Peacemaker : une série calibrée, par James Gunn et John Cena
Avant-propos : la présente critique se porte sur les premiers épisodes de la série.
Autre avant-propos : c'est sans spoiler, mais faites gaffe quand même
Foutu à la porte de Marvel Studios, le temps que les choses se calment, que la situation se clarifie, James Gunn décidait il y a quelques années d'accepter la main tendue par Warner Bros. pour venir au secours des productions DC Films. L'entité était alors à un croisement, avec l'envie de tourner la page Zack Snyder, et de capitaliser sur le succès inattendu du premier Suicide Squad en essayant de ne pas répéter les mêmes erreurs (un temps, des projets Deadshot ou Gotham City Sirens avaient même été envisagés). Gunn se proposera de lui-même pour reprendre cette équipe de seconds couteaux, avec un énorme ravalement de façade : à la fois une suite, à la fois une réinvention, son projet se baserait sur une nouvelle équipe modelée sur ses propres obsessions.
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— Osmo UK Mon Jun 18 14:28:47 +0000 2012
A savoir, les losers magnifiques, les solitaires qui n'ont jamais réussi à faire confiance, les traumatisés à la recherche d'une nouvelle famille. Comme Guardians of the Galaxy, l'idée était de faire du James Gunn, bêtement, avec les personnages de la maison d'en face. Le projet est alors lancé, l'équipe rassemblée, et le film prêt à être mis en route. Or, à partir de là, deux choses vont se passer. D'une part, Gunn se lie d'une solide amitié avec John Cena, interprète du Peacemaker, un personnage décrit comme une parodie absurde de Captain America - ou un décalque caricatural de l'U.S. Agent si l'U.S. Agent était un gosse de quinze ans piégé dans le corps d'un culturiste hypertrophié étrangement calé en vannes de zguègues. Les deux loustics vont continuellement interagir pendant le tournage de The Suicide Squad pour étoffer cet anti-héros, responsable du renversement dans le dernier tiers du scénario. D'autre part, la pandémie frappe. Et, avec un temps libre considérable sur les bras, pendant qu'il termine le montage du film depuis le confinement de son domicile, Gunn est un fois encore approché par Warner Bros. pour un second projet.
Le studio cherche à composer un catalogue d'exclusivités pour la jeune plateforme HBO Max et, convaincus par les premières images de The Suicide Squad, propose au cinéaste de lui produire une série télévisée. Celui-ci avait prévu de s'accorder une pause entre la fin du tournage précédent et le début de Guardians 3, mais, bloqué chez lui et avec rien de mieux à faire, il décidera finalement d'accepter et se mettra au travail sur l'écriture et la préproduction du projet Peacemaker, spin-off ou continuation du long-métrage articulé autour de Christopher Smith, toujours interprété par le bon John Cena. Une série de coïncidences fortuites - avec un point de départ étonnant, une armée de Trumpistes énervés qui, en cherchant à évincer le réalisateur, lui auront surtout permis de trouver encore plus de travail - qui permettent aujourd'hui à Warner Bros. de communiquer sur la première série de super-héros en canon de leur univers, comme pour rattraper Marvel Studios et l'empire bâti autour de la plateforme Disney+. Croyez en vos rêves : écrivez des tweets dégueulasses, et peut-être que dans dix ans, on vous proposera du boulot.
