Les Playmobil, icônes de trois générations : leurs patrons, ce sont les enfants !
HORST Brandstätter
C'était en 1971, au début de la crise pétrolière, et le prix du plastique flambait. L'entreprise familiale était au bord de la faillite, car elle avait lié son destin à ce matériau depuis qu'en 1952 le jeune Horst, tourneur-fraiseur de formation, avait convaincu ses oncles, alors à la tête de la société, d'utiliser le plastique pour diversifier les produits. C'est ainsi qu'un de leurs grands succès, le cerceau Hula Hoop, avait envahi les cours de récré à la fin des années 1950.
Premiers pas difficiles
Hans Beck, à qui échoit cette mission de miniaturisation, est un bricoleur-né, issu d'une famille nombreuse. "Il avait beaucoup observé ses frères et sœurs jouer avec leurs soldats de plomb figés, qui ne pouvaient bouger ni les mains ni le visage, raconte Stéphane Drilhon, directeur marketing de la marque en France. Il a alors eu l'idée de créer un personnage tenant dans la main d'un enfant, et articulé pour que celui-ci soit le maître du jeu."
Geobra dépose son premier brevet en 1972 et présente deux ans plus tard les trois premiers Playmobil au Salon international du jouet de Nuremberg : un chevalier, un ouvrier et un Indien. Dans l'indifférence générale ! Personne ne croit à ces petits bonshommes à l'expression minimaliste, sauf un grossiste néerlandais qui passe commande. La suite lui donnera raison : près de 4.000 modèles ont vu le jour depuis et la marque écoule 60 millions de boîtes et 100 millions de personnages dans le monde chaque année.
Les premières figurines, réalisées artisanalement, sont rudimentaires : sept éléments seulement. Et toutes arborent la célèbre coupe au bol qui a fait le miel des caricaturistes et des humoristes. Au fil des ans, la collection s'enrichit et les personnages deviennent plus complexes : on dénombre jusqu'à 374 coupes de cheveux différentes, 839 visages, 68 barbes... et 25.000 accessoires. N'en jetez plus !
Dès la fin des années 1970, des machines remplacent les ouvriers pour la fabrication. Playmobil met au point des moules à injection en acier, réglés au micron près grâce à la robotique, avec une marge d'erreur plus fine qu'un cheveu. Farouchement made in Europe, alors que tous les autres fabricants de jouets délocalisent en Asie, Playmobil s'implante à Malte, en 1976, puis en Espagne et en République tchèque.
>> Découvrez l'usine de Zirndorf où sont fabriqués les Playmobil depuis 1974.
Le développement d'une nouvelle gamme peut s'étendre sur deux ou trois ans. Avant d'esquisser un personnage ou un décor, les designers se livrent en effet à une véritable enquête. Ainsi, pour concevoir la série sur le thème de l'Egypte, sortie en 2007, ils ont consulté des égyptologues. Les hiéroglyphes décorant les temples Playmobil sont la copie exacte des originaux. Idem pour l'univers des pompiers : afin que le camion et tout son attirail aient l'air plus vrais que nature, rien de mieux que de passer du temps en immersion dans une caserne !
Passage de témoins réussi
Si Playmobil a résisté à l'usure du temps, c'est parce qu'elle transcende les générations. Du haut de leurs 7,5 centimètres, les figurines font la joie des enfants, mais aussi des adultes, notamment des collectionneurs, rassemblés, depuis 2006, dans une association, GénérationS PlaymO. Un passionné a même réalisé un pari fou : un château de Versailles en Playmobil, sur 30 mètres carrés ! "Les parents transmettent leurs figurines à leurs enfants et Playmobil touche aujourd'hui la troisième génération, constate Franck Mathais, directeur marketing de l'enseigne de jouets La Grande Récré. La marque a su inventer sa propre histoire, tirée de l'imaginaire collectif : chevaliers, dragons..."
Cet engouement des grandes personnes dépasse un peu l'entreprise, qui a toujours affirmé ne se préoccuper que des attentes des enfants. "Si nous avions écouté les adultes, nous n'en serions pas là", estimait Horst Brandstätter. C'est pourquoi, avant de définir les thèmes de leurs futures collections, les équipes de design et de R&D continuent d'éplucher des milliers de dessins d'enfants, histoire de croiser leurs propres idées avec l'imaginaire des bambins. D'ailleurs, savez-vous pourquoi les figurines n'ont pas de nez ? Parce qu'un petit enfant n'en dessine jamais sur ses premiers personnages, pardi !
>> Playmobil n'est pas le seul jouet à avoir son fan club, découvrez la convention des collectionneurs de Barbie.
