PORTRAIT. Denise Acabo, doyenne des chocolatières de Paris : "Plutôt mourir que de vendre !"

PORTRAIT. Denise Acabo, doyenne des chocolatières de Paris : "Plutôt mourir que de vendre !"

Par Rédaction Île de France Publié leActu ParisVoir mon actu

La vie de Denise Acabo est un millefeuille d’histoires, de rencontres, de joies et de peines aussi. De ce délice sucré ressort une petite femme au visage d’une grande douceur, encadré par deux nattes blondes et qu’illuminent deux scintillants yeux bleus. Âgée de 85 ans, elle continue de tenir sa chocolaterie, aux pieds Montmartre, au cœur de son Paris.

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Éternelle jeunesse malgré 85 printemps, dont 45 en chocolat

Dans la chocolaterie-confiserie qu’elle tient depuis 45 ans, à deux pas du Moulin Rouge et de la Butte, les lilas ne sont pas morts. Toute la bohème tient dans cette petite échoppe du 30, rue Pierre Fontaine. Pénétrer dans la chocolaterie de Denise, c’est entrer dans son monde. Tout y est à son image, à son goût. Peu de choses ont changé en 45 ans à l’Étoile d’Or. Quand bien même le spleen des journées grises et pluvieuses à Paris revient, à la mi-septembre, la chaleur gagne toujours celui qui franchit les portes de l’établissement.

Derrière le comptoir orné d’une vieille boiserie que Denise chérit et qu’elle ne manque jamais, chaque matin, de caresser presque religieusement, déambulant devant la vitrine ou s’extasiant comme une enfant à la vue d’une douceur qu’elle propose à ses clients ou s’offre à elle-même. En dépit de ses 85 printemps, la gérante vêtue d’un kilt écossais a gardé ses airs de jeune femme. “Je la vois un peu comme ma grand-mère, celle qu’on rêve d’avoir, toujours souriante et pleine de bienveillance”, relève Mayumi, la seule employée de la chocolaterie depuis quatorze ans, entre deux petites phrases de sa patronne.

Du prince bleu de Montmartre à Meryl Streep

Et si Denise parle sans cesse, c’est rarement pour parler d’elle. “Je ne m’aime pas, je m’évite dans le miroir, c’est comme ça. J’aime ma vie mais j’aime surtout les autres.” Et les autres, ce n’est pas n’importe qui dans le cœur de l’octogénaire. Ses proches bien sûr, ses deux enfants Martine et Alain, sa petite fille Louise mais aussi ses amis et clients ; qui sont, du reste, souvent les deux.

Michou par exemple, le prince bleu de Montmartre décédé en 2020, ancien patron d’un des plus célèbres cabarets transformistes de la capitale, avait ses habitudes chez Denise. Face à la caisse enregistreuse de la chocolaterie, un prie-Dieu est posé là. Celui de Michou. “Un homme d’une douceur formidable. Il adorait venir ici, il était heureux. Il s’asseyait là et nous discutions des heures”, se souvient-elle avant de lire, la gorge un peu serrée, un message d’affection laissé par le prince bleu. “À toi ma Denise, à ton amitié, ton gentil sourire, je t’aime”, gravé à l’encre bleu sur une feuille blanche.

Meryl Streep aussi était chez elle à l’Étoile d’Or. “Elle avait son appartement un peu plus haut dans la rue. Elle m’adorait. Chaque fois qu’elle faisait un saut à Paris, elle n’oubliait jamais de venir me voir.” Certains clients verraient en elle leur madeleine de Proust.

PORTRAIT. Denise Acabo, doyenne des chocolatières de Paris :

Fille de deux Italiens partis vivre en Tunisie, Denise naît à Tunis le 22 août 1936. Elle voue un amour et une admiration inconditionnels à sa mère – qu’elle n’a pourtant connue que très tard. “Maman était une cuisinière piémontaise réputée, d’une grande élégance et très belle. Elle n’a pas pu s’occuper de moi pendant mon enfance, si bien qu’à trois ans, elle m’a mise en pension chez les religieuses de Carthage, jusqu’à ma majorité”.

« Ma fille, tu n’es qu’un palais »

Très jeune, Denise comprend qu’elle ne sera pas des “intellectuelles” de son temps. “Maman me répétait sans cesse : “Ma fille, tu n’es qu’un palais.” Et elle avait raison. Je ne sais faire que ça, je n’aime que la grande bouffe. C’est moi qui testait en premier les recettes de maman quand j’étais toute petite, et j’y prenais déjà un grand plaisir”, se souvient-elle.