Faire la guerre pour habiter rue de la Paix
La série Peacemaker reprend quelques mois après le film The Suicide Squad, synchronisé sur la scène post-générique qui annonçait la survie de Christopher Smith aux événements de Corto Maltese. Convaincu que tout le monde l'a oublié, et sorti de sa convalescence, le personnage prend la fuite pour retourner chez lui. Dans le comté de Charlton (en référence à la maison d'édition où ont été publiées ses premières aventures), vers une petite bourgade du Midwest censée représenter l'Amérique profonde. Le héros est toutefois vite rattrapé par une petite équipe formée par Amanda Waller pour exploiter ses talents de tueur professionnel : Peacemaker, en compagnie des agents Harcourt (Jennifer Holland), Adebayo (Danielle Brooks) et Economos (Steve Agee) ainsi que du meneur de jeu, Clemson Mern (Chukwudi Iwuji), va devoir assassiner un politicien américain, membre supposé du mystérieux Projet Butterflies. Deux des membres de cette équipe sont de retour après The Suicide Squad, punis pour avoir assommé Waller et empêché la mort de la Task Force X lors du combat contre Starro. Le comté de Charlton abrite aussi des souvenirs plus personnels pour Christopher Smith : son père, campé par Robert Patrick, et le Vigilante, un genre de petit-frère d'adoption un peu neuneu, et qui se prend pour un super-héros. Compte de son historique vis-à-vis de l'électorat de Donald Trump, le choix de se concentrer sur Peacemaker en dit peut-être plus long sur l'orientation voulue par James Gunn que l'exposition présentée dans le premier épisode. Déjà, parce que le metteur en scène puise dans différentes interprétations du personnage pour composer cette lecture originale, à commencer par celui de la série Blue Beetle, plus musclé, plus américain. L'esthétique et le champ lexical développé autour de la version campée par John Cena évoque ces Etats-Unis du camp Républicain. Smith représente un héroïsme compatible avec cette mentalité située à droite du spectre politique. Militaire, climatosceptique, réduit au mode de vie des "white trash", ces populations pauvres souvent proche des quartiers mobil-homes, le personnage a été élevé par un père ouvertement raciste, et moins intéressé par la justice que par l'insurrection armée et l'élimination des minorités ou des descendants de l'immigration. Peacemaker a aussi son propre animal de compagnie, Eagly, un aigle de la famille des pygargues à tête blanche qui se trouve justement être l'emblème officiel des Etats-Unis. Cet arsenal de référents, croisés avec une écriture qui s'autorise à voguer vers l'humour raciste ou homophobe - en partant du principe que les personnages en question sont des enfoirés, la série s'autorise à placer ces marqueurs, à partir du moment où le reste de l'environnement assume le malaise provoqué (à la Michael Scott) ou l'aspect ordurier du procédé - Peacemaker pousse plus loin sa parodie de Captain America, avec un John Cena coiffé comme Arnold Schwarzenegger et un père en décalque de mouvements d'extrême-droite du présent, à la Unite the Right ou QAnon. Ce qui n'a rien d'une trahison sur le papier : lors de la migration du personnage de Charlton vers DC Comics, le scénariste Paul Kupperberg avait posé l'idée que Christopher Smith était en fait le fils d'un ancien officier de l'Allemagne Nazie entré clandestinement aux Etats-Unis. Or, parce que trop de temps a passé depuis la Seconde Guerre Mondiale, ou parce que les modalités du nazisme s'expriment différemment dans le présent, Gunn modernise, en allant vers le référent le plus approchant dans l'environnement immédiat.La série insère aussi une thématique sur le harcèlement sexuel, quotidien ou routinier, par le prisme du personnage de Harcourt, et un personnage ouvertement lesbien. Et avant de dégainer la panoplie habituelle des "ah ouais donc ils ont politisé mon super-héros commando' élevé par un nazi qui tue pour la paix mondiale", tranquillisez-vous : le gros de la série mise plus sur un festival de gags et un arsenal de scènes d'actions musclées que sur un propos ouvertement déclaré. Gunn a simplement décidé de jouer franc jeu, avec un décalque de Star-Lord plus orienté à droite pour mieux déconstruire sa propre parodie de vengeur patriote. Les deux personnages ont énormément de choses en commun.Comme le Yondu de Michael Rooker avec le August Smith de Robert Patrick, deux ordures incapables d'élever correctement un enfant - l'enfant en question se trouvant être, dans les deux cas, un grand fan de musique, un grand enfant de trente-cinq ans incapable de tisser des liens solides, un grand obsédé par tout ce qui est "cool" et un idiot gaffeur entouré de gens plus sérieux ou plus compétents. A ceci près que, dans le cas du personnage de Marvel Studios, Gunn devait se cantonner à un spectre moral plus net. Un peu roublard, un peu loser, Star-Lord n'en demeurait pas moins un héros. De son côté, Peacemaker est un authentique meurtrier, obsédé et idiot en pleine prise de conscience. Un compas plus flou, qui permet au réalisateur d'aller vers ce qui l'intéresse : un cinéma (enfin, une série) de genre plus anormal dans lequel le héros apparait au départ comme un abruti fini, puis comme un assassin finalement assez sympatoche. Sans oublier le grand leitmotiv de la carrière de James Gunn : le traumatisme, la solitude, l'adolescent brisé.Peacemaker ? What a Joke
Le scénario de ces trois premiers épisodes permet de remettre en perspective les choix du personnage dans le film The Suicide Squad - et de comprendre pourquoi le réalisateur a effectivement décidé de s'intéresser à ce lui. Au-delà de la ressemblance avec Peter Quill, formé dans le même moule, et de son envie d'écrire sur l'Amérique des amateurs de flingues et de symboles patriotes, le cinéaste a manifestement envie de nous faire apprécier une figure qu'il avait tout fait pour rendre détestable dans son premier essai. Un exercice qui passe par une écriture plus humaine, avec quelques belles séquences (notamment pour le personnage de Danielle Brooks, immédiatement attachante), et beaucoup, beaucoup de gags.