Des signes d’essoufflement
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— Aulia Cahyanthi Tue Jul 07 12:59:06 +0000 2020
Quarante ans de succès sans nuages ont validé le bien-fondé de la recette Playmobil. En 2013, la marque allemande affichait encore une croissance de 15% et un chiffre d'affaires de 53 millions d'euros. Deux fois plus qu'en 2006 ! Mais, depuis deux ans, le modèle commence à s'essouffler. Pour la première fois, Lego lui a ravi le leadership en France : "La marque danoise progresse de 20% par an, quand Playmobil perd un peu de terrain", observe un distributeur de jouets. Sans doute parce que l'icône des années 1970 est restée trop centrée sur l'Europe de l'Ouest, pendant que Lego est parti depuis longtemps à la conquête de la Chine ou de la Russie. Mais aussi et surtout parce que Playmobil a refusé d'entrer dans la danse du marketing et des produits dérivés, devenus la règle sur le marché des jouets. "Ils sont en train de remettre en question cette politique, estime Frédérique Tutt, analyste chez NPD, et de s'aligner sur leurs concurrents."
La relance par le dessin animé
Premiers signes de ce revirement, le conditionnement en sachets au lieu des habituelles boîtes. Princesses et chevaliers se retrouvent dans des pochettes-surprises vendues à très bas prix - à partir de 2 euros ou 2,50 euros - de quoi susciter les achats d'impulsion. Et ça marche : la marque en a écoulé 5 millions depuis 2011. Autre astuce : les calendriers éphémères (pour Pâques ou la période de l'Avent, à Noël, par exemple), histoire d'étaler les ventes. Là aussi, la formule fonctionne : ces produits ont battu des records de ventes en France en 2014.
Restait à se lancer dans les licences, une stratégie dont Lego tire aujourd'hui la moitié de ses revenus ! Depuis un an, Playmobil commence à son tour à en tirer des bénéfices. Les aficionados de Porsche ont désormais leur modèle culte, la Carrera, en miniature. Plus près des enfants, Playmobil a mis en scène ses personnages dans une série télé, Super 4. "Regarder Super 4 chaque matin va donner envie de jouer", assure Stéphane Drilhon. La série a inspiré des livres de la Bibliothèque verte et seize boîtes ont été lancées à la rentrée. Un galop d'essai avant le grand écran dans trois ans. Mais les enfants aimeront-ils que, pour une fois, on écrive l'histoire à leur place ?
LA GENÈSE D'UNE STAR DU MONDE DU JOUET
1908Georg Brandstätter reprend l'entreprise de ferronnerie familiale. Il la rebaptisera Geobra, un acronyme associant les trois premières lettres de son prénom et de son patronyme.
1929Naissance de Hans Beck, en Allemagne. Embauché en 1958 comme menuisier et maquettiste par Geobra, c'est lui qui concevra la figurine Playmobil et la lancera en 1974.
1952Le petit-fils du fondateur, Horst Brandstätter, diversifie l'activité de Geobra vers les jouets en plastique, dont le fameux cerceau Hula Hoop.
1974Le choc pétrolier pousse à imaginer un jouet utilisant peu de plastique. Les premiers Playmobil voient le jour un ouvrier, un chevalier et un Indien.
1976Les Playmobil se féminisent, puis les pirates entrent en jeu. Horst Brandstätter choisit l'île de Malte pour implanter sa première usine.
1978Création du bateau pirate, qui deviendra l'un des best-sellers de la marque. Vendu à 16 millions d'exemplaires dans le monde à ce jour, il en est à sa septième version.
1981Les figurines d'enfants, plus petites (5,5 et 3,5 cm), viennent agrandir la famille. Grâce aux progrès de la technologie, leurs mains sont de couleur chair et pivotent.
2013Playmobil investit 80 millions d'euros dans un nouveau centre logistique en Bavière. Côté jouets, les petites figurines peuvent désormais changer de vêtements.
2014Pour répondre à l'offensive de Lego et à l'immense succès de son film, La Grande Aventure,Playmobil se lance dans une série télévisée, Super4.
L'INESTIMABLE TRÉSOR DE PLAYMOBIL
Depuis les débuts de l’aventure, il y a plus de quarante ans, pas moins de 14.000 moules à injection ont été réalisés par Playmobil. Chaque création est en effet composée de dizaines, voire de centaines de pièces (592 pour le palais des princesses), issues chacune d'un moule spécifique. Pour 130 nouveautés qui sortent chaque année, il faut 1.000 modèles différents. Et parfois plus de deux mille heures de travail pour fabriquer la matrice d'un casque de pompier ou d'un lion de l'arche de Noé. Les moules coûtant de 8.000 à 180.000 euros pièce (pour les plus complexes), c'est un véritable trésor, évalué à 250 millions d'euros, que possède la firme. Un trésor conservé bien à l'abri à Zirndorf, en Bavière, dans un entrepôt ultrasécurisé. C'est d'ailleurs pour éviter que ses moules ne soient copiés que la marque s'est toujours refusée à faire fabriquer ses figurines en Chine, s'efforçant à tout prix de garder la main sur la production. D'autant que certains moules sont déjà largement rentabilisés. Il arrive souvent qu'une même pièce soit utilisée dans des modèles très différents : un chapeau créé dans les années 1980 peut très bien venir coiffer un Playmobil de 2015...
Photos : © DR
Pauline Darasse
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