enfance en souffrance du 12 au 17 décembre. Les fonds collectés iront pour moitié à des projets en Suisse (protection contre les violences domestiques, intégration sociale de jeunes en rupture), tandis que l’autre moitié servira à financer des projets à l’étranger, à l’image de ceux visités au Sénégal.
La Chaîne n’intervient pas directement, mais mène régulièrement depuis la Suisse des collectes de dons sur différents thèmes. Sa toute première collecte concernait l’aide à l’enfance, qui est toujours aujourd’hui l’un des trois grands piliers de sa mission - parallèlement à l’aide sociale et au soutien humanitaire après les catastrophes. Les fonds récoltés sont distribués à des ONG sélectionnées sur appels à projets. Actuellement 24, organisationsLien externe opèrent sur le terrain en partenariat avec la Chaîne du Bonheur, parmi lesquelles les branches suisses de Terre des Hommes, Save the Children et IAMANEH.
La Chaîne du Bonheur a été rattachée pendant 37 ans à la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SSR), le groupe audiovisuel public dont fait partie SWI swissinfo.ch. Elle est devenue une fondation indépendante en 1983, mais reste étroitement liée à la SSR dont elle est le «bras humanitaire», selon la formule consacrée. Ses campagnes sont relayées par la SSR, qui est partenaire de la collecte anniversaire.
Comment faire un don?
Les dons peuvent être effectués en ligne directement sur le site de la Chaîne du Bonheur, ou sur son compte postal 10-15000-6. Il est possible d’affecter son don à une collecteLien externe particulière (mention «Enfance» pour la collecte anniversaire) ou de laisser l’organisation estimer où les fonds seront les plus utiles.
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