Gunn déploie son talent pour l'écriture absurde dès le premier dialogue, avec un physicien du M.I.T. inexplicablement reconvertis en concierge d'hôpital amateur de plantes vertes. Les vannes vont ensuite s'enchaîner à un rythme soutenu, dans une série où l'ensemble des vedettes, à l'exception notable de Harcourt, opère dans les normes du registre comique : de grands enfants, incapables de rester sérieux sur un échange de plus de deux répliques. Le gros des gags passe moins par les visuels que par les dialogues, dans une série qui prend au sérieux la mise en scène et accorde peu d'espace à l'humour slapstick, sauf dans le cas de quelques fulgurances. A l'image du générique, parodie de comédie musicale ou d'opéra rock au néon où les vedettes se prêtent à un génial exercice de second degré métafictionnel (le genre de génériques qu'on n'a pas envie de zapper, mais pas forcément pour les mêmes raisons que Succession, Game of Thrones ou Mad Men).Le piège de cette écriture, qui tire en rafales, est aussi de ne pas laisser de place à des respirations plus sérieuses (comme The Suicide Squad avec le camp des méchants au Corto Maltese). Gunn est aussi très à l'aise dans l'effet de durée : le scénario insiste parfois lourdement sur un même gag, ce qui a pour effet d'amplifier l'effet ou de piéger le spectateur dans un même rire, mais aura aussi le défaut de faire durer une séquence qui paraîtra longue ou pesante si vous n'adhérez pas à la blague en question (les milieux interlopes parlent d'effet "Phare à On"). Gunn profite d'avoir les coudées franches dans le confort d'une classification pour adultes, loin des limites posées par le registre normatif de Marvel Studios. Comme un gosse loin de la surveillance de ses parents dans une confiserie, le cinéaste s'éclate dans ce monde où tout peut se casser, où tout est parodique et où tout peut aller plus loin. Les personnages peuvent jurer, les blagues se cantonnent souvent à un vol en rase-mottes en-dessous de la ceinture, et cette critique du racisme normal ou de l'éducation particulière du Peacemaker permet aussi à Gunn d'aller vers des gags plus crasseux, tant que restent bien activés les appels de phare "à ne pas reproduire en société". La série respire la liberté de ton, par un fan de genre à l'humour gras qui peut enfin s'amuser à tout faire exploser et à pousser plus loin son obsession des grands adulescents. Ce qui peut avoir le défaut de sa qualité de pur produit personnel : des productions plus aseptisées séduisent en ratissant large, là où cette série demande d'adhérer au délire général. Les combats sont généralement assez violents, avec des affrontements sanglants au couteau ou des meurtres parfois secs, un héros qui encaisse dur et ne semble jamais invincible ou franchement surhumain. Sans tomber dans le piège de la comparaison, Peacemaker prouve que le modèle était possible, sans sacrifier l'humour, l'écriture ou la qualité générale, de divertir avec un personnage aussi drôle que ses collègues de la maison d'en face, mais où l'auteur à la tête du projet ne paraît pas avoir été écrasé par le système des producteurs. Et où les critères visuels, sonores, l'ambition et les valeurs de plans surpassent là-encore le simple produit de commande formaté : à un niveau plus restreint, Peacemaker est à la hauteur du cinéma de James Gunn, avec des moyens relativement réduits qui évoquent ces débuts, plus économes, dans de plus petites productions.