Après de courtes études, Denise devient secrétaire des papeteries de France à Tunis. Mais le l’évacuation des troupes françaises du pays, décidée en 1958 après des tensions liées à la guerre d’Algérie, la pousse à quitter le pays en urgence avec sa mère. Les deux femmes prennent alors la direction de Bordeaux. “Maman s’était installée dans le Lot-et-Garonne chez un riche propriétaire qui était amoureux d’elle, tandis que j’avais trouvé refuge chez les sœurs à Bordeaux, continuant de travailler pour la papeterie de France. Je leur rendais visite chaque week-end en bus.” L’aventure dure quelque temps mais Denise a envie d’autre chose. Elle finit par acheter une épicerie fine à Colombes, dans les Hauts-de-Seine, “pour voir du monde’’, comme elle le raconte. En quittant Tunis, Denise a également laissé derrière elle son compagnon de l’époque, « un juif de Tunis, héritier d’une grande famille. Tout s’est terminé lorsqu’il a voulu que je rentre dans sa famille. Ils parlaient tous hébreu, je n’y comprenais rien. Mon départ pour la France a signé notre adieu. »

C’est à Bordeaux qu’elle épouse celui qui deviendra l’amour de sa vie et le père de ses deux enfants. Un Italien rencontré à Tunis, un “très bel homme”, à qui Denise prête sans hésiter des airs de Jean Marais. Si beau “que les samedis, de jeunes clientes venaient lui tourner autour”, se souvient-elle encore. C’est ensemble qu’ils gagneront l’Île-de-France.

L’Étoile d’Or, une ancienne épicerie fine et une histoire d’amour

Après Colombes, Denise achète la boutique de la rue Pierre Fontaine en 1976. “Je passais régulièrement dans le quartier et je voyais toujours cette boutique dont j’étais follement amoureuse. C’était mon style, la boiserie, les miroirs, la caisse…” Ce qui deviendra par la suite l’une des chocolateries les plus réputées de Paris était une épicerie fine tenue par un vieillard bougon. “Il passait ses journées assis derrière le comptoir avec son chien à ses pieds. Et à chacun de mes passages, je le suppliais de me vendre son commerce”. Mais les supplications n’y font rien, le vieil homme refuse. C’est finalement de l’argent liquide posé sur le comptoir en marbre qui achève de le convaincre. “Il a signé la vente dans la foulée, véridique. Comme quoi, l’argent c’est tout dans la vie”, ironise la propriétaire.

Elle n’a pas oublié les débuts difficiles. “Je n’ai jamais été là pour vendre absolument. Que les gens achètent ou n’achètent pas, peu importe. J’aime avant tout la rencontre avec les autres. Je ne vends que des chocolats d’une qualité exceptionnelle mais derrière chacun se cache une histoire que j’aime raconter aux clients pour qu’ils sachent ce qu’ils mangent.” Denise a le souci du détail. Ainsi, chaque douceur est accompagnée d’un mot écrit à la main et sur lequel il est possible de connaître son origine. Calissons, Cotignac d’Orléans, Coussins de Lyon et autres Raisins au Sauternes n’ont plus aucun secret pour elle.

Garder le moral malgré les épreuves

Des douceurs qui font oublier les drames qui ont marqué la vie de Denise. À la fin des années 1970, elle perd son mari lors d’un tragique accident de la route à Paris. “Nous étions partis chercher notre fille Martine avec laquelle mon mari s’était disputé. J’ai tout de suite senti que nous allions mourir. Quelques minutes après l’avoir retrouvée, un motard est arrivé à grande vitesse et a perdu le contrôle de son engin. Il a percuté mon mari de plein fouet, le tuant sur le coup”, raconte-t-elle douloureusement. Grièvement blessée, elle ne peut s’occuper seule de sa boutique et de ses enfants. Sa mère vient l’aider.

Plus récemment, une explosion due à la mauvaise manipulation d’une conduite de gaz le jour de la Saint-Valentin est venue détruire presque entièrement sa chocolaterie. Denise reconnaît aussi que les temps ont changé. “C’est plus la même chose, plus la même vie, plus la même clientèle. Ça n’a plus le charme d’il y a 45 ans. On se connaissait tous à l’époque. Le quartier était plein d’artistes. J’ai le cafard”, explique-t-elle, nostalgique.

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« Plutôt mourir que de vendre ! »

Des épreuves qui n’ont pourtant pas entamé le moral de la patronne de l’Étoile d’Or. “Je suis heureuse dans la vie. Chaque fois, je m’en sors, malgré les épreuves, je m’en sors tout le temps”. Et pour elle, pas question de fermer boutique. “Partir, ce serait signer mon arrêt de mort, dit-elle d’un ton grave. Je pleurerais sans cesse dans mon appartement à l’étage. Plutôt mourir que de vendre”. Et ce ne sont pas les propositions qui manquent.

“Trois chichas ont déjà voulu me racheter. Certains me disent qu’ils ont beaucoup d’argent mais je m’en fous, je leur dis toujours de se tirer. Et puis si c’est pour casser les belles boiseries, non merci!”, lance-t-elle, agacée. “C’est du bonheur de descendre ici chaque jour. En 45 ans je n’ai jamais rechigné à ouvrir la boutique, pourvu que ça dure.”

Par Nicolas DAGUIN.En partenariat avec le Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ).

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