Ces magasins dont on s’ennuie Zellers

Des chaînes et des enseignes fort appréciées ont néanmoins disparu, laissant derrière elles des souvenirs sans prix. Tout au long de la semaine, ces magasins sont évoqués par nos lecteurs –plus de 700 ont répondu à notre appel à tous. Aujourd’hui: ZellersCes magasins dont on s’ennuie Zellers

Publié le 27 déc. 2021
Marc TisonLa Presse

Le magasin de ses victoires de maman seule

«Zellers, c’est mon premier souvenir d’abondance en tant que maman», annonçait son courriel.

Carole Therrien est dans «la jeune cinquantaine». Son aventure se déroule à l’automne2002.

«Mon fils avait 5ans. Je m’étais séparée en avril.»

Elle avait vécu huit ans avec un conjoint qui connaissait des problèmes sur lesquels elle demeure discrète.

«J’ai pris mon courage à deux mains et je l’ai quitté. Mais ça faisait des années que je n’avais aucun contrôle sur rien financièrement, et pourtant, je travaillais!»

Son petit bonhomme était handicapé visuel.

«J’ai appris beaucoup plus tard qu’il était autiste aussi. Fonctionnel. Donc pas facile…», résume-t-elle sobrement.

Son budget était extrêmement serré, et suivi au sou près. Elle poursuit son histoire…

«Ce matin-là, on est en novembre.»

C’était 20ans presque jour pour jour avant notre entretien, souligne-t-elle.

À 8h du matin, elle était déjà en voiture avec son fils pour faire quelques emplettes, «avant qu’il y ait trop de monde dans les magasins, vous comprenez, avec son handicap».

Sur la radio de la voiture, une publicité claironne alors que Zellers offre ce jour-là un rabais sur les ensembles de briques Lego.

«Ils annoncent une grosse chaudière de Lego, en bas de 20$. J’allume: j’ai les moyens de lui offrir ça! Il adore les Lego, mais il n’en a pas beaucoup parce que ça coûte cher.»

Elle savait que l’enveloppe budgétaire pour les sorties du mois précédent contenait encore 30$ inutilisés.

«Des Lego! Je lui ai dit: “Qu’est-ce que tu dirais qu’on aille profiter de ce spécial-là?”

—Un cadeau pour Noël?

—Non, pour tout de suite!»

«J’aurais aimé que vous voyiez son sourire. Il n’avait pas la bouche assez grande pour sourire tellement il était content.»

Maman et fiston se sont aussitôt rendus au magasin Zellers situé à l’époque à l’angle du boulevard Saint-Martin et de l’autoroute15, à Laval. Elle a guidé son fils jusqu’au rayon des jouets.

«On était devant une muraille de Lego. Il m’a dit: “Maman, ils sont où?” Je lui ai montré la bonne section.»

Le petit bonhomme a secoué quelques seaux, pour constater qu’ils avaient tous le même contenu – un assortiment pour débutant, avec lequel tout est possible avec un peu d’imagination.

«Il l’a choisi et il tenait sa chaudière bien serré dans ses bras.»

Jusqu’à la caisse, il a craint que sa mère ne change d’avis.

Quand on est revenus à la maison, il s’est mis tout de suite à construire ses petits villages. C’était vraiment magique! C’était la première fois que j’avais le pouvoir de lui faire un cadeau juste comme ça.

Carole Therrien

Aucun misérabilisme dans sa narration. C’est plutôt la sérénité et une profonde humanité qui transparaissent dans sa voix calme.

«On s’entend, je suis choyée, j’ai toujours travaillé. Mais pouvoir acheter un cadeau comme ça à l’extérieur d’une fête sans raison particulière!»

Ce jour-là, elle a pris conscience qu’elle avait de la latitude, un contrôle assumé sur sa vie et celle de son petit bonhomme.

Ces magasins dont on s’ennuie Zellers

«C’était une victoire de maman. Ma première victoire de cadeau de maman envers mon fils. Après, il y en a eu d’autres, mais ça, c’était la première.»

20ans plus tard

La veille, Carole Therrien avait parlé à son fils de l’entrevue qu’elle accorderait le lendemain.

«Il a maintenant 25ans. Je lui ai dit: “Te rappelles-tu la chaudière de Lego quand on était allés faire les courses un matin en novembre?” Il m’a dit: “Ah oui, maman! C’était tellement un moment magique! Moi, si je ne m’étais pas retenu dans le magasin, j’aurais pleuré.”»

Elle y est retournée souvent avec son fils.

Je lui achetais ses vêtements chez Zellers parce qu’il y avait une garantie. Si l’enfant passait au travers du vêtement pendant qu’il lui faisait encore, il te le changeait! Moi, avec mon fils aveugle, des affaires déchirées, il y en avait beaucoup, parce qu’il s’accrochait partout, mon petit cœur!

Carole Therrien

«Je n’ai jamais eu de difficulté à faire respecter cette garantie.»

Elle avait conclu son courriel avec ces mots:

«Zellers fut mon allié économique dans ma vie de mère monoparentale. Encore aujourd’hui, je ne lui ai pas trouvé de remplaçant.»

Sa première tarte aux pommes

«La première fois que j’ai mangé une tarte aux pommes à la mode, c’était chez Zellers sur la rue Sainte-Catherine à côté de chez Eaton», nous avait écrit Viet-Hue Duong.

«Je suis arrivée comme réfugiée en 1975», explique-t-elle, dans la conversation téléphonique subséquente.

Avec ses parents et ses deux jeunes sœurs, la Vietnamienne de 20ans avait achevé au Québec son parcours de boat people.

Viet-Hue, «ça veut dire “fleur de lys”», précise-t-elle.

«Et Duong, ça veut dire “bleu”. C’est prédestiné.»

En 1976, la jeune femme avait trouvé un emploi de commis de bureau au centre-ville de Montréal. Ces magasins dont on s’ennuie Zellers

Le jour de la paie, elle n’accompagnait pas ses collègues au restaurant.

«Je trouvais que c’était du gaspillage.» Son salaire était trop précieux pour sa famille. «Il y avait l’appartement à payer et mes deux jeunes sœurs étaient en âge d’aller à l’école.»

Avec l’argent économisé sur ses premières paies, elle avait pu acquérir avec sa mère une machine à coudre. Elle achetait chez Zellers des coupons de tissu en solde, des boutons, des fermetures à glissière, du fil.

Elle avait repéré près de l’entrée du magasin un petit comptoir de casse-croûte.

«Il y avait cette odeur de soupe qui réchauffait, qui se mêlait à l’odeur du café qui surchauffait, relate-t-elle. Pour moi, c’était sympathique, ça sentait la cuisine, c’était chaleureux. Comme aller chez les grands-parents, qui ont toujours quelque chose à nous offrir, pour nous réchauffer.»

Elle aimait y jeter un coup d’œil au passage, et c’est ainsi qu’elle a vu y servir une petite assiette de tarte aux pommes «avec un nuage, dessus».

«C’était tellement appétissant! Je ne sais toujours pas pourquoi on appelait ça tarte aux pommes à la mode. Il faut prononcer “à la môde”.»

Comme aux États-Unis, d’où vient l’expression.

«C’était tellement beau, avec la spirale et la façon dont la personne présentait l’assiette!»

Une spirale de crème glacée?

«Non, une spirale de crème fouettée», répond-elle.

C’était une crème fouettée artificielle en canette que la serveuse déposait d’une giclée tournoyante, «comme une sculpture».

Le casse-croûte était rarement bondé. «Mais j’ai remarqué qu’il y avait beaucoup de personnes d’un certain âge, qui venaient s’asseoir sur les tabourets au comptoir.»

Une camaraderie s’installait entre les clients et les serveuses.

Des serveuses sans âge. Il y avait beaucoup de douceur, chez ces gens. Quand elles parlaient avec les clients assis au comptoir, on avait l’impression que c’était chez elles, dans leur cuisine.

Viet-Hue Dong

Sa première pointe

Il lui a fallu quelque temps pour qu’elle ose s’y arrêter elle-même.

C’était l’hiver. Elle planifiait sa sortie depuis plusieurs jours. «Je me suis dit: je ne peux pas juste prendre le dessert. Il faut que je prenne la soupe.»

La soupe… Quand on est immigrant, chaque première fois est un défi.

«J’avais beaucoup de difficulté à manier les couteaux, fourchettes, main gauche, main droite… On avait été habitués à boire la soupe. Quand j’ai commandé, je me suis dit: “Attention, ne fais pas de bruit quand tu vas manger!”»

Surprise, la soupe aux légumes était accompagnée d’un sachet de biscuits soda. Autre mystère, autre obstacle…

«Je ne savais pas comment on les mangeait avec la soupe. Est-ce qu’on les trempait? Puis j’ai remarqué que les gens froissaient les biscuits dans le sac, puis le déchiraient et mettaient les miettes dans la soupe.»

Elle les a imités. Un désastre, dit-elle. «C’était tellement salé!»

Heureusement, le dessert, «vraiment comme je l’imaginais», a racheté le repas.

«Je le vois arriver, sur la petite assiette ronde, avec la pointe de tarte en triangle, et un nuage de truc blanc.»

Elle a fait tourner l’assiette plusieurs fois, pour la voir sous tous ses angles et faire durer le plaisir, avant de se résoudre à y enfoncer une fourchette maladroite.

J’ai plongé, mais j’ai mis du temps. Je me disais: “Peut-être que les gens vont regarder, qu’ils vont se dire que je mange mal. Sois fière et mange!”

Viet-Hue Dong

Viet-Hue Duong est souvent retournée chez Zellers pour une soupe aux légumes – sans biscuits soda –, suivie de l’apothéose d’une pointe de tarte aux pommes.

Mais jamais elle n’a osé s’asseoir sur les tabourets du comptoir, trop hauts et exposés. «Sur une banquette, j’étais un peu plus cachée», explique-t-elle. «Et je ne voulais pas détruire cette convivialité. Je préférais demeurer à l’écart, observer et savourer ma tarte “à la mode”.»

Épilogue

Quelques heures après notre entretien, Viet-Hue Duong a envoyé un petit mot par courriel.

«À l’époque, quand je commandais une pointe de tarte aux pommes, la dame me demandait: à la mode? Et je répondais immanquablement, avec la crème fouettée», a-t-elle écrit.

«Pendant toutes ces années jusqu’à aujourd’hui, j’ai cru que c’était la tarte aux pommes à la mode que j’avais mangée!

«J’ai été un peu surprise quand vous avez mentionné la crème glacée. Après notre entretien, je me suis mise à googler pour découvrir que j’étais dans l’erreur depuis ce temps…

«Aujourd’hui, j’ai appris, grâce à vous, qu’une tarte aux pommes est à la mode quand une boule de crème glacée trône sur le dessus!»

Le petit comptoir de Zellers, longtemps après sa dernière visite, lui avait procuré une ultime satisfaction.

La petite histoire de Zellers

Né en 1890 dans la région de Kitchener, Walter Zeller a fondé Zeller’s en 1931 – l’apostrophe disparaîtra en 1973.

Au terme de sa première année, la petite chaîne détenait déjà une douzaine de magasins en Ontario, au Québec et au Nouveau-Brunswick.

En 1952, la chaîne comptait 35magasins, pour un chiffre d’affaires de 27millions de dollars. En 1976, il avait atteint 407millions dans 155points de vente.

Deux ans plus tard, l’entreprise a été acquise par La Baie, qui a encore accru sa portée avec plusieurs acquisitions. D’abord situé à Montréal, le siège social a déménagé en Ontario en 1996.

À son apogée, à la fin des années1990, la chaîne possédait quelque 350magasins.

En janvier2011, La Baie a annoncé qu’elle cédait pour 1,8milliard les baux de 189 de ses magasins à la chaîne américaine Target, les autres devant fermer leurs portes en 2013. Trois magasins ont cependant conservé l’enseigne Zellers à titre de centres de liquidation. Les deux derniers ont disparu en 2020.

Mort en 1957, Walter Zeller est inhumé à Montréal.

Les mots d’autres nostalgiques

Je convertissais les points du “Club Z” en carte cadeau pour acheter des articles qui m’étaient plus utiles que ceux proposés dans le catalogue.

C.Ricard

Ah! Zellers! Que je me suis ennuyée de ce magasin, de ses petits déjeuners du samedi matin, des étalages de laine et du choix de vêtements et accessoires pour enfants. Il y régnait une atmosphère presque festive. Magasiner au Zellers, c’était même magique dans certaines périodes de l’année.

J.Cyr

Le premier lundi du mois chez Zellers, quelle fête! Mon père étant un retraité de cette enseigne, il profitait d’une réduction additionnelle de 10% sur tous ses achats effectués les premiers lundis de chaque mois et il nous en faisait profiter à nous, ses trois filles. Alors, pendant un mois, nous établissions la liste des choses convoitées chacune de notre côté, et dès 9h le premier lundi du mois, nous allions chercher papa à sa résidence, et ensemble, nous partions “dévaliser” le Zellers local!

Lise, Henriette et Lucie

Les concurrents de la nostalgie

Woolworth’s

Quand j’y allais tout jeune avec ma mère, c’était la fête! Il y avait de tout et surtout une grande surface (l’était-elle tant que ça?) pour les jouets. Si j’avais de la chance, j’en revenais avec un modèle réduit à coller, sans oublier un arrêt au comptoir de restauration pour une frite et une pointe de tarte au citron!

F. Sormany

Woolco

Mon commerce préféré était le Woolco de la rue Saint-Dominique à Jonquière. Surtout pour ses portes tournantes, son rayon des jouets et son excellent casse-croûte à l’intérieur. Ma mère nous laissait, ma sœur jumelle et moi, nous amuser avec les jouets. Et après un certain temps, on allait manger au comptoir-lunch qu’il y avait à l’intérieur. Très beaux souvenirs d’enfance.

A. Martel

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