Pourquoi les gros ne sont pas le problème d’Abercrombie & Fitch

Abercrombie & Fitch a encore fait très fort en refusant de produire des vêtements pour les filles au-delà du XL et du XXL.

Le groupe n’en est pas un novice s’agissant de discrimination; les exemples sont multiples: en 2004, la firme avait été condamnée à verser 40 millions de dollars à des employés ou candidats à l’embaûche qui s’étaient vus refuser les portes de la marque en raison de leurs races ou origines ethniques. Au delà du chiffre, A&F doit produire toute une série d’indicateurs aux autorités américaines afin de justifier que la firme fait effectivement des efforts. D’autant plus quand la seule voie de développement pour le groupe est…la Chine.

La santé financière de la marque est justement en berne; 50 nouveaux magasins sont en cours de fermeture aux Etats Unis d’ici 2015. Et pour reprendre les mots de leur brillant CEO, Mike Jeffries, « notre profitabilité n’est pas au bon endroit« . On ne peut que confirmer.

Abercrombie & Fitch est typiquement le genre de marques que nous exécrons. Parce que son positionnement appartient au passé; parce que son « public cible », friand d’eugénisme, n’existe plus.

Abercrombie & Fitch, une mauvaise publicité gay.

Quiconque a fait un tour dans le Marais ou à Soho ne peut que constater une ressemblance étonnante entre les communications d’A&F et les promotions de soirées « so gay ». La différence étant que le traitement graphique des événements est rapidement rattaché à une certaine ironie et à une certaine dérision notamment du milieu envers ces jolis garçons. Le problème d’A&F est que la marque n’a absolument aucun humour: donc quand vous voyez un modèle aux pectoraux développés et à la barbe soyeuse, dites vous que ce n’est pas par choix mais bien que s’il ne fait pas ses abdos dans l’arrière-salle, il sera viré. Utiliser un univers en en gardant que la pointe la plus visible ne peut être tenable sur le long terme.

Abercrombie & Fitch, une marque pour les adolescents? Quelle blague.

 Pourquoi les gros ne sont pas le problème d’Abercrombie & Fitch

C’est vrai: la marque s’est concentrée sur son public de « teens », manne d’argent sacrée mais qui ne fait plus tout à fait recettes par un double effet: la crise économique qui a réduit le pouvoir d’achat des kids et surtout une prise de conscience que le beau surfeur n’est pas tout à fait le même que celui revendiqué par la marque. D’ailleurs la réponse de la maison A&F à cette problématique de segmentation est assez peu subtile pour être efficace. Qu’apporte l’enseigne Hollister à la marque? Une simple déclinaison de gamme jouant sur des paramètres très éloignés du stylisme ou de la création: voilà le résultat d’une marque pilotée par des marketeux incultes donc mauvais; une palette de couleur « plus jeune », des détails « plus funs », des coupes encore moins précises puisque « décontractées »…

Abercrombie & Fitch, une marque sans territoire et sans idée.

Quel miracle déjà qu’une marque revendiquant une coolitude toute américaine n’ait jamais été le sujet de quolibets en arborant un élan tout à fait canadien (l’équivalent d’un symbole belge à nos yeux français). Mais le problème ce n’est pas tant la confusion entre mythes ruraux nord-américains et tentation de la douchebag attitude made in Miami, c’est surtout qu’Abercrombie tente désormais de renverser à sa stagnation ou son déclin sur le territoire anglo-saxon en exportant son identité douteuse en Europe continentale et en Asie.

Récapitulons: Abercrombie & Fitch, c’est donc le cynisme américain dans sa moindre subtilité – une société excluante (dehors les gros et les moches?) et provocatrice (vive les jeunes beaufs tous nus) – qui tente de conquérir des capitales européennes adeptes de marques patrimoniales (chez les français et italiens) ou de marques sophistiquées et pointues (chez les scandinaves), en brandissant un concept de « casual luxury ». Un concept qui lui-même n’a pas vraiment d’attaches ici aux royaumes de Chanel, Dior ou Armani.

Alors certes A&F par un habile tour de passe-passe a semé la confusion dans l’esprit de nos bourgeois européens pensant trouver là une forme de distinction conservatrice qui leur correspond. Mais la nouvelle cartographie des styles et des communautés laisse penser que les capitales sont en train d’exclure ce public vers une périphérie inspirée de Wisteria Lane. Neuilly – New Jersey même combat.

En définitive, voilà toute la limite d’A&F et son idée de « casual luxury ». On ne peut pas tout mélanger. Le luxe est une idée purement européenne et historique, il s’agit d’un savoir-faire, d’un héritage culturel. Abercrombie & Fitch, c’est donc tout simplement du casual… Or quand on qualifie une relation entre deux adultes consentants de « casual » en anglais, on sous-entend qu’il n’y a aucun fond, aucun sentiment. Chez A&F, c’est cette même idée de casual appliquée à la mode: une mode sans culture et sans idée.